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Chine

  • Europe-Chine : réapprendre à penser le temps long

    Dialogue Chine-France, diplomatie, art, culture, revue, journal, magazine, À l’heure où les flux médiatiques nous enferment dans l’instantané, ce numéro 24 de Dialogue Chine-France rappelle, à travers ses pages, que certaines relations ne s’évaluent pas à l’échelle des sondages ou des cycles électoraux, mais sur le temps long, celui qui tisse les histoires partagées et façonne la civilisation.

    Cinquante années de relations diplomatiques entre l’Union européenne et la Chine : un demi-siècle qui, dans le tourbillon du monde contemporain, paraît presque un ancrage mythologique. Ce que raconte ce numéro, c’est moins une chronique diplomatique qu’une leçon de patience stratégique. Les textes des diplomates, experts et observateurs y déploient un même fil : l’idée que l’amitié, dans le monde multipolaire, ne naît pas d’affinités immédiates mais d’une capacité à accueillir la différence comme un moteur.

    L’harmonie dans la diversité : une utopie pragmatique

    Deng Li, ambassadeur de Chine en France, et d’autres contributeurs soulignent combien l’expression chinoise « harmonie dans la diversité » répond au « unité dans la diversité » européen. Ces formules ne sont pas de simples slogans : elles supposent de renoncer à la tentation de la domination intellectuelle, à l’idée que l’autre finira par nous ressembler. Dans cette logique, la diversité n’est plus un obstacle à la coopération mais son ressort vital.

    En filigrane, une question philosophique surgit : comment coopérer quand nos systèmes de pensée, nos conceptions de la démocratie, nos références historiques ne sont pas alignés ? Peut-être en acceptant que la vérité soit plurielle et que l’espace du dialogue ne vise pas l’uniformisation, mais l’équilibre.

    Face au court-termisme : la discipline du temps long

    Un texte retient particulièrement l’attention : celui sur le « long-termisme » comme principe de gouvernance chinoise. La planification quinquennale y est présentée non comme un carcan, mais comme une boussole capable d’articuler vision et adaptation. Dans un monde occidental saturé par la dictature du trimestre fiscal et l’horizon limité des mandats politiques, cette approche est presque subversive.

    Elle pose une question qui devrait nous hanter : notre civilisation européenne, héritière de tant de visions globales – des stoïciens à Montaigne, de la Res publica à l’idéal cosmopolite –, ne s’est-elle pas laissée enfermer dans la gestion au jour le jour ? Que nous reste-t-il de la capacité à imaginer un projet collectif sur vingt, cinquante, cent ans ?

    La coopération culturelle comme laboratoire d’avenir

    Entre les portraits d’artisans, les échanges universitaires et les récits de coopération économique, on devine une vérité simple : la diplomatie se nourrit autant de gestes discrets que de sommets officiels. Un Français qui fonde un site pour aider les expatriés de Ningbo, une créatrice miao qui transforme la broderie ancestrale en pièces contemporaines, ou encore l’essor de produits culturels chinois sur la scène mondiale, de l’animation au design… Tous illustrent que la confiance se construit dans la chair du quotidien.

    Ces échanges culturels ne sont pas des à-côtés esthétiques, mais un champ d’expérimentation pour de nouvelles formes de mondialisation : plus horizontales, plus attentives aux mémoires locales, capables de relier le particulier au commun.

    Pour un dialogue qui nous oblige

    Lire ce numéro, c’est aussi accepter de se laisser déplacer. Trop souvent, la relation Europe-Chine est décrite dans nos médias sous le prisme exclusif de la compétition économique ou de la rivalité systémique. Ici, les voix invitées ne nient pas les divergences, mais les replacent dans une vision plus large : celle d’une interdépendance qui, qu’on le veuille ou non, nous engage à coopérer.

    L’enjeu philosophique est immense : il ne s’agit pas d’idéaliser l’autre, mais de s’arracher à la paresse intellectuelle qui nous pousse à réduire la complexité à des caricatures. Dialoguer vraiment, c’est accepter que l’on ne sorte pas indemne de la rencontre.

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  • Le pari chinois de la paix : pour une gouvernance mondiale fondée sur le dialogue

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    Et si nous écoutions enfin ce que la Chine a à dire ? Non pas pour l’approuver, mais pour comprendre. Non pas pour la contredire, mais pour dialoguer. Non pas pour la craindre, mais pour imaginer ensemble un monde autrement gouverné.

    Dans un monde saturé de récits anxiogènes et de postures belliqueuses, le livre Gouvernance mondiale : ce que dit la Chine (La Route de la Soie – Éditions, mai 2025) prend le contre-pied absolu. Il ne hurle pas, il n’invective pas, il n’érige pas de murs. Il écoute, expose, tisse. Il donne à lire, pour la première fois en France, une pluralité de voix chinoises sur les défis planétaires. Oui, une pluralité : car la Chine ne parle pas d’une seule voix, mais en polyphonie responsable.

    Ce recueil, fruit d’un partenariat inédit avec l’Academy of Contemporary China and World Studies (ACCWS), rassemble les contributions d’intellectuels de haut rang : économistes, diplomates, juristes, stratèges. Ensemble, ils affirment une conviction profonde : il n’y aura ni paix durable, ni stabilité mondiale, sans dialogue sincère entre les civilisations. C’est là l’axe central du projet chinois de gouvernance mondiale.

    Contre l’unilatéralisme, la responsabilité partagée

    Dans un monde fragmenté par les crises et les logiques de bloc, où les élans de solidarité sont souvent absorbés par la gravité des intérêts géopolitiques, ce livre prend position : il faut renouer avec le multilatéralisme, non comme posture, mais comme architecture. Loin de tout angélisme, il dénonce la paralysie de l’OMC, le recul de la coopération technologique, les dérives de la militarisation des normes. Mais il ne se contente pas de constater : il propose, articule, structure une pensée alternative du monde.

    Cette pensée n’est ni naïve ni idéologique. Elle rappelle que la paix ne se décrète pas par la force, qu’elle ne s’impose pas par les sanctions, qu’elle ne naît pas dans l’ombre des bombes intelligentes. La paix, selon la tradition chinoise évoquée dans plusieurs textes, est un processus, une dynamique, une quête. Elle exige le respect mutuel, l’interdépendance assumée, la confiance tissée. Elle suppose de sortir de l’obsession du "gagnant-perdant" pour entrer dans une logique de "bénéfices mutuels", concept récurrent dans l’ouvrage.

    Le socle de la stabilité : écouter l’Autre

    L’une des forces de ce livre est sa capacité à conjuguer lucidité politique et profondeur civilisationnelle. On y croise des analyses fines sur les fragilités du système financier mondial, sur l’innovation technologique comme levier de coopération plutôt que d’exclusion, ou encore sur la transformation numérique comme espace d’une nouvelle fracture ou d’une nouvelle promesse.

    Mais derrière les chiffres, les concepts et les stratégies, transparaît une philosophie politique enracinée dans la longue durée : celle d’une civilisation qui a appris que le conflit mène rarement à l’éveil, et que l’ordre n’est pas une imposition mais une harmonie. La gouvernance mondiale, dans cette perspective, n’est pas un simple "rééquilibrage" du pouvoir — c’est une refondation des liens.

    Le dialogue n’y est pas ornemental : il est fondamental. Car sans compréhension mutuelle, il ne peut y avoir de paix ; sans paix, aucun développement n’est soutenable ; sans développement, la stabilité n’est qu’un mirage.

    Rebâtir un avenir pensable

    Ce livre n’impose rien. Il invite à penser. Et cela, dans un monde saturé de certitudes criardes, est déjà un acte de résistance. Il rappelle que gouverner le monde ne peut se faire dans la langue unique d’un empire déclinant. Que les routes de la parole, comme autrefois celles de la soie, doivent être empruntées dans les deux sens.

    À celles et ceux qui veulent bâtir un monde de justice, de coopération, de paix réelle – pas celle des vainqueurs, mais celle des vivants – ce livre tend une main. Il ne demande pas l’adhésion. Il appelle à la lecture.

    Et dans les pages les plus fortes de ce volume, on entend résonner une vérité simple, tissée de philosophie ancienne et d’urgences contemporaines : la guerre est une défaite de l’imagination.

    Il est temps d’imaginer autrement.

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  • Ouvrir pour penser, penser pour relier — Ce que Dialogue Chine-France n°23 nous dit du monde

    Dialogue, Chine, France, Diplomatie, ouverture, Europe, Relations, cinquante ans, Le numéro 23 de la revue Dialogue Chine-France n’est pas un simple bulletin diplomatique : il est un miroir. Et peut-être même une lanterne. À l’heure où la planète vacille, il appelle à un éveil. Non pas l’éveil tapageur de l’idéologie, mais celui, exigeant, de l’intelligence.

    À première vue, ce numéro semble s’inscrire dans une logique de célébration : celle des 50 ans des relations diplomatiques entre la Chine et l’Union européenne. Mais très vite, les pages nous emportent ailleurs : dans une réflexion profonde sur le monde comme relation. Ce monde abîmé par les replis, menacé par les conflits, fasciné par les machines — et dont les peuples, eux, cherchent à retrouver le sens.

    Le contraire du repli

    Le titre de ce numéro — Des portes ouvertes, des horizons partagés — est une réponse nette, calme, à la tentation du repli. Ce qui s’ouvre ici, ce ne sont pas des marchés. Ce sont des possibles.

    Dès les premières pages, un choix politique majeur se dessine : faire de l’ouverture un principe, et non un calcul. Il ne s’agit pas seulement d’exporter des marchandises ou de signer des traités. Il s’agit de faire confiance. Dans un monde fragmenté, où la “coexistence” est souvent synonyme de surveillance mutuelle, cette posture a quelque chose d’audacieux.

    Les auteurs — chercheurs, diplomates, journalistes — défendent une idée simple mais puissante : la mondialisation n’est pas terminée, elle doit être transformée. Vers une mondialisation coopérative, respectueuse des cultures, soucieuse du vivant. En cela, la pensée chinoise — et plus largement asiatique — convoquée ici, notamment à travers la Ceinture et la Route, entre en résonance avec des philosophies non hégémoniques de l’interdépendance.

    Une autre lecture de l’avenir

    Le plus saisissant dans ce numéro n’est pas l’économie, pourtant omniprésente, mais la tension constante entre lucidité géopolitique et ouverture des imaginaires.

    Oui, la Chine affirme son leadership technologique. Oui, elle développe l’intelligence artificielle à grande échelle. Oui, elle renforce ses chaînes de valeur. Mais derrière cela, on trouve une autre vision : celle d’une modernisation qui n’écrase pas la mémoire, qui n’oppose pas le progrès à la sagesse.

    Ainsi, on découvre dans les pages culturelles des articles magnifiques sur le renouveau de l’art du thangka tibétain, ou sur le film d’animation Nezha 2 — bijou visuel et mythologique qui fait dialoguer les récits fondateurs avec les technologies de pointe. Il ne s’agit pas seulement de moderniser les traditions, mais de les activer, de leur redonner une voix dans le tumulte du contemporain.

    Penser en lien, penser en commun

    Le mot qui revient le plus souvent dans ce numéro n’est pas “croissance” ou “puissance”, mais “coopération”. Non pas la coopération molle des diplomaties fatiguées, mais celle, exigeante, des passerelles à construire.

    On lit notamment une belle analyse sur la relation Chine-UE, entre méfiance réciproque et reconnaissance des interdépendances. Mais c’est surtout dans les voix plus inattendues que ce numéro touche : la parole d’une chanteuse française, Joyce Jonathan, devenue ambassadrice d’un autre imaginaire franco-chinois, ou celle de jeunes filles Yi qui changent leur destin par le football et l’école.

    Ces voix, ces récits, ne sont pas des anecdotes. Ils incarnent une philosophie politique : l’humain au centre, toujours. L’humain comme lien. Comme lieu. Comme souffle.

    Vers une sagesse mondiale ?

    Ce numéro est un appel à penser la coexistence comme co-invention. La paix comme construction lente. La technologie comme outil de libération, non d’asservissement. L’altérité non comme menace, mais comme ressource de sens.

    C’est une lecture salutaire pour les lecteurs de Rebelle, car elle invite à ne pas céder à la simplification du monde. Elle nous demande de penser large, long, lent. De réconcilier la politique avec la profondeur. L’action avec la sagesse. L’Orient avec l’Occident, non dans une fusion, mais dans un respect.

    En refermant Dialogue Chine-France n°23, on ne se sent pas plus chinois ou plus européen. On se sent plus relié.

    Et cela, aujourd’hui, est un acte de résistance.

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  • Littérature sous surveillance : quand la traduction trahit les écrivains chinois

    Cette année, au détour d’un salon du livre, j’ai eu le privilège d’échanger, loin des micros et des discours officiels, avec deux des écrivains chinois les plus traduits en français et dans le monde : Mai Jia et Liu Zhenyun. L’un ancien agent des services cryptographiques reconverti en romancier du secret et du silence. L’autre, chroniqueur du burlesque social, cartographe sensible des existences invisibles.

    Ce qui m’a frappée dans ces discussions, c’est leur étonnement sincère, presque naïf, face à ce que la France a fait de leurs œuvres. Tous deux ont exprimé, avec douceur mais fermeté, leur incompréhension devant les titres français de leurs romans. Ils ne reconnaissent pas ce qu’on leur fait dire. Et moi, j’ai eu honte.

    L’illusion rassurante de la “littérature pure”

    Pendant des années, j’ai étudié les récits médiatiques sur la Chine. J’ai déconstruit les images toutes faites, les peurs mimétiques, les biais cognitifs des géopolitologues de plateaux. Je pensais — naïvement — que la littérature y échappait, qu’elle gardait intacte sa capacité à dire le singulier, à transcender les frontières.

    Et pourtant. Prenons deux cas récents :

    • Un parfum de corruption de Liu Zhenyun,

    • L’enfer des codes de Mai Jia.

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    Deux romans profonds, sensibles, ambigus. Deux œuvres ancrées dans la société chinoise contemporaine, certes, mais traversées avant tout par des questionnements humains : la solitude, la mémoire, la trahison, la quête de sens. Et pourtant, dans leur version française, ces deux livres ont été rhabillés pour l’exportation. Transformés, recadrés, instrumentalisés.

    Quand “mangeur de melon” devient “corruption”

    Le titre original du roman de Liu Zhenyun est limpide pour qui lit le chinois :
    《吃瓜时代的儿女们》 – Les enfants de l’ère des mangeurs de melon.

    C’est un clin d’œil ironique à la culture du voyeurisme, à ces spectateurs passifs qui se nourrissent de scandales comme d’un fruit sucré. Mais la version française devient : Un parfum de corruption. On troque l’ironie contre le soupçon, la satire sociale contre la dénonciation politique.

    Résultat ? On enferme l’œuvre dans une grille de lecture préfabriquée : celle d’une Chine inévitablement corrompue, inévitablement suspecte.

    Quand “Décodé” devient “L’enfer des codes”

    Même schéma pour Mai Jia. Son roman 《解密》 pourrait être sobrement traduit par « Décodé ». Ce mot contient toute l’ambiguïté du livre : qu’est-ce qu’un secret ? Qu’est-ce que l’intelligence ? Peut-on vraiment tout déchiffrer sans se perdre ?

    Mais l’édition française préfère : L’enfer des codes. Et en couverture ? Un Mao fantomatique, surgissant comme une menace posthume. Encore une fois, la poésie est balayée par l’effet, le trouble existentiel par le choc visuel. On caricature. On projette. On lit le roman à travers nos peurs.

    Et si l’ennemi, c’était notre imaginaire éditorial ?

    Ce double exemple est symptomatique d’un mal plus vaste : nous ne savons pas lire la Chine autrement qu’à travers nos fantasmes. La littérature devrait être le lieu de la rencontre, du déplacement, de la surprise. Mais ici, elle est préformatée par des titres racoleurs, des couvertures sensationnalistes, des résumés anxieux.

    Et le pire, c’est que ces pratiques ne sont pas propres à la Chine. Elles s’étendent à toute la littérature étrangère que l’on veut rendre “digestible” pour le lectorat français. On ne traduit plus, on adapte à nos schémas mentaux.

    Lire pour écouter, non pour confirmer

     Mai Jia et Liu Zhenyun sont des écrivains. Des hommes qui creusent leur langue, leur société, leur époque. Leur but n’est pas de parler de la Chine à l’Occident, mais de chercher des vérités intimes au cœur du vacarme collectif.

    Mais encore faut-il qu’on les laisse nous parler. Encore faut-il que la traduction n’efface pas leur voix sous la nôtre.

    Réapprendre à lire — humblement, poétiquement

    Si nous voulons vraiment découvrir la littérature chinoise — ou n’importe quelle littérature non occidentale —, il nous faudra réapprendre à lire sans filtre, sans soupçon, sans sensationnalisme. Lire comme on écoute un inconnu qui nous parle de sa vie, non comme on dissèque un pays sur une carte stratégique.

    Car les écrivains, eux, ne sont ni stratèges ni diplomates. Ils sont chercheurs de sens, parfois sans le savoir. Et ce sens-là ne passe ni par Mao ni par la corruption. Il passe par le tremblement du réel, par ce qu’un être ressent quand il est trahi, ou quand il comprend soudain que le monde ne se décrypte pas.