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technique

  • Ouvrir pour penser, penser pour relier — Ce que Dialogue Chine-France n°23 nous dit du monde

    Dialogue, Chine, France, Diplomatie, ouverture, Europe, Relations, cinquante ans, Le numéro 23 de la revue Dialogue Chine-France n’est pas un simple bulletin diplomatique : il est un miroir. Et peut-être même une lanterne. À l’heure où la planète vacille, il appelle à un éveil. Non pas l’éveil tapageur de l’idéologie, mais celui, exigeant, de l’intelligence.

    À première vue, ce numéro semble s’inscrire dans une logique de célébration : celle des 50 ans des relations diplomatiques entre la Chine et l’Union européenne. Mais très vite, les pages nous emportent ailleurs : dans une réflexion profonde sur le monde comme relation. Ce monde abîmé par les replis, menacé par les conflits, fasciné par les machines — et dont les peuples, eux, cherchent à retrouver le sens.

    Le contraire du repli

    Le titre de ce numéro — Des portes ouvertes, des horizons partagés — est une réponse nette, calme, à la tentation du repli. Ce qui s’ouvre ici, ce ne sont pas des marchés. Ce sont des possibles.

    Dès les premières pages, un choix politique majeur se dessine : faire de l’ouverture un principe, et non un calcul. Il ne s’agit pas seulement d’exporter des marchandises ou de signer des traités. Il s’agit de faire confiance. Dans un monde fragmenté, où la “coexistence” est souvent synonyme de surveillance mutuelle, cette posture a quelque chose d’audacieux.

    Les auteurs — chercheurs, diplomates, journalistes — défendent une idée simple mais puissante : la mondialisation n’est pas terminée, elle doit être transformée. Vers une mondialisation coopérative, respectueuse des cultures, soucieuse du vivant. En cela, la pensée chinoise — et plus largement asiatique — convoquée ici, notamment à travers la Ceinture et la Route, entre en résonance avec des philosophies non hégémoniques de l’interdépendance.

    Une autre lecture de l’avenir

    Le plus saisissant dans ce numéro n’est pas l’économie, pourtant omniprésente, mais la tension constante entre lucidité géopolitique et ouverture des imaginaires.

    Oui, la Chine affirme son leadership technologique. Oui, elle développe l’intelligence artificielle à grande échelle. Oui, elle renforce ses chaînes de valeur. Mais derrière cela, on trouve une autre vision : celle d’une modernisation qui n’écrase pas la mémoire, qui n’oppose pas le progrès à la sagesse.

    Ainsi, on découvre dans les pages culturelles des articles magnifiques sur le renouveau de l’art du thangka tibétain, ou sur le film d’animation Nezha 2 — bijou visuel et mythologique qui fait dialoguer les récits fondateurs avec les technologies de pointe. Il ne s’agit pas seulement de moderniser les traditions, mais de les activer, de leur redonner une voix dans le tumulte du contemporain.

    Penser en lien, penser en commun

    Le mot qui revient le plus souvent dans ce numéro n’est pas “croissance” ou “puissance”, mais “coopération”. Non pas la coopération molle des diplomaties fatiguées, mais celle, exigeante, des passerelles à construire.

    On lit notamment une belle analyse sur la relation Chine-UE, entre méfiance réciproque et reconnaissance des interdépendances. Mais c’est surtout dans les voix plus inattendues que ce numéro touche : la parole d’une chanteuse française, Joyce Jonathan, devenue ambassadrice d’un autre imaginaire franco-chinois, ou celle de jeunes filles Yi qui changent leur destin par le football et l’école.

    Ces voix, ces récits, ne sont pas des anecdotes. Ils incarnent une philosophie politique : l’humain au centre, toujours. L’humain comme lien. Comme lieu. Comme souffle.

    Vers une sagesse mondiale ?

    Ce numéro est un appel à penser la coexistence comme co-invention. La paix comme construction lente. La technologie comme outil de libération, non d’asservissement. L’altérité non comme menace, mais comme ressource de sens.

    C’est une lecture salutaire pour les lecteurs de Rebelle, car elle invite à ne pas céder à la simplification du monde. Elle nous demande de penser large, long, lent. De réconcilier la politique avec la profondeur. L’action avec la sagesse. L’Orient avec l’Occident, non dans une fusion, mais dans un respect.

    En refermant Dialogue Chine-France n°23, on ne se sent pas plus chinois ou plus européen. On se sent plus relié.

    Et cela, aujourd’hui, est un acte de résistance.

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  • Georges Bernanos : "La France contre les Robots"

    Georges Bernanos, France, Robot, Technique, Logique, Démocratie

    "La Technique prétendra tôt ou tard former des collaborateurs acquis corps et âme à son Principe, c’est-à-dire qui accepteront sans discussion inutile sa conception de l’ordre, la vie, ses Raisons de Vivre, Dans un monde tout entier voué à l’Efficience, au Rendement, n’importe-t-il pas que chaque citoyen, dès sa naissance, soit consacré aux mêmes dieux ? La Technique ne peut être discutée, les solutions qu’elle impose étant par définition les plus pratiques. Une solution pratique n’est pas esthétique ou morale. Imbéciles ! La Technique ne se reconnaît-elle pas déjà le droit, par exemple, d’orienter les jeunes enfants vers telle ou, telle profession ? N’attendez pas qu’elle se contente toujours de les orienter, elle les désignera. Ainsi, à l’idée morale, et même surnaturelle, de la vocation s’oppose peu à peu celle d’une simple disposition physique et Mentale, facilement contrôlable par les Techniciens. Croyez-vous, imbéciles, qu’un tel système, et si rigoureux, puisse subsister par le simple consentement ? Pour l’accepter comme il veut qu’on l’accepte, il faut y croire, il faut y conformer entièrement non seulement ses actes, mais sa conscience. Le système n’admet pas de mécontents. Le rendement d’un mécontent — les statistiques le prouvent — est inférieur de 30 % au rendement normal, et de 5o ou 6o % au rendement d’un citoyen qui ne se contente pas de trouver sa situation supportable – en attendant le Paradis — mais qui la tient pour la meilleure possible. Dès lors, le premier venu comprend très bien quelle sorte de collaborateur le technicien est tenu logiquement de former. Il n’y a rien de plus mélancolique que d’entendre les imbéciles donner encore au mot de Démocratie son ancien sens. Imbéciles ! Comment diable pouvez-vous espérer que la Technique tolère un régime où le technicien serait désigné par le moyen du vote, c’est-à-dire non pas selon son expérience technique garantie par des diplômes, mais selon le degré de sympathie qu’il est capable d’inspirer à l’électeur ? La Société moderne est désormais un ensemble de problèmes techniques à résoudre. Quelle place le politicien roublard, comme d’ailleurs l’électeur idéaliste, peuvent-ils avoir là-dedans ? Imbéciles ! Pensez-vous que la marche de tous ces rouages – économiques, étroitement dépendants les uns des autres et tournant à la vitesse de l’éclair va dépendre demain du bon plaisir des braves gens rassemblés dans les comices pour acclamer tel ou tel programme électoral ? Imaginez-vous que la Technique d’orientation professionnelle, après avoir désigné pour quelque emploi subalterne un citoyen jugé particulièrement mal doué, supportera que le vote de ce malheureux décide, en dernier ressort, de l’adoption ou du rejet d’une mesure proposée par la Technique elle-même ? Imbéciles ! Chaque progrès de la Technique vous éloigne un peu plus de la démocratie rêvée jadis par les ouvriers idéalistes du Faubourg Saint-Antoine."


    Georges Bernanos, "La France contre les Robots" (1947).