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Aude Lancelin : Le monde libre

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Chère Aude Lancelin,

Pour votre livre, j'ai envie de vous écrire une lettre. Une courte lettre de remerciement(s). Cependant, je les veux pluriels.

D'abord parce que vous relatez vos engagements, votre vie, vos choix. Pour moi, ceci est très important. Un engagement dans une vie peut être multiforme, il prend une direction, et, à un nouveau croisement, il peut être remis en question. Il faut davantage en parler pour cette jeunesse qui "croit" que tout est linéaire. Non la vie n'est pas une ligne droite prédéterminée qui fait de vous un algorithme ou un like. La vie est amoureuse, complexe, subtile, elle change, elle bouleverse... Elle remet en cause les idéaux. 

Dans un second temps, j'aime votre audace. La plume libère. Elle incise où il faut. Elle déchire le voile de l'histoire. 

Par intermittence, je me demandais comment écrire sur votre texte, à la fois document, essai. Une note simple ne peut pas aller. Ce serait bâcler la lecture de votre travail. On doit vous lire, comme on découvre une oeuvre de pensée. 

Vous êtes une audacieuse. Dans le bon sens du terme. Enfin de l'audace ! Celle dont on manque cruellement aujourd'hui. L'audace fait peur. Elle trouble l'ordre. Déjà, l'audace des bonnes questions : "comment ceux qui incarn(ai)ent la défense des opprimés, la cause sociale, peuvent avoir changé à ce point ?"

Vous exprimez ici le renversement des valeurs. Après tout, ne serait-ce pas humain ? Qui fut résistant hier, se plie aujourd'hui à une drôle d'obéissance ? Nous courbons l'échine face aux nouveaux maux. Nous crions sans bruit.

Quelque part en chemin, la presse s'est coupée de la réalité, de la narration des faits. Elle est devenue une presse d'actionnaire, narrant des storytelling à gogo. Rendant crédible des informations, donnant une couleur aux faits en activant le fabuleux levier de la croyance. Car tout être humain aime à croire les belles histoires. Gustave Le Bon, Edward Louis Bernays le savaient très bien. Le second en a joué jusqu'à sa mort, où dans un ultime rire, il a du prononcer cette phrase "c'est si facile"...

La presse s'est coupée de son histoire. Elle a suivi les lanternes du marketing, de l'argent facile. Il faut nourrir la masse d'idées faciles, de concepts bêtes, lui donner des figures à aimer, à décrier. Surtout, la masse ne doit pas penser, elle doit l'obéissance. On devient adepte ainsi des étoiles ou des T dans Télérama. Pardon j'extrapole.

Et en coulisse, il y a vous face à ce monstre qui ne dit pas son nom. L'ogre informe. "Comment me trouverai-je prise dans le drame qui n'allait pas tarder à se jouer place de la Bourse ? Depuis plusieurs mois, j'observais les manoeuvres en cours à "l'Obsolète". Les deux patrons historiques qui m'avaient recrutée comme directrice adjointe à Marianne venaient d'être ignominieusement licenciés, à la faveur d'un putsch actionnarial d'une rare brutalité" (Cf. Le monde libre, p.140).

Tout ogre avale, conspue, dénigre... Il érige des barrières, fait des drames là où la pensée naît, fait taire... Mais les mots eux sont libres, ils peuvent sortir des carcans, détruire les arcanes en les donnant à voir. 

Votre livre mériterait cette lettre de Victor Hugo, écrite à Baudelaire : "J’ai reçu, Monsieur, votre noble lettre et votre beau livre. L’art est comme l’azur, c’est le champ infini. Vous venez de le prouver. Vos fleurs du mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles. Continuez. Je crie bravo de toutes mes forces à votre vigoureux esprit. Permettez-moi de finir ces quelques lignes par une félicitation. Une des rares décorations que le régime actuel peut accorder, vous venez de la recevoir. Ce qu’il appelle sa justice vous a condamné au nom de ce qu’il appelle sa morale. C’est là une couronne de plus.

Je vous serre la main, poëte."

Cette lettre date d'Août 1857. 

La liberté de la pensée a toujours eu un prix. Sans doute celui du mépris en premier lieu. Quelle importance ? il s'agit de faire entendre un autre son, de donner à voir l'invisible, de renverser les idées reçues. C'est un long cheminement, mais des livres comme le vôtre en éclairent le chemin. Le terrain est celui des mots.

Les mots des bureaux, les mots de machine à café, de déjeuner, de pouvoir rompu sur les fauteuils en cuir d'une brasserie parisienne. Quelle importance ?

Ce qu'il faut, c'est faire entendre qu'autre chose est possible.Vos mots distillent le doute, percent l'aveuglement. Donnent à voir... L'ogre s'effacera face à une foule qui lui tournera le dos. 

 

 

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