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littérature

  • Pourquoi devenir éditrice ?

    Route de la soie, éditions, livre, métiers éditions, éditrice, lectures, idées, ponts, culturesMille réponses sont possibles à cette question. Par où commencer ? Par où dire cette indicible histoire ? 

    Lire ou courir, faut-il choisir ? 

    Je pourrais faire le choix de narrer en détails mes expériences, mes trajectoires, mes errances dans certaines entreprises, mon refus de lire dans l'enfance. Il ne fallait pas gâcher mon agitation. Je dormais en lisant Zola, que dire de Maupassant ? Bref, la littérature classique semblait loin de mes préoccupations. Mais Marguerite Yourcenar a retenu mon souffle... Ses Nouvelles orientales déjà appelaient mon lointain. Je jouais sur les cartes détaillées du National Geographic. Mon esprit divaguait en détail sur la carte du pôle nord et sur celle de l'Himalaya. Je me voyais déjà partir en suivant le fil de certaines longitudes. le coeur palpitant sur les mots de Radiguet, de Cocteau, de Théophile Gauthier, Romain Gary... Et puis toujours la poésie... ses mots cachés, ouverts, dormants, rêveurs, noirceur de beautés, ornement de notre inhumanité. Une phrase ouvrant sur l'infini. Une mélodie de l'imagination. Rien, pourtant, ne calmait mon agitation, il fallait toujours courir, aller au-delà, saisir le présent dans sa totalité, conquérir les arbres de haute lutte, contourner la marne, escalader les montagnes, toujours aller plus haut avec le trapèze du jardin.

    Renversement avec Samuel Beckett qui supprime le corps et renverse la parole. Les mots en roue libre... Serions-nous uniquement des mots ? 

    Puis Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra. Que faut-il comprendre de notre totalité ?  

    Puis il y eut Louis Althusser Sur la philosophie. Une claque l'année du baccalauréat scientifique (D à l'époque), où tout le monde pariait sur mon zéro en mathématiques mais évidemment non j'ai toujours été plus proche du vingt lors des examens en mathématiques. Bref, cette rencontre unique d'un livre, d'unilingue, d'un champ d'investigation. Un moment de vertige. Il y a donc bien un au-delà de la langue. Faut-il pour autant parler d'un universalisme ? 

    Le goût des mots des autres

    Pendant des années, j'ai fait le choix d'étudier les mots des autres, dans cet immense réservoir à idées qu'est la philosophie de Plotin à Husserl, en passant par Kant, Galilée, Aristote, Heidegger, Peirce, Malebranche, Spinoza, Locke, Platon, Descartes, Bergson, Putnam, Leibniz, Frege, Nietzsche et tant d'autres... Les mots, les langues, les siècles deviennent des volutes, des morceaux de concepts et finalement le réel se fragmente au profit d'une lecture ou d'une re-lecture, de points de vue irréconciliables (selon Deleuze). De l'université de béton à la rue d'Ulm, tout se joue de fragiles équilibres perceptifs. 

    Comment faire entendre sa propre expérience de pensée pour ne pas dire sa voix sans ce tumulte des années 1990 ? Il fallait oser en passer par le questionnement de ce désordre occidental pour se frayer un chemin au sein de son propre chaos. Là naît l'expérience de la revue Res Publica, philosophie et scènes humaines. Elle sera éditée par les PUF.  Première confrontation au fait que la pensée ne se vend pas, qu'elle est trop complexe pour nos contemporains qui lui préfèrent le marketing de la pensée ou les récits de soi au travers du prisme du coaching... Mais je n'abandonne pas facilement...

    Le cheminement des expériences littéraires 

    Finalement aujourd'hui je m'aperçois que mes expériences littéraires sont finalement nombreuses et jalonnent mon parcours : secrétaire d'édition d'un quotidien,  pigiste pour d'autres, magasinière dans l'ancienne BNF (où l'on apprend les formats des livres - le format folio, par exemple, n'est pas un livre de poche- où les kilomètres s'enchaînent pour trouver la perle rare pour le chercheur en salle et le dédale des odeurs, des formats, des siècles, etc.), nègre pour des discours, des textes...

    Voyager au fil de l'eau du monde 

    Il m'a fallu balancer un peu tout cela pour éprouver les mots ailleurs, en semelle de vents, au travers de voyages, de rencontres et de renversement culturels. Jouer avec les arts que j'aime : l'image fixe (la photographie) posée comme une éternité dans la fragilité des souvenirs. Voir le monde en face. Prendre conscience que le savoir occidental n'est qu'une infime partie du savoir humain, et remettre en question la certitude du savoir acquis. Poursuivre, essayer, tomber à nouveau, recommencer... Faire, défaire... au milieu d'un monde en ébullition. 

    Dessiner de nouvelles perspectives en images fixes et colorées, comme toujours... Et plier aux ordres de la poésie, à en dévorer les pages, à les tordre dans mes carnets. 

    Donner la parole aux autres 

    Puis un jour, au milieu de cette avenue étrange qui conduit aux Champs-Élysée, rendez-vous avec la tête que je devais chasser pour ce qu'il convient d'appeler un "beau poste" dans la finance. Rien ne s'est passé comme prévu. C'est ce qui fait le charme de la vie. Pascal Ordonneau me voyant en errance argumentaire et ne voyant absolument pas l'intérêt de ce poste proposé, ni même ce que je faisais là dans un monde qui n'était pas le mien, finit par m'expliquer que désormais il voulait écrire. Miroir tendu. Les mots me revenaient, comme de lointains cousins. Une sorte de familiarité poétique. Que faisais-je ici ? À ce poste au milieu d'un monde qui ne s'intéresse qu'au coût moyen pondéré du capital ? Il faut le voir pour le croire. 

    Finalement j'ai préféré chasser un éditeur pour Pascal Ordonneau et c'est ainsi que j'ai rencontré Jacques Flament. Maître artisan des mots, il oeuvre pour créer et faire lire les auteurs, tenace il n'abandonne rien, il avance, il cherche, il déniche des mots, des trajectoires, des fenêtres poétiques. Renversement des codes, exploration du monde. Une maison idéale pour poser mes valises (je ris ici en me disant que certains pensent que travailler dans l'édition c'est faire fortune - donc non je n'étais pas salariée et non je n'ai pas gagné de quoi me faire plus qu'un dîner chez moi tranquille). Mais ceux qui me connaissent, savent que ce n'est pas l'enjeu. L'idée consiste à faire avancer cet engrenage magnifique qui s'appelle le monde, ou l'humain... Jacques Flament a touché cette corde sensible, en moi, en parlant de "rallumer les réverbères". Pousser le curseur des idées, au travers de la création artistique, poétique... 

    Repartir encore (ou en corps)

    L'Himalaya ce vieil ami familier revenait, puis la Chine, le Népal, l'Inde, Java puis les kilomètres, les kilomètres, les kilomètres, les poussières, les ethnies... Et toujours mon moteur "qu'est-ce que dire ?"... Puis un jour au milieu de mes pensées chaotiques, dans un carnet, alors que Jacques Flament me disait vouloir arrêter sa maison, je me suis dit et si j'essayais ? 

    Créer la Route de la Soie - Éditions 

    En revenant de kilomètres passés dans le Xinjiang, en traînant encore un peu dans les poussières de désert. Et en refusant la fin de Jacques Flament Éditions. J'ai décidé de me consacrer pleinement aux mots des autres, de leur donner un écrin pour questionner notre réel, et tisser des liens entre les cultures. Nos univers sont-ils irréconciliables ? Ou bien pouvons-nous nous servir des arts pour créer des passerelles de compréhension ? L'exploration de l'humanité qui me tient à coeur, toujours... Comprendre, comprendre, toujours comprendre, ce lien qui nous unit, certains parlent de file de soie. Alors oui j'ai plongé et le titre était tout trouvé. 

    J'ai laissé en chantier mes carnets, mes textes, mes dessins... au profit des mots des autres... Ils sont là avec moi... Ils parcourent les kilomètres, les étoiles en lumières nocturnes... 

    Mettre en lumières les mots des autres !

    Évidemment je ne peux citer l'ensemble de ma presque soixantaine d'auteurs (et donc largement plus d'une centaine de titres publiés). Cependant la Route de la Soie - Éditions a débuté avec Fan Zhang et William Lochner. Deux univers différents et pourtant si proches. D'un côté une étudiante chinoise en France qui découvre qu'il faut renverser sa pensée, la France n'est pas si romantique ou féérique et de l'autre un reporter de guerre qui dans un dialogue avec Rimbaud, cet autre lui-même nous pare du renversement de sa psyché. Le poids des guerres, les mots en hypothèse de délivrance. Entre une tentative poétique avec Pascal Ordonneau qui se jouait de ma prise de vue systématique du Panthéon. Panthéon au carré ou un drôle de livre à considérer comme une friche. Véronique Terrassier m'a laissé coller ses mots et ses oeuvres, là encore Ville & nature suspendues est un premier livre qui ouvre la voie aux artistes. 

    Rencontres avec Michel Piriou, un incontournable de la maison, il vous entraînera sur les routes maritimes, au coeur d'intrigues historiques ou non. Une plume, un voyage, une sincérité. Chacun de ses livres est une oeuvre à part entière. Mais c'est aussi la clef pour un immense puzzle sur la nature humaine. Attention, c'est aussi un poète, un rêveur, un "partageur" d'étoiles. Et c'est ce qu'il fait en donnant sa plume aux magnifiques peintures de Chantal Célibert.  

    Discrète mais néanmoins grande écrivaine de la nature humaine, Ophélie Grevet  arrive dans la maison avec un premier roman, mais surtout ses pièces de théâtre et surtout son dernier Un chien dans la ville (qui a obtenu le prix du roman). Elle m'a aussi rappelé que la philosophie est ma maison, me faisant publier Pierre Michel Klein. Cette philosophie qui se veut réflexive, lente, progressive, exigeante. Bref celle qui désobéit au marketing. Voilà ça c'est de la philosophie. C'est dur, c'est complexe, cela fait appel à cette longue tradition de la mise en abimes des savoirs. Dans quelques temps, la réponse sera publiée de Pierre Jakob, là encore, ce n'est pas un livre qui se prend et s'oublie. Il faut justement la contrainte de s'extraire de la rapidité fuyante de notre époque. 

    Dans le cheminement, de la rencontre avec l'Autre et cette figure qui n'est pas tout à fait la nôtre mais un peu quand même, il y a Claude Mesmin sans laquelle la maison n'aurait pas fait des bons de géants. Confrontation des idées, discussions sur le sens du monde et écoute. Claude sait me pousser dans mes retranchements pour trouver d'autres portes, d'autres auteures, prolonger la réflexion. Comme avec Francine Rosenbaum, quelle claque quand j'ai découvert ses travaux et l'audace de ses recherches notamment avec Le chemin du Fa. 

    Au milieu, de toute cette pensée en mots, en perplexité de concepts, il y a Patrick Bonjour qui se joue des mots, comme des traits des caricatures. Ses livres sont drôles, sont d'une finesse à l'égard de notre époque mais aussi de l'histoire de l'art.  C'est un magicien, un joueur des couleurs. 

    Et comme tout magicien, il fait se rencontrer les arts. Sébastien Quagebeur arrive comme pour saluer un autre monde, comme pour nous dire "regardez tout est possible, il suffit juste d'ajuster quelques couleurs". Entre peintures, collages, montages en musique. Sébastien Quagebeur est un festival poétique. 

    Et que dire de la poésie de Roland Giraud ? Un mot, une clarté. Une résonance magnétique. les mots claquent, vibrent, esquivent, dévissent, le souffle s'arrête, puis repart. 

    Évidemment, la poésie coule dans mes veines, même si jamais je n'ai osé, en écrire. Dernière strate de langage, proche de l'absolu, selon moi, elle est comme le lieu de tous les lieux où s'origine le langage. Un magnifique acheminement à la parole. Alors oui, il fallait publier l'amour des mots, des cultures de Tahoura Tabatabaï-Vergnet

    De la poésie à l'exil, et inversement, il y a les témoignages celui de Marcela Paz-Obregon, et ceux magnifiques portés par Isabelle Verneuil. Là encore je retrouve ce que je défends : l'accueil, notre humanité. 

    Partage, humanité, accueil, c'est aussi cela que l'on retrouve chez Jennifer Bondon. Une force de la nature. Une générosité, ses livres viennent du coeur. Portes ouvertes sur la bonté, elle me fait espérer et renouer avec mon idéalisme. 

    Tout récit, est récit de quelque part où de quelque chose de notre monde. De ma rencontre avec Barthélémy Courmont est née l'idée de la collection sur la géopolitique "Mondes Actuels". Deux livres, deux visions sur deux régions du monde bien différentes : l'Australie et la Slovénie. Deux enjeux de puissance et de volonté d'existence. 

    Mais au-delà de la vision des enjeux de territoires, il y a le combat pour l'essentiel : la démocratie. Et c'est ce que nous rappellent d'une part Dominique Motte avec son ouvrage intitulé De la démocratie Suisse et, d'autre part, Reza Guemmar et Lachémi Belhocine avec leur ouvrage sur la constitution de l'Algérie. 

    Comprendre la société dans laquelle nous vivons c'est en observer les comportements et pourquoi pas en rire avec les oeuvres de Francis Denis ? C'est aussi jouer à questionner l'amour, à le saisir à corps ouvert avec notamment Frédéric Margnani. Puis jouer avec les fenêtres du temps des confinements avec Denis Martin

    Et puis que serait la maison, sans ce questionnement permanent sur notre méta-cognition et la belle collection Méta de Choc (éponyme du podcast) dirigée par Élisabeth Feytit

    Comprendre notre cognition, c'est comprendre notre rapport au monde, c'est aussi créer du dialogue avec les civilisations. D'où la revue Dialogue Chine -France qui permet de saisir davantage ce monde obscur qu'est la Chine, son histoire, ses mutations, son présent et ses liens intrinsèques avec la France et l'Europe. C'est aussi ce que montre le récit de Laurent Cibot sur son ancêtre qui a vécu au XVIIIe siècle à la cour de l'empereur de Chine. Comprendre que le regard des autres peuvent blesser une civilisation comme avec le fabuleux ouvrage de Chao YeLa Chine en 100 notions. C'est aussi soulever avec Maxime Vivas des doutes sur les discours. Serions-nous trop habitués à des propagandes pour ne pas voir le cynisme de notre réalité ? 

    La réalité, quelle est-elle ? Au fond nous cherchons, tous, à dire notre humanité au travers des mots, nous les taillons, pour qu'ils soient le plus précis possibles. Dire, tel est l'enjeu. Dire, pour amener à la prise de conscience.

    C'est ce que fait Chloé Joos, dans son ouvrage où nous avons laissé la porte ouverte à une interprétation grammaticale pour mettre en évidence l'effacement permanent des femmes par la grammaire. Ne serait-ce pas là la première violence sociale ? 

    C'est ce que nous confirme le magnifique essai de Anne Bergheim-Nègre. Son Histoire de l'inégalité, nous entraîne dans les coulisses de la construction même de l'inégalité. Nous luttons pour l'égalité, mais comment se rendre aux racines de cette inexistence ? C'est donc bien qu'elle a été pensée, instruite, inculquée au fil des siècles. Sans doute faut-il nous méfier des mots et de leurs constructions, sans doute nous faut-il les changer pour faire émerger de nouvelles possibilités. Ou bien peut-être peuvent-ils être des tremplins même avec leur défaillance pour se rappeler qu'ils ont un passé encombrant mais qu'ils peuvent si on en saisit l'épaisseur nous servir de bases pour questionner et construire une société soucieuse du bien commun. Mon réalisme ressort à grande vitesse, mais c'est un peu, en creux, le projet de la revue Diplômées de l'AFFDU. Questionner l'actualité, ses grandes thématiques et faire connaître la voix des chercheuses de notre temps. 

    Financer les livres

    Au départ, je ne me suis pas posé la question. Emportée par mon idéalisme de donner à voir, à entendre d'autres points de vue. Puis le choc des prix des impressions, de la distribution, etc. Pour ceux qui pensent que l'éditeur gagne de l'argent en créant des livres, et bien vous apprendrez qu'il n'en est rien ! Donc à ceux qui pensent que je suis derrière mon ordinateur à me la couler douce à lire des manuscrits toute la journée, je les invite à parcourir plus de 100 kilomètres de vélo par semaine, à donner des cours dans plusieurs établissements universitaires, à corriger des textes, à subir les foudres des auteurs, des libraires, l'ironie des distributeurs (qui font semblant de livrer)... Bref, il y aurait beaucoup à dire, à raconter... Pourtant je ne baisse pas les bras, j'imagine la suite pour donner de la visibilité aux auteurs, à les encourager à poursuivre, à faire entendre leurs idées... Chaque jour le moteur de la maison se fait entendre, un peu plus "l'impossible recule face à celui qui avance"... Merci Ella Maillart. 

     

     

     

  • William Lochner

    William Lochner, route de la soie - éditions, littérature, Photojournaliste, guerre, reportage, photojournalisme

    Par les hasards du web ou des semelles de vent, débarque sur mon ordinateur, ce projet extraordinaire Bouclage de William Lochner. Coïncidence ou fil d'ariane des lignes de barbelé ? Les bruits de balles sifflent sur nos têtes. La soif est là. Ce goût de poussière permanent. Mais l'oeil veille. Instinctif. "Il faut l'image". L'image qui en dira le plus pour le journal du lendemain. Qui lira ce journal ? Pour y voir quoi ? Cliché de vies brisées, de maison terrassées par les bombes, caressées par les ombres. Absurdité des guerres où la variable d'ajustement est humaine. Aurions-nous donc perdu toute notre humanité ? 

    William Lochner, est né en Belgique en 1957. Ancien journaliste free lance il a notamment publié Les chemins de l’Elam  relatant la guerre irako-iranienne (1980-1982) dans le Chatt-El-Arab. 

    William Lochner, route de la soie - éditions, littérature, Photojournaliste, guerre, reportage, photojournalisme

    Bouclage, dès sa première lecture, est entré dans mon crâne, dans les détours sinueux des stress post-traumatiques. Une porte qui claque, un pétard qui explose et ce sont autant de bruits anodins qui nous replongent dans ces chemins entre la vie et la mort. Partout, derrière un bout de mur perforé par les roquettes et les balles, devant une maison semi-ouverte, où une baignoire semble résister à l'attraction terrestre... Un enfant vous fait signe, une invitation à la légèreté. Puis une main vous rattrape. Ne pas se fier à l'innocence de la jeunesse dans un pays en guerre. Arme fatale de destruction massive.

    Les kilomètres de désert silencieux n'effacent rien des clichés mémorisés par le photographe. Et cette ligne de "bouclage", une heure précise qui impose au mur des rédactions d'avoir l'image à heure dite, pour boucler et envoyer à l'imprimerie... Le journal doit sortir ! Impératif catégorique... Quel que soit le drame du photo-journaliste. Pas de place pour les sentiments. L'émotion en bandoulière, on suit William Lochner un peu partout dans les recoins de sa mémoire.

    Nous entrons en dialogue avec l'auteur, son double, son personnage où est-ce un autre lui-même ? "Sans aucun sens réel. Mes yeux se fixent au plafond. Et puis, par association d’idées, je pense à la Sixtine, à la création du monde de Michel-Ange, cesse de respirer un petit moment, une suspension, une montée en apnée derrière cette porte verrouillée. La création du monde vient à moi. L’Index, découverte de toute ma vie, est bien le doigt de Dieu qui accuse Adam. Il le condamne. Il ne le crée pas, il le rejette." 

    Comment sortir du trauma ? Comment dire l'indicible ? L'écriture de William Lochner est incisive et belle. Dramatique et esthétique. Arthur Rimbaud n'est en rien étranger à cette recherche. Il faut renouer avec le poète pour se sortir d'une dissonance. Résonance des blessures, écorchures des âmes, cicatrices invisibles, si profondes...

    William Lochner nous entraîne dans un tourbillon littéraire. Il nous rappelle que rien n'est fixe, figé, si ce n'est nos mauvaises habitudes..."J’ai été malhabile avec mon enfance. À supposer. J’ai justement commis l’erreur de la vérité dans un monde adulte qui se nourrit de soupçons et de dogmatismes. C’est abominablement sérieux de vivre avec eux. Ma mère à la caisse de l’épicerie et mon père à la pesée des fruits et légumes. Les repas à heures fixes. Un univers figé dans ses habitudes. Décourageant."

    Merci William

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  • Jennifer Bondon

    image.jpgParfois, la vie vous réserve des surprises, des étonnements, des magies... Un jour, je reçois le manuscrit de Jennifer Bondon

    Comment raconter ce saisissement ? J'ai l'impression de rencontrer une soeur de luttes, mais pas seulement. Il y a une métaphysique, un éblouissement... Je suis saisie...

    Au départ, rien ne prédispose à une telle rencontre. L'écriture de Jennifer ne fait pas de chichi, elle va doit au but. Elle touche au plus juste. Elle vise nos émotions. Elle narre sa vie avec la distance de l'humour. Équilibre parfait. Dès les premières lignes de Avec maman, tout roule!, on est comme happé. Je suis à la fois dans son histoire et en même temps je suis une observatrice : l'avion, le pavillon familial, les études, les combats. Et puis, ce premier rendez-vous amoureux. Je suis aux côtés des parents de Jennifer, je scrute par la fenêtre pour voir qui est ce jeune homme. Est-il fiable ? Non mais une rencontre via Internet ? On peut douter, non ? Jennifer, même timide... elle fonce. Et la vie lui donne raison, elle rencontre Cédric qui deviendra son mari. Au travers de ses mots, on les voit, on devine leur complicité. 

    Avec_Maman,_tout_roule_!.jpg

    Atteinte d'un spina bifida une malformation congénitale du tube neurale, Jennifer se déplace en fauteuil roulant manuel à partir de ses sept ans. Pour les mauvais parleurs, je n'ai pas choisi ce livre pour la question du handicap... Si vous en doutez, cliquez par-là ! Et oui, je défends l'idée que handicap et art sont compatibles, autant dire que l'on parle d'un artiste ou d'un écrivain... Peu importe le handicap...  Une fois ceci posé, il reste à rencontrer Jennifer. On peut l'écouter sur RCF.

    Après des études, elle devient secrétaire médicale. Après un premier enfant, elle et son conjoint décident d'adopter. Et cette histoire qui est au coeur de son livre. Un récit d'une humanité bouleversante. Mère engagée, elle participe dans différentes associations qui oeuvrent pour l'enfance délaissée et en particulier les enfants en situation de handicap. 

    En 2017, elle fonde l'association Parhandifféremment  qui accompagne avec des personnes en situation de handicap dans leur projet d'adoption. Aujourd'hui, je sais que Jennifer continue à écrire et qu'elle aimerait proposer un récit, un coup de gueule à notre inhumanité. En tous les cas, elle sera toujours la bienvenue au sein de la maison... J'adore son intrépidité doublée d'une sérénité à toute épreuve. 

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  • Michel Piriou

    À chaque instant, il faudrait me demander ce qui me pousse à publier un auteur ? Chez moi, il y a un mélange de déraison et pragmatisme. Impossible à résumer, si ce n'est par une perception. Quelque chose m'emporte... puis me suit... je me retourne, je reviens vers les personnages qui me parlent, me conduisent sur de nouveaux territoires imaginaires. 

    Aujourd'hui, j'ai envie de prendre ce recul. Ce temps à la rencontre avec les auteurs publiés par la maison d'édition que j'ai créée (sur un drôle de coup de tête) : La Route de la Soie - Éditions.  Et pour inaugurer cette série, j'ai envie de parler de Michel Piriou.

     

    L'Âge de piastre

    Michel Piriou, âge de piastre, route de la soie maritime, chine, Italie, histoireNous avons débuté notre collaboration sur son premier texte intitulé L'Âge de piastreEncore timide, je me familiarisais à peine avec mes logiciels "maison" de montage... Et pourtant ce manuscrit est venu me frapper le visage, comme le vent baigné d'écume sur ce Blavet. J'ai pris la houle, j'ai découvert la faim, les rats, les maladies, les Indes lointaines. J'ai quitté la rade de Lorient en empruntant cette route de la soie maritime. Les mois emportant les années, les amours, les hommes, les beuveries... Au fil d'une aventure qui coupe le souffle, et vous entraîne au-delà d'un thriller, il y a les détails historiques, savamment dénichés par Michel Piriou. 

    Mais d'où viennent ces piastres ?  Le terme dérive de l'italien piastra, aphérèse du latin emplastrum au sens de plaque, en l'occurrence de métal (cf. CNRTL). Le mot vient en France aux XVIe siècle et XVIIe siècle, dénommant le teston, ce qui illustre le prestige de l'Italie en France à cette époque : dynamisme culturel et marchand de l'Italie de la Renaissance ; l'alliance franco-vénitienne de 1515... 

    Mais alors ce Blavet ? Michel Piriou l'a rencontré aux archives de la Marine. Il y a découvert des documents concernant un vaisseau de la Compagnie des Indes parti du port de Lorient pour la Chine au milieu du XVIIIe siècle. Dans son enquête, il trouve des informations du Duc de Béthune, toutes contiennent de nombreux détails sur les hommes (tailles, poids, maladies, etc.). Mais au milieu de ces détails, n'allez pas croire que le navire partait plein de marchandises... Bien au contraire. Pour rapporter les marchandises précieuses comme les différents épices (poivres, clou de girofle, muscade, cannelle), les cafés (Moka, Bourbon, Java) et les thés (noirs, verts et Bouy), mais aussi la soie, les cotonnades, et les porcelaines, il fallait partir avec des piastres d’argent en provenance des Amériques du centre et du Sud, ou achetés à Cadix. Le port de Lorient est ainsi devenu une véritable plaque tournante financière. La proportion de piastres dans les cargaisons pour la Chine ne cessent d’augmenter. Ainsi elles passent de 10% à la fin du XVIIe siècle à 50% à celle du XVIIIe. En suivant les mots de l'auteur, entrez en aventure, échangez vos piastres contre des épices et savourez les délices d'une lecture qui vous emportera au-delà des océans.

     

    Anna Djorkaeff

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    Quittons l'histoire de la marine marchande, un instant. Nous ne quittons pas la mer qui habite chaque recoin des mots de l'oeuvre de Michel Piriou. Elle est là dans son balancier éternel, elle rythme sa grammaire. Et puis, il y a eu ce cliché, un jour : une femme assise face à la mer. Qui est-elle ? Qu'a-t-elle vu ? Qu'a-t-elle vécu ? Pourquoi regarde-t-elle la mer ainsi avec autant d'intensité ? 

    Michel Piriou vous le confiera " Vous vous doutez bien que si on écrit un livre sur quelqu’un, c’est qu’on a affaire à une personnalité particulière dans un récit de vie singulier." Anna Djorkaeff est un destin. Elle a traversé le XXe siècle avec un état civil et une nationalité erronés. Mais alors comment retrouver son identité ? Est-ce une bouteille jetée à la mer ? La mer et son ressac. Derrière elle,  Anna laisse un journal intime, un carnet en interrogations, en rencontres et en enquêtes. Et ce banc devient le lieu central d'une révélation. La mer, toujours la mer... toujours les navires, les bateaux, et les échanges de vie, ou des amours portuaires... 

     

    Parfum d'or rouge

    Parfum_d'or_rouge.jpgVoyez comme ce titre sonne et résonne ? Vous voyez comment le mystère Piriou s'épaissit... Voici venu le troisième opus : Parfum d'or rouge. Cette fois, c'est une expérimentation nouvelle, pour l'auteur. Il sort du polar, de l'enquête... Mais le fait-il vraiment ? Non car ici, en creux de ce titre, qui nous attire, nous découvrons une critique sévère de l'esclavagisme. Et puis, il y a le parfum de cette femme, qui est-elle ? Pouvons-nous la saisir ? Ou bien est-ce une disparition inquiétante qui nous conduira en Italie ? Et au final, n'est-ce pas le miroir parfait de nos entreprises de couples chaotiques ? Une dizaine de personnages, des ambiguïtés, des rêves contrariés... Une étude sur notre (in)humanité. Une expérience saisissante...

     

    Le Pacte des signes

    Le_Pacte_des_signes.jpgPeu de temps après le Parfum d'or rouge, Michel Piriou, me recontacte pour un nouveau projet "tout petit"... Mais comment peut-il dire cela ? Petit, immense par l'intimité de sa prose poétique. Dans le Pacte des signes, les mots sonnent, claquent, déchirent, entrouvrent les fenêtres. Ils font jaillir les horizons. Ils passent ici, on peut les frôler. Ils sentent l'amour, la vie, son tourbillon, ses joies, ses peines. Douce mélancolie teintée d'une folie d'écume. Entrez dans le jeu des sonorités écrites... À votre tour, déclamez les poèmes de Michel Piriou. 

     

    François Martin de Vitré, Apothicaire aventurier

    François_Martin_de_Vitré.jpgLe dernier né de la grande plume de Michel Piriou. Il est tout frais de cet été. C'est un printemps, une aventure... Une vie, si singulière... Connaissez-vous cet apothicaire ? Il nous faut revenir en arrière, un instant... Car avant la Compagnie des Indes, il a fallu de nombreuses tentatives pour aboutir à la création de cette mythique compagnie. François Martin (1575 - 1631) est un voyageur et apothicaire français originaire de Vitré en Bretagne. 

    Un personnage, comme les aime Michel Piriou. Sixième enfant d'Etienne Martin, médecin à Vitré, et de Charlotte Morin, François Martin a été baptisé à l'église Notre-Dame de Vitré le 1er octobre 1575. Devenu compagnon-apothicaire, il fait le Tour de France. À Montpellier, il a suivi des cours à l'Université de Médecine. Diplôme en poche, il quitte alors cette ville pour tout autre ailleurs. Puis le 18 mai 1601, il embarque en qualité de chirurgien sur le Croissant, un des deux bâtiments, avec le Corbin, que les marchands de Saint-Malo, Vitré et Laval, équipèrent pour les Indes orientales. De là, je vous invite à suivre la plume de Michel Piriou pour rencontrer les aventures de cet homme hors-norme ! 

     

    Vous l'aurez compris, Michel Piriou est un incontournable de la maison. Il fait chavirer les mots, il leur confère une nouvelle saveur. Une joie solaire. Une intensité sur les failles de notre humanité. Écrivain exigeant, aimant expérimenter les interstices de notre langue, il nous invite constamment à une remise en question de nos certitudes, et, à jouer avec l'histoire passée pour mieux en révéler sa continuité. Un auteur à découvrir, à rencontrer, à lire, à faire lire... 

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