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littérature

  • Transmettre sans bruit : Zhao Lihong, poète des liens invisibles

    C’est au Fujian, en juin 2024, que j’ai rencontré Zhao Lihong pour la première fois. Le lieu baignait dans cette lumière feutrée que seule la Chine sait distiller au cœur de ses montagnes silencieuses. L’homme, discret, me parla peu. Ceux qui me connaissent, savent que je préfère les silences aux mots hasardeux ou surplus de mots qui deviennent des bruits. Notre époque est faite de mots multiples, de mots balancés, jetés par-dessus bord, parfois étincelant de haine, de lumière, de poussière…  Que sont ces mots ? Sont-ils devenus maux ? J’aime les silences qui se promènent à mesure des pas. Sur les sentiers du Fujian, il y avait comme cette symphonie n°40 de Mozart qui se dissipait à mesure que Zhao Lihong avançait. Et c’est dans cette mélodie envoûtante qui repose sur des respirations silencieuses qu’il me semblait déjà entendre cette musique intérieure qui hante ses deux livres désormais traduits en français par La Route de la Soie – Éditions : Métamorphose(s) et Cheminements : l’écho des poètes.

    Deux livres, deux écritures. Et pourtant, une seule respiration.

     

    Une poétique de la transmutation

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    “Transforme-moi en une fleur / Épanouie et belle / Mais ne vivant qu’un jour” écrit Zhao Lihong dans Métamorphose(s). Cette brève injonction poétique, aussi fragile qu’éblouissante, ne relève pas d’un simple effet de style. Elle est un souffle vital, un appel à l’impermanence. À l’image de Li Qingzhao qui, dans ses ci-poèmes, laisse éclore une émotion si fine qu’un battement de vent pourrait la dissiper, Zhao Lihong nous livre une poésie du tremblement — de l’instant qui flamboie, puis s’efface.

    La métamorphose, chez lui, n’est ni artifice ni posture : elle est nécessité. Elle puise à la source même du Yi Jing (), ce grand texte fondateur de la pensée chinoise où tout est mouvement, transformation, passage d’un état à un autre. Zhao Lihong s’inscrit dans cette tradition où la forme n’est jamais fixité, mais réponse subtile aux variations du ciel et de la terre.

    Son écriture, comme la calligraphie qu’il chérit, est traversée de cette tension entre le trait contenu et l’élan intérieur. Elle rappelle l’élégance économe d’un Wang Wei, poète et peintre de la dynastie Tang, dont les vers suspendaient le temps : “Des pins profonds descend une clarté / Le bruit d’un ruisseau s’évanouit dans la mousse”. Comme chez Wang Wei, la poésie de Zhao Lihong n’impose rien — elle laisse advenir.

    Chaque poème, même le plus bref, devient un microcosme. Un monde condensé, où se rejoignent l’intime et le cosmique. Dans ce cocon de mots se tisse l’écho des douleurs muettes, des amours anciennes, des songes d’enfance. Il y a là quelque chose du Tao, dans la discrétion des formes, la profondeur des silences, la tendresse envers le monde. Un élan qui évoque Du Fu, lui aussi confronté au chaos de son époque, et qui écrivait : “Un pays brisé, mais les montagnes et les rivières demeurent / Le printemps revient, comme avant, sur les herbes des murailles”.

    Ainsi, Zhao Lihong ne se contente pas de nous dire qui il est. Il nous invite à traverser avec lui les frontières poreuses de l’être. Il nous entraîne sur des chemins où l’on devient tour à tour timbre, dalle, sommet, goutte de pluie ou brume de l’aube — autant de formes, autant d’existences. Cette écriture est une alchimie : elle transmute le quotidien en lumière, le chagrin en silence, le silence en éveil. Elle fait résonner la voix ancestrale des poètes chinois dans un monde qui en a oublié l’écoute.

     

    Un héritage en mouvement

    Zhao Lihong, littérature, poésie, chine, Route de la soie - Éditions

    Dans Cheminements : l’écho des poètes, Zhao Lihong nous tend un miroir : celui d’un héritage assumé, intégré, mais jamais figé. Loin d’une simple nostalgie érudite, il dialogue avec les maîtres anciens – Wang Wei, Li Bai, Han Yu, Liu Changqing, Su Dongpo, Qu Yuan, mais aussi Confucius, Laozi et Zhuangzi – comme on converse avec des frères d’âme. Ce dialogue est vivant, vibrant, enraciné dans l’écoute : il ne s’agit pas de citer, mais de continuer à entendre. Car pour Zhao Lihong, la tradition n’est pas un monument : c’est une rivière dans laquelle il y plonge ses mains.

    À travers ces figures tutélaires, il explore les sonorités anciennes du qin — cette cithare à sept cordes que les lettrés considéraient comme la voix la plus pure de la pensée humaine — et les traces laissées sur les stèles de pierre, notamment dans le récit magistral de sa visite à la montagne Huanglong, à la recherche de l’« Ode au Xixia » gravée il y a plus de dix-huit siècles. Là encore, l’écriture devient gravure, inscription dans la durée, dans la roche de l’histoire. Le trait d’encre et le trait de burin partagent le même dessein : celui de traverser le temps.

    Dans cet ouvrage, Zhao Lihong confie : « Je peins avec des mots ». Et il faut prendre cette phrase au pied de la lettre. Car Cheminements est un livre de poète autant que de peintre : chaque texte répond à une illustration tracée de sa main. À l’instar des lettrés de la dynastie Song, qui unissaient poème, calligraphie et paysage dans une même œuvre, Zhao Lihong poursuit cette esthétique du lien : écrire, c’est tracer ; tracer, c’est penser. Son regard s’inscrit dans la longue tradition du wenren (文人) — littéralement homme de lettres, mais bien plus qu’un simple lettré : un être complet, souvent poète, calligraphe, peintre, parfois musicien, qui cultive l’unité intérieure par les arts.

    Ce modèle prend forme à partir de la dynastie Song (Xe–XIIIe siècle), avec des figures comme Su Shi (Su Dongpo), maître du style libre et de la pensée en mouvement, ou Mi Fu, célèbre pour sa calligraphie autant que pour ses paysages brumeux. Pour eux, l’art n’est jamais compartimenté. Écrire un poème, peindre un bambou, jouer du qin, méditer sur un rocher — tout participe d’un même souffle, le qi (), ce principe vital que seul le geste juste, posé et sincère peut mettre en circulation.

    Dans cette lignée, Zhao Lihong revendique un art total, mais humble. Il n’érige pas l’œuvre en monument. Il fait du trait une confidence. Comme l’écrit Su Shi dans une lettre à un ami : « La calligraphie ne vient ni de la main ni du pinceau, mais du cœur. »
    De même, chez Zhao Lihong, l’écriture devient calligraphie intérieure. Le dessin n’illustre pas le texte : il le prolonge, il en est l’écho visuel. Il peint ce qu’il écrit, et écrit ce qu’il peint.

    C’est ainsi qu’il redonne à l’acte littéraire sa fonction profonde : relier l’âme au monde, selon l’enseignement de Zhuangzi, pour qui le vrai geste est celui qui ne sépare pas — celui qui unit la forme et le vide, le visible et l’invisible.

    Ce livre est ainsi un carnet d’âme. Un lent voyage de résonance entre les siècles, entre le bruissement d’une flûte de roseau et les silences gorgés de sens. Là où Métamorphose(s) est une plongée dans le flux intérieur, une traversée d’un soi morcelé, Cheminements est un art de la pause, de la respiration. Un apprentissage de la lenteur, du regard, de la transmission. C’est un livre qui se lit comme on médite : dans le pas lent d’un promeneur sur un sentier de bambous, dans la retenue d’un pinceau suspendu, dans la lumière rasante d’un souvenir.

    Zhao Lihong y réhabilite une sensibilité oubliée : celle de la perception fine, du détail tremblant, du murmure qui suffit. Comme les poètes Tang qui savaient voir dans le vol d’une hirondelle un monde en équilibre, Zhao Lihong nous invite à ralentir, à entendre à nouveau cette musique ténue des choses simples. À redonner au silence sa juste place. C’est là, sans doute, que réside sa modernité profonde : dans sa capacité à faire résonner les anciens dans un monde saturé de bruit — non pour les faire parler plus fort, mais pour nous apprendre à écouter autrement.

     

    Le chant de la transparence

    Zhao Lihong ne cherche ni à éblouir ni à convaincre. Il se tient, comme les poètes de jadis, au bord du chemin, dans la poussière soulevée par les pas, et il écrit. Il écrit comme on trace un idéogramme sur le sable, avec la conscience aiguë de l’éphémère. Ce qu’il nous offre, dans Métamorphose(s) comme dans Cheminements, c’est moins une œuvre qu’une manière d’habiter le monde. Une manière d’être présent, lucide, et infiniment disponible à la beauté.

    Comme les plus grands, il sait que la poésie ne crie pas. Elle s’insinue. Elle demeure. Elle lave les mots de leur surcharge pour en retrouver la fraîcheur première — ce qu’avaient su faire les maîtres du Shijing (le Classique des vers) il y a plus de deux mille cinq cents ans : “Le cri du faisan : tsio-tsio / Retour ! Retour ! / Loin est la route / Vers la maison du bien-aimé”.

    Lire Zhao Lihong, c’est accepter ce retour à la source. C’est entendre que dans un monde troué par les algorithmes et les sirènes de la vitesse, il est encore possible de dire avec lenteur, de voir avec tendresse, de nommer sans posséder.

    C’est aussi, en filigrane, une leçon adressée à nous, lecteurs occidentaux : et si nous avions oublié que la littérature est un art du souffle ? Une respiration. Une capacité à accueillir la nuit comme la lumière. À consentir aux métamorphoses. À demeurer en chemin.

    Ainsi se tisse cette œuvre : Zhao Lihong nous parle depuis un pont suspendu entre ciel et terre. Il n’élève pas la voix. Mais ses mots résonnent longtemps, comme ces dernières lignes de Cheminements : « Venez par la magie des Muses, transformons les pierres muettes en cloches sonores, les déserts arides en jardins fleuris, l'herbe fanée en bourgeons, et les vagues silencieuses en ressacs scintillants. »

    Avec Zhao Lihong la poésie redevient le joyau du langage, la fleur de l’âme, une source cristalline jaillissant du tréfonds de l’esprit.

    Et si c’était cela, finalement, résister ?
    Offrir au monde non pas des réponses,
    Mais un éclat de silence.

     

  • Littérature sous surveillance : quand la traduction trahit les écrivains chinois

    Cette année, au détour d’un salon du livre, j’ai eu le privilège d’échanger, loin des micros et des discours officiels, avec deux des écrivains chinois les plus traduits en français et dans le monde : Mai Jia et Liu Zhenyun. L’un ancien agent des services cryptographiques reconverti en romancier du secret et du silence. L’autre, chroniqueur du burlesque social, cartographe sensible des existences invisibles.

    Ce qui m’a frappée dans ces discussions, c’est leur étonnement sincère, presque naïf, face à ce que la France a fait de leurs œuvres. Tous deux ont exprimé, avec douceur mais fermeté, leur incompréhension devant les titres français de leurs romans. Ils ne reconnaissent pas ce qu’on leur fait dire. Et moi, j’ai eu honte.

    L’illusion rassurante de la “littérature pure”

    Pendant des années, j’ai étudié les récits médiatiques sur la Chine. J’ai déconstruit les images toutes faites, les peurs mimétiques, les biais cognitifs des géopolitologues de plateaux. Je pensais — naïvement — que la littérature y échappait, qu’elle gardait intacte sa capacité à dire le singulier, à transcender les frontières.

    Et pourtant. Prenons deux cas récents :

    • Un parfum de corruption de Liu Zhenyun,

    • L’enfer des codes de Mai Jia.

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    Deux romans profonds, sensibles, ambigus. Deux œuvres ancrées dans la société chinoise contemporaine, certes, mais traversées avant tout par des questionnements humains : la solitude, la mémoire, la trahison, la quête de sens. Et pourtant, dans leur version française, ces deux livres ont été rhabillés pour l’exportation. Transformés, recadrés, instrumentalisés.

    Quand “mangeur de melon” devient “corruption”

    Le titre original du roman de Liu Zhenyun est limpide pour qui lit le chinois :
    《吃瓜时代的儿女们》 – Les enfants de l’ère des mangeurs de melon.

    C’est un clin d’œil ironique à la culture du voyeurisme, à ces spectateurs passifs qui se nourrissent de scandales comme d’un fruit sucré. Mais la version française devient : Un parfum de corruption. On troque l’ironie contre le soupçon, la satire sociale contre la dénonciation politique.

    Résultat ? On enferme l’œuvre dans une grille de lecture préfabriquée : celle d’une Chine inévitablement corrompue, inévitablement suspecte.

    Quand “Décodé” devient “L’enfer des codes”

    Même schéma pour Mai Jia. Son roman 《解密》 pourrait être sobrement traduit par « Décodé ». Ce mot contient toute l’ambiguïté du livre : qu’est-ce qu’un secret ? Qu’est-ce que l’intelligence ? Peut-on vraiment tout déchiffrer sans se perdre ?

    Mais l’édition française préfère : L’enfer des codes. Et en couverture ? Un Mao fantomatique, surgissant comme une menace posthume. Encore une fois, la poésie est balayée par l’effet, le trouble existentiel par le choc visuel. On caricature. On projette. On lit le roman à travers nos peurs.

    Et si l’ennemi, c’était notre imaginaire éditorial ?

    Ce double exemple est symptomatique d’un mal plus vaste : nous ne savons pas lire la Chine autrement qu’à travers nos fantasmes. La littérature devrait être le lieu de la rencontre, du déplacement, de la surprise. Mais ici, elle est préformatée par des titres racoleurs, des couvertures sensationnalistes, des résumés anxieux.

    Et le pire, c’est que ces pratiques ne sont pas propres à la Chine. Elles s’étendent à toute la littérature étrangère que l’on veut rendre “digestible” pour le lectorat français. On ne traduit plus, on adapte à nos schémas mentaux.

    Lire pour écouter, non pour confirmer

     Mai Jia et Liu Zhenyun sont des écrivains. Des hommes qui creusent leur langue, leur société, leur époque. Leur but n’est pas de parler de la Chine à l’Occident, mais de chercher des vérités intimes au cœur du vacarme collectif.

    Mais encore faut-il qu’on les laisse nous parler. Encore faut-il que la traduction n’efface pas leur voix sous la nôtre.

    Réapprendre à lire — humblement, poétiquement

    Si nous voulons vraiment découvrir la littérature chinoise — ou n’importe quelle littérature non occidentale —, il nous faudra réapprendre à lire sans filtre, sans soupçon, sans sensationnalisme. Lire comme on écoute un inconnu qui nous parle de sa vie, non comme on dissèque un pays sur une carte stratégique.

    Car les écrivains, eux, ne sont ni stratèges ni diplomates. Ils sont chercheurs de sens, parfois sans le savoir. Et ce sens-là ne passe ni par Mao ni par la corruption. Il passe par le tremblement du réel, par ce qu’un être ressent quand il est trahi, ou quand il comprend soudain que le monde ne se décrypte pas.

  • Les mots en partage : une passerelle vers demain

    Il est des rencontres qui, loin des effets d’annonce ou des artifices du spectacle littéraire, creusent un sillon profond dans l’esprit de ceux qui y assistent. Le matin du 11 avril, dans le cadre du Salon des Livres de Paris, une telle alchimie s’est produite. Trois auteurs français publiés chez La Route de la Soie – Éditions, Alexandre Arditti, Frédéric Vissense et Sébastien Quagebeur, ont dialogué en public avec trois figures majeures de la littérature chinoise contemporaine : Mai Jia, Liu Zhenyun et Zhao Lihong (publié également par La Route de la Soie – Éditions).

    Ce fut moins une joute qu’un échange sensible, un entrelacs de regards, d’images, de questions profondes. À rebours des slogans, les six auteurs ont évoqué ce que signifie, aujourd’hui, écrire dans un monde fracturé, traversé d’ombres et d’élans. Ce que signifie prendre le temps du mot juste, de l’observation précise, du récit qui relie plutôt que qui sépare.

    Frédéric Vissense, Liu Zhenyun, Sonia Bressler, La Route de la Soie - Éditions, livre, littérature, chine, culture, dialogue, France, salon des livres, Paris 2025, Grand Palais

    L’observation comme philosophie

    S’il fallait dégager une ligne de force, un fil rouge de cette matinée, ce serait sans doute la puissance de l’observation — non pas l’observation froide du scientifique, mais celle, vibrante, du poète ou du romancier : celle qui saisit une main qui tremble, un silence entre deux phrases, un battement d’aile au-dessus d’un champ de ruines.

    Frédéric Vissense a évoqué, à travers ses écrits, le rôle des machines dans notre monde : non pas comme entités techniques, mais comme révélateurs de notre rapport au pouvoir, à la norme, au fantasme de contrôle. À ses côtés, Alexandre Arditti a insisté sur la mémoire, les nœuds familiaux, les cicatrices intimes que seule l’écriture permet d’éclairer sans brutalité. Sébastien Quagebeur, quant à lui, a mis en avant le langage comme forme d’engagement existentiel, comme manière d’habiter le monde dans sa complexité.

    La littérature comme pont entre mondes

    Face à eux, les auteurs chinois n’ont pas simplement répondu — ils ont prolongé les questions, les ont nourries d’une sagesse venue d’ailleurs. Mai Jia, célèbre pour ses romans où l’espionnage devient terrain de réflexion sur l’identité et la vérité, a rappelé que « le silence est parfois plus chargé de sens que mille mots ». Liu Zhenyun, avec son humour tranchant et son sens du rythme, a évoqué la façon dont la parole populaire peut renverser les logiques du pouvoir. Zhao Lihong, poète aux images subtiles, a parlé de la lumière qui persiste dans les interstices du quotidien, même dans les périodes les plus sombres.

    Sébastien Quagebeur, Zhao Lihong, La Route de la Soie - Éditions, Grand Palais, salon des livres Paris, 2025

    Tous, dans leur diversité de style et de parcours, ont insisté sur la nécessité de penser l’écriture comme un geste de reliance. Écrire, ce n’est pas seulement dire ; c’est relier : le passé au présent, le proche au lointain, le soi à l’autre.

    Tisser des liens vers l’avenir

    Dans une époque saturée d’informations, de messages instantanés, de discours figés, ces écrivains nous rappellent que le mot est un acte, un acte de lenteur, de justesse, de résistance même. L’écriture devient ainsi un chemin vers un autre type de futur : un futur où les différences ne font pas peur, où le dialogue ne se résume pas à une traduction automatique, mais devient une forme d’écoute active, une quête partagée de compréhension.

    La Route de la Soie – Éditions, en orchestrant cette rencontre au côté du CNPIEC, a montré qu’il est encore possible de bâtir des ponts sincères entre les cultures, à travers ce que l’humanité a de plus précieux : sa capacité à dire le monde, à le réinventer par les mots, à y inscrire des rêves sans frontières.

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  • Cheminements : l’écho des poètes de Zhao Lihong – quand la poésie devient passage

    Zhao Lihong, poésie, Route de la Soie Éditions, livre, littérature, chine, FranceAvec Cheminements : l’écho des poètes, publié aux éditions La Route de la Soie, Zhao Lihong nous convie à une traversée à la fois intérieure et culturelle. Ce livre, pensé comme un pont entre la Chine et la France, entre l’univers du poète et notre propre sensibilité, est une invitation à ralentir, à écouter, à ressentir.

    Ce n’est pas un simple recueil de poèmes. C’est un espace de respiration, un chemin à parcourir, pas à pas, dans le silence habité de la lecture. L’idée de cet ouvrage est née d’un désir commun : celui de rapprocher davantage encore le monde poétique de Zhao Lihong du lecteur français, après la publication de Métamorphose(s). Ici, la démarche s’intensifie. Elle se fait intime, complice. Ce n’est plus seulement une rencontre : c’est une marche partagée.

    Zhao Lihong n’est pas un poète parmi d’autres. Il est de ceux qui écrivent après avoir longuement écouté le monde. Dans Cheminements : l’écho des poètes, cette écoute devient partage, et le silence, langage. Le livre se présente comme un carnet sensible, une forme hybride entre le journal d’un promeneur éclairé et le recueil méditatif d’un penseur en éveil. Chaque page semble vouloir nous souffler : « prends ton temps ».

    Les illustrations du livre sont signées Zhao Lihong lui-même. Elles accompagnent les textes comme des souffles de lumière, comme des instants suspendus. À l’encre ou à l’aquarelle, elles révèlent une autre facette du poète, celle du peintre de l’âme. Elles ne décorent pas, elles expriment. Elles prolongent les émotions des poèmes avec pudeur et intensité. Ce double langage, visuel et poétique, tisse un univers d’une cohérence rare, où chaque page devient un monde.

    Le mot cheminement n’est pas anodin. Il contient l’idée de mouvement, mais sans fracas, sans urgence. On ne « court » pas avec Zhao Lihong. On marche, on s’arrête, on observe un oiseau, une feuille, une pensée. Ce mouvement lent est un acte de résistance, une façon de reprendre possession de son temps intérieur. Dans la modernité qui broie les rythmes naturels, ce livre propose un retour au souffle, à la lenteur habitée. C’est une posture d’existence. C’est refuser la vitesse et l’efficacité au profit de l’écoute, de l’observation, du lien. Zhao Lihong écrit avec une attention presque sacrée aux petites choses : une feuille qui tombe, une lueur dans le ciel, un geste ancien. Il redonne aux détails leur puissance symbolique. Il ouvre une brèche dans le vacarme du monde contemporain.

    Les thèmes traversés sont multiples, mais toujours reliés par cette attention délicate au vivant. Zhao Lihong parle de la nature comme d’un miroir de l’âme : le chant des cigales, la lumière sur le lac, les collines embrumées de son enfance – tout cela devient langage. Mais il évoque aussi les blessures de l’Histoire, les fantômes qui hantent encore les mémoires, et cette tension constante entre mémoire et oubli, entre douleur et résilience.

    Ce qui frappe, c’est la capacité du poète à dire les choses graves sans lourdeur, à évoquer la souffrance sans la figer. Il y a dans ces poèmes une sagesse douce, une lucidité sans amertume. Un art de la nuance, si rare aujourd’hui, où tout semble polarisé, tranché, réduit à l’opinion. Zhao Lihong nous montre qu’il est encore possible d’habiter le monde poétiquement, selon le mot de Hölderlin, et que cette habitation poétique est une forme de veille : un éveil à soi, aux autres, à l’invisible.

    Le livre résonne comme une musique ancienne, une mélodie intérieure qui nous reconnecte à l’essentiel. Il ne cherche pas à séduire, encore moins à convaincre. Il propose. Il laisse advenir. Et c’est cette générosité silencieuse qui en fait un ouvrage précieux. Un compagnon de route pour celles et ceux qui, dans le tumulte contemporain, cherchent encore les sentiers où penser et sentir peuvent se rejoindre.

    Dans un monde fragmenté, où les algorithmes dictent les goûts et où le mot “poésie” semble relégué à une forme de luxe inutile, Cheminements affirme doucement mais fermement : la poésie est nécessaire. Elle est un espace de vérité nue, sans posture. Elle est une manière d’habiter le monde autrement, en cherchant non pas à le conquérir, mais à le comprendre, à l’aimer dans ses failles.

    La poésie de Zhao Lihong n’est jamais absconse. Elle n’a pas besoin de masque. Elle va droit au cœur, par sa sincérité, sa douceur, son humanité profonde. Mais elle n’est pas naïve. Elle connaît la violence du siècle, les douleurs de l’Histoire, les blessures intimes. Simplement, elle choisit de ne pas s’y enfermer. Elle choisit la lumière — une lumière fragile, oui, mais tenace. Celle qui guide les pas dans l’obscurité.

    Ce livre est aussi un geste de dialogue. Il fait le pari d’une entente possible entre les cultures, non dans la dilution ou la confusion, mais dans la résonance. En lisant Zhao Lihong, le lecteur français ne pénètre pas dans un exotisme lointain. Il retrouve quelque chose de lui-même, dans la délicatesse d’un mot, dans l’intuition d’une image. C’est cela que permet ce cheminement éditorial : une proximité nouvelle, un fil tendu d’un cœur à l’autre.

    Cheminements : l’écho des poètes est un ouvrage qui ne crie pas. Il chuchote. Il n’assène pas, il propose. Il n’enferme pas dans un sens, il ouvre des sentiers. C’est un acte de confiance en la lecture, en la lenteur, en la beauté encore possible.

    J’ai rêvé de ce livre, comme d’un acte de lumière. Il nous rappelle que dans l’invisible, dans les marges, dans la lenteur, résident encore les clés d’un monde habitable. Et que parfois, le plus subversif est de marcher lentement, à rebours de l’agitation, en prêtant l’oreille à l’écho des poètes.