Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

histoire

  • Hong Kong (toujours) sous un autre angle

    Première publication sur le site de Chine-Info, le 29 mai 2020.

    Pourquoi « toujours sous un autre angle » ? Simplement parce qu’en 2014, je titrais un article « Hong Kong sous un autre angle1 » où je notais que notre vision occidentale nous empêchait de mesurer la situation correctement. Comment dépasser cet empêchement ? Comment changer notre vision ? Pour la changer, il faut regarder l’histoire… et en dessiner en creux ses conséquences sur le présent. Dans cet article un peu long, j’en conviens (mais je laisse à chacun le soin de lire les parties comme il le souhaite) il s’agit de revenir sur l’histoire de ce territoire. Nous parlons beaucoup de Hong Kong mais qu’en savons-nous au juste ? Avons-nous pris le temps de considérer sa situation autrement ?

    Pour ceux qui ne souhaitent pas lire l’intégralité de l’article, je résume les six parties qui le composent. La première s’attache à connaître les origines de ce port de pêche sur les rives de la Rivière des Perles. La deuxième fait émerger sa situation commerciale et son rôle dans la première guerre d’opium. Enjeu qui sera confirmé, dans la troisième partie, lors de la seconde guerre d'opium et aussi sous l’occupation japonaise. La quatrième partie évoque la « rétrocession ». La cinquième partie vous présente les éléments de la loi fondamentale de Hong Kong et ceux de la loi de sécurité proposée à l’Assemblée Nationale populaire. Enfin dans la sixième partie, nous questionnons légitimement le symbole que représente Hong Kong. Serait-ce la fin de l’impérialisme occidental ? Serait-ce la raison pour laquelle le Président américain menace Pékin de répercussions « très vigoureuses2 » ?

    Regarder autrement

    Hong Kong (香港, littéralement « port aux parfums » ou « port parfumé ») se situe dans le sud-est de la Chine, sur la rive orientale de la Rivière des Perles. Précisons que la Rivière des Perles naît de la jonction de deux fleuves, le Xi Jiang (西江, fleuve de l'ouest) et le Bei Jiang (北江, fleuve du Nord). Au-delà de l’anecdote géographique, il est probable que cette image de jonction a inspiré la réflexion autour de la notion « un pays deux systèmes ». Aujourd’hui, elle compte sept millions d’habitants. Pour vous donner un ordre de grandeur, Paris compte trois fois moins d’habitants (2,5 millions environ). Hong Kong est baignée par la mer de Chine. J’arrête ici ma carte postale.

    Car Hong Kong c’est aussi une histoire bien particulière, que nous avons tendance à oublier.

    Tout d’abord, c’est sous la dynastie Qin qu’elle a été incorporée, pour la première fois à la Chine, soit environ en 214 avant notre ère, après avoir conquis les Yue (peuple de l’Antiquité qui vivait principalement au sud-est de l'actuelle Chine et au nord de l'actuel Vietnam). Je passe sur l’effondrement de la dynastie Qin, la reprise par les Han, le passage par la dynastie Song… pour arriver à son premier visiteur européen : le navigateur portugais Jorge Álvares. Nous sommes en 1513. Il est intéressant de voir que les marchands portugais établissent un comptoir portugais (sous le nom de « Tamão ») et commencent à commercer régulièrement avec la Chine. Et surtout les portugais fondent en 1550 Macao. Ils sont les premiers à ouvrir la voie du commerce avec la Chine et l’Asie de façon générale3. En 1685, sous le règne de l’empereur Kangxi, un édit impérial autorise l’ouverture de tous les ports chinois aux navires étrangers. Cependant, ce commerce est limité, c’est-à-dire encadré par des règles strictes : taxes pour les négociants étrangers, obligation de passer par un seul intermédiaire (le marchand de l’empereur) qui prélève des taxes au profit de l’État. En 1720 cet intermédiaire est remplacé par des Hongs qui auront le monopole du commerce avec les étrangers jusqu’en 1842.

    Du commerce à la guerre d’opium : la cession de Hong Kong

    En 1830, Hong Kong demeure un joli port de pêche qui compte environ 7 500 habitants (majoritairement des pêcheurs4 et des producteurs de charbon de bois5). Mais sa position stratégique sur la rive orientale de la Rivière des Perles attire les convoitises. Hong Kong devient très vite le lieu « relais » de Canton, ville plus éloignée, plus complexe à atteindre. La profondeur des eaux de Hong Kong permet le transport de plus de marchandises par des navires marchands volumineux. Ce qui favorise le développement du commerce. En d’autres termes, toutes les marchandises transitent ici. Sans doute est-ce l’une des raisons pour laquelle les britanniques se sont installés à Hong Kong d'abord pour le commerce, ensuite pour la première guerre d'opium (1839-1842).

    Nous devons ici rappeler ce qu’est la « guerre d’opium ». Les chinois connaissent l'opium par le biais de leur médecine, comme analgésique. Les Portugais sont les premiers à leur vendre des caisses d’opium provenant d’Inde. En 1729, les Britanniques se lancent dans ce commerce lucratif qui se développe. La même année, l’empereur Yong Zheng promulgue l’interdiction du trafic d’opium, le considérant dorénavant comme un produit de contrebande. À cette période, les Britanniques exigent d’être payés en lingots d'argent. Ainsi ils récupèrent le précieux métal précédemment cédé dans le commerce du thé. Les échanges commerciaux sont donc en faveur de l’Empire britannique et la Chine tend à se replier.

    En 1796, l’empereur Jiaqing confirme l’interdiction du trafic de l’opium, sous peine de mort. Un troisième édit est proclamé en 1800. Il confirme la prohibition de l’opium et interdit sa culture sur le sol chinois. En 1839, Lin Zexu arrive à Canton. Nous pourrions le qualifier d’incorruptible. Il établit la liste de toutes les fumeries d’opium, de leurs tenanciers et des vendeurs. Il confisque les stocks d’opium. Il demande aux propriétaires de remettre la drogue en échange de thé. Et il leur fait renoncer par écrit au commerce avec les Chinois. Il édicte une loi concernant la fouille des bateaux étrangers entrant dans les eaux territoriales chinoises. En parallèle il écrit une lettre à la reine Victoria pour lui expliquer que la consommation d’opium est interdite en Chine et lui demande d’en faire cesser le trafic. C’est le début de la première guerre d’opium.

    Les représentants de la Cour signent à bord d’une canonnière britannique le Traité de Nankin (29 août 1842), qui sera complété en 1843 par le Traité du Bogue (虎门条约). Ce dernier est d’importance car il ajoute au précédent une garantie d'extraterritorialité et une clause de la nation la plus favorisée aux Britanniques.

    Dans ce traité nous trouvons les points suivants :

    - la cession de Hong Kong ;

    - l’ouverture de cinq ports : Xiamen, Canton, Fuzhou, Ningbo et Shangai ;

    - des indemnités de guerre (frais de guerre auxquels s’ajoute la destruction des stocks d’opium) : 21 millions de yuans ;

    - les droits de douanes : les commerçants britanniques sont assujettis au paiement de droits sur les importations et les exportations ;

    - le droit de la juridiction consulaire : en cas de litige entre un Chinois et un Britannique, une juridiction britannique tranchera sur la base des lois britanniques ;

    - la nation la plus favorisée : si la Chine signe un traité avec une autre puissance, le privilège accordé à la nation en question sera également accordé au Royaume-Uni.

    Cette dernière clause permet aux États-Unis6 et à la France7 de signer des accords pour avoir des droits en Chine. Ces traités sont loin d’être anecdotiques, ils entraînent la Chine dans un repli sur elle-même et des affrontements internes sans précédents.

    Seconde guerre d’opium et occupation japonaise

    La dynastie Qing mettra quinze longues années à venir à bout de la révolte des Taiping (1851-1864). Et en parallèle doit gérer la seconde guerre d’opium entre 1856 et 1860. La France et le Royaume-Uni s’opposent à la Chine. Si nous devions résumer cette seconde guerre de l’opium nous devrions nous arrêter un instant sur ce qui l’a déclenchée. Nous sommes en octobre 1856, la police chinoise arrête à Canton l’équipage chinois d'un navire accusé de piraterie. Le consul britannique prétend mensongèrement que le bateau arborait le drapeau britannique, qu’il était enregistré à Hong Kong. La Chine n’a donc aucun droit d’arrêter ce navire. Même si le gouverneur chinois Ye Mingchen propose l’apaisement en libérant les prisonniers, les Britanniques décident de soumettre Canton en bombardant la ville pendant trois semaines. Les Britanniques investissent Canton à la fin du mois d’octobre. En 1857, les Français s’associent aux Britanniques et bombardent la ville à nouveau. Mai 1858, les troupes navales occidentales bombardent les forts qui protègent l'accès à Pékin.

    Le 26 juin 1858, signature du traité de Tianjin (天津条约)8. Le Second Empire français, le Royaume-Uni, l'Empire russe et les États-Unis obtiennent :

    - l’ouverture de onze nouveaux ports en plus de ceux mentionnés par le traité de Nankin ;

    - Britanniques, Français et Américains auront le droit d'établir des délégations permanentes à Pékin;

    - les bateaux étrangers (même militaires) pourront naviguer sans contrôle sur le fleuve Yangzi Jiang (fleuve qui traverse presque toute la Chine) ;

    -les étrangers pourront voyager dans les régions intérieures de la Chine afin de commercer, envoyer des missionnaires ou pour tout autre but ;

    - la Chine devra payer une indemnité à l'Angleterre et à la France de 2 millions de Tael d’argent et une compensation aux marchands anglais de 2 autres millions ;

    - les lettres et documents officiels entre la Chine et le Royaume-Uni devront exclure, pour désigner les sujets de la Couronne britannique et ses officiels le caractère « 夷 » (yi) qui signifie « barbare » ;

    - la légalisation de l'opium par la Chine, dont l'illégalité n'avait pas été remise en cause par le traité de Nankin.

    En 1860, les armées britannique et française débarquent sur le sol chinois. En septembre, elles prennent la ville de Tianjin, puis elles campent sous les murailles de Pékin. En octobre 1860, Pékin tombe et est pillée. Le Palais d’été (圆明园 Yuanmingyuan) est pillé et incendié.

    Le 24 octobre 1860, signature de la convention de Pékin (北京条约) entre le Royaume-Uni, la France, la Russie et la Chine. Cet accord rend aux Britanniques le commerce de l’opium et les droits des chrétiens sont légalisés (ils ont accès à la propriété privée et le droit à l’évangélisation). Dans les clauses de cet accord, on trouve également la cession perpétuelle du sud de la péninsule de Kowloon (九龍) au Royaume-Uni, ainsi que de Ngong shuen chau (昂船洲), ce qui agrandit notablement la colonie de Hong-Kong.

    En 1898, l'Allemagne, la France et la Russie acquièrent des droits sur différents territoires chinois. Par réaction, le Royaume-Uni cherche à agrandir sa colonie de Hong Kong. Il signe avec la Chine la Convention pour l'extension du territoire de Hong Kong, un traité concède un bail de 99 ans sur l'ensemble des nouveaux territoires.

    L’occupation japonaise de Hong Kong intervient quant à elle de 1941 à 1945. Les forces indiennes, britanniques et canadiennes cèdent, après dix huit jours de combats, face aux forces impériales japonaises. Hong Kong retournera sous juridiction anglaise, après la capitulation du Japon le 2 septembre 1945. Comme le souligne Pierre Grosser9, nous avons tendance à oublier que c’est ce traité qui met fin à la seconde guerre mondiale.

    Sans ces présupposés historiques, impossible de comprendre la situation actuelle de Hong Kong et tout l’enjeu des guerres d’influence qui s’y opèrent. Et pour en saisir l’organisation, nous devons regarder avec attention la période de « rétrocession » de Hong Kong à la Chine. Nous devons également avoir à l’esprit la question suivante : pourquoi l’occident cherche-t-il à interférer dans la gestion de Hong Kong ?

    La rétrocession de Hong Kong

    Tandis que la Grande Bretagne est fortement affaiblie par la Guerre des Malouines (Falklands War) de 1982, la Chine négocie la rétrocession de Hong Kong. Margaret Thatcher rencontre, en septembre 1982, Deng Xiaoping. Les discussions sont houleuses, la Chine cherche à s’émanciper de toute pression tutélaire. En 1984 est signée la « déclaration conjointe du gouvernement de la république populaire de Chine et du gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord sur la question de Hong Kong10 ».

    Aux yeux de la Chine, Hong Kong dans son ensemble devait être rendu car ce territoire, comme d’autres avaient été acquis par des traités inégaux11. Ces traités inégaux recouvrent tout ce qui a été acquis par les puissances étrangères lors du siècle d'humiliation qui recouvre la période (évoquée précédemment) d'intervention et d’impérialisme par les puissances occidentales et le Japon en Chine entre 1839 et 194912. En d’autres termes, il s’agit d’en finir avec une vision unique du monde.

    Cet accord de 1984 prévoit la rétrocession pour le 1er juillet 1997. Il précise également que Hong Kong devra conserver de 1997 à 2047 un certain degré d’autonomie en vertu du principe « Un pays, deux systèmes ». L’Assemblée nationale populaire chinoise adopte en ce sens en 1990 une Loi fondamentale13 garantissant à Hong Kong la conservation de sa monnaie, de son administration et de son système judiciaire.

    « Un pays, deux systèmes » et la loi de sécurité nationale

    « Notre politique consiste à appliquer le principe dit "un État, deux systèmes" ; pour parler plus précisément, cela signifie qu'au sein de la République populaire de Chine, le milliard et demi de Chinois habitant la partie continentale vit sous un régime socialiste, tandis que Hong Kong, Macao et Taïwan sont régis par un système capitaliste. Ces dernières années, la Chine s'est attachée à redresser les erreurs "de gauche" et a élaboré, dans tous les domaines, une politique qui tient compte des conditions réelles. Cinq ans et demi d'efforts ont porté des fruits. C'est précisément dans cette conjoncture que nous avons avancé la formule "un État, deux systèmes" pour régler le problème de Hong Kong et de Taïwan. »

    Deng Xiaoping

    D’un point de vue linguistique l’expression « deux systèmes » signifie que deux systèmes coexistent au même endroit, au même moment. Comment en un même lieu, en une même place faire coïncider deux systèmes (économique, social, etc.) si différents ? C’est un pari historique plus que risqué. D’un point de vue global, c’est très intéressant. Appliquer un double système, c’est chercher à ne garder que le meilleur de chacun des systèmes, devenus des sous-systèmes de ce nouveau système. Cet entre-deux est unique. Il fait progresser un nouveau système qui se nourrit des avancées de ces deux sous systèmes : le capitalisme et le socialisme. Il convient donc de voir comment, dans le futur, la fusion de ces deux systèmes serait possible pour le bien commun de l’ensemble de la population chinoise.

    Mais si nous prenons l’effet sur les esprits de chaque citoyen, nous pouvons y lire très vite les failles. Deux systèmes signifient alors que chacun, en fonction de sa propre expérience, de sa propre histoire (donc de ses frustrations), va espérer selon un des systèmes. Peu à peu, de génération en génération, se transmet une forme d’idéalisme doublée d’une fantasmagorie qui est propre à chaque citoyen. Comment dès lors accepter une situation contractuelle établi des années en arrière ?

    Selon l’article 31 de la Constitution de la République populaire de Chine14 « L’État établit, en cas de besoin, des régions administratives spéciales ; les systèmes à appliquer dans ces régions administratives spéciales sont déterminés sous forme de loi, selon la situation concrète, par l’Assemblée populaire nationale ». Il faudra attendre début de l’année 1983 pour que le gouvernement chinois formule douze points fondamentaux qui régissent Hong Kong.

    Au point numéro deux, on peut lire « la Chine créerait, en vertu de l’article 31 de la Constitution, une région administrative spéciale à Hong Kong, qui relèverait directement du gouvernement populaire central et jouirait d’une autonomie de haut degré ».

    Au point trois, on peut lire « la Région administrative spéciale de Hong Kong serait dotée du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire indépendant ».

    Le point quatre stipule clairement « le gouvernement de la Région administrative spéciale serait constitué d’habitants locaux, les principaux membres du gouvernement seraient nommés par le gouvernement populaire central sur la base des résultats des élections ou consultations organisées dans les différentes régions de Hong Kong ». Le cinquième article établit que les acquis sociaux en matière de système de santé, de liberté d’expression, etc. seraient préservés.

    Le dixième article précise que Hong Kong peut et est encouragé à poursuivre ses relations extérieures avec les autres pays.

    Enfin le douzième article explique la durée de ce contrat : cinquante ans. Ce système est donc conçu pour durer jusqu’en 2047.

    Ce jeudi 28 mai 2020, l’Assemblée Nationale Populaire15 devait voter une loi pour « sauvegarder la sécurité nationale dans la région administrative spéciale de Hong Kong » qui a pour principes de bases : la protection de la sécurité nationale, maintenir et améliorer « un pays deux systèmes », gouverner Hong Kong selon la loi, s'opposer aux ingérences internationales, protéger les droits et les intérêts légitimes des résidents de Hong Kong16. Cette loi soulève des craintes17 quant à des modifications de la loi fondamentale. Mais justement d’où vient cette crainte ? Est-elle justifiée ? Nous devons nous demander ici si le prisme médiatique occidental qui répète en boucle cette crainte est justifiée ou non ? Ou s’il masque un jeu d’influence ?

    Hong Kong symbole de la fin de la domination occidentale

    Le journaliste Frédéric Lemaître justifie cette crainte en soulevant l’article n°6 qui vise « à prévenir, stopper ou punir toute conduite qui met sérieusement en danger la sécurité nationale, telle que le séparatisme, la subversion du pouvoir d’État, ou l’organisation ou l’exécution d’activités terroristes aussi bien que des activités des forces étrangères et menées de l’étranger qui interfèrent dans les affaires de Hongkong »18.

    Il est intéressant de voir qu’il juxtapose cet article de façon immédiate au précédent de 2003 qui prévoyait l’adoption, par les autorités de la région administrative spéciale, d’une législation permettant d’interdire « tout acte de trahison, sécession, sédition et subversion ». Mais ce que ne dit pas Frédéric Lemaître c’est le financement du mouvement « Occupy Central », un mouvement dit étudiant et spontané mais dont les fonds proviennent de la part de la NED19.

    Cette collusion a déjà été soulevée par Tony Cartalucci dans un article en 201420 dans lequel il soulève les liens entre cette fondation et des entreprises. Il y note également que le système de propagande américaine dessert les intérêts de sa propre population21. Wei Xinyan et Zhong Weiping démontrent dans un article22 que la NED a des implications dans le recrutement dans certains médias dont le South China Morning Post et la Hong Kong Free Press, qui organisent les manifestations contre la loi de l’extradition.

    Hong Kong est devenue en 2019, la troisième place financière du monde (et elle talonne de près Londres pour la seconde place)23. Nous pouvons mesurer le parcours historique de ce petit port de pêche à la ville moderne, place financière mondiale incontournable. Une ville-monde en quelque sorte. Mais cette ville-monde n’en demeure pas moins toujours un port d’entrée vers la Chine intérieure. Par l’adoption de cette loi, Pékin réaffirme que Hong Kong est un territoire chinois et, comme tel, il est régi non pas par les multinationales occidentales ou leurs fondations mais bien par le gouvernement chinois. À nouveau, Hong Kong retrouve cette position historique de charnière, de lieu où se rencontrent deux visions du monde. Deux systèmes, certes, mais bien un pays. Et ce pays a été, est et sera la Chine.

    Hong Kong, animé par une jeunesse dont la mémoire ne va pas chercher ses racines dans les faits historiques mais davantage dans des storytelling ne peut vivre cela que comme un déchirement, une incompréhension. Mais cette jeunesse n’est pas Hong Kong dans son ensemble. Hong Kong, ce doux port parfumé, tend à l’Occident un miroir. Au lieu de se complaire dans une image, nous devrions prendre le temps de regarder avec acuité le nouveau monde qui se dessine. Hong Kong symbole de la fin d’une domination occidentale sans partage. La seule question qu’il convient de se poser maintenant est : l’occident se résoudra-t-il à laisser émerger un monde multipolaire où les responsabilités sont mises en commun ?

    _____________

    1 Accessible désormais à l’adresse suivante : https://www.academia.edu/8788475/Hong_Kong_sous_un_autre_angle

    2 Cf. Florence de Changy, correspondante du journal Le Monde, dans son article intitulé Pékin se prépare à imposer une loi de sécurité nationale à Hongkong, le samedi 23 mai 2020

    3 Rappelons que les Espagnols s’installent aux Philippines en 1565. Les Hollandais, quant à eux, occupent une partie des îles indonésiennes.

    4 Les pêcheurs sont une ethnie appelée « Tankas » (疍家) ou « peuple des bateaux » qui vivent sur des jonques.

    5 Concernant le bois, c’est l’ethnie appelée « Hakkas » (客家人) ou « familles invitées/familles qui ne sont pas d'ici » et sont ainsi qualifiés les Han vivant au sud de la Chine. Ils sont considérés comme les lointains descendants de réfugiés originaires des provinces du Henan, du Shanxi et du nord du Hubei.

    6 Pour les États-Unis, le traité de Wanghia (望厦条约) qui garantit tarifs fixes sur les échanges des ports ouverts au commerce étranger :

    - le droit d'acheter des terres dans les cinq ports ouverts au commerce étranger et d'ériger des églises et des hôpitaux dans ces villes ;

    - le droit d'apprendre le chinois en supprimant une loi qui jusqu'ici interdit aux étrangers de le faire ;

    - les États-Unis reçurent le statut de nation favorisé, et ainsi donnait aux États-Unis le même traitement salutaire que la Chine donnait à d'autres puissances telles que la Grande-Bretagne, et permis aux États-Unis de modifier le traité après 12 ans.

    7 Le traité de Huangpu (黄埔条约) garantit l'ouverture de cinq ports au commerce français (Canton, Fuzhou, Ningbo, Shanghai et Xiamen) et approuve des privilèges extraterritoriaux pour les citoyens français en Chine, des droits de douane fixes sur le commerce franco-chinois et le droit pour la France de mettre en poste des consuls en Chine. Une convention supplémentaire assurait la protection des missionnaires catholiques en garantissant leur reconduite auprès du consul de France si une autorité chinoise locale les jugeait indésirables, et l'absence de persécution pour les Chinois catholiques à qui rien d'autre ne pouvait être reproché.

    8 Le traité est intégralement disponible en ligne à l’adresse suivante : https://web.archive.org/web/20101225022905/http://web.jjay.cuny.edu/~jobrien/reference/ob28.html

    9 Cf. Pierre Grosser, L’histoire du monde se fait en Asie, éd. Odile Jacob

    10 Comme le fait remarquer Peter Slinn, c’est un moment exceptionnel dans le droit international, car il s’agit d’un accord sans précédent qui inaugure des nouveaux procédés et réglementations. Voir son article Le règlement sino-britannique de la question de Hong-Kong paru en 1985 dans le numéro 31 de l’Annuaire de Droit International - accessible à l’adresse suivante : https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1985_num_31_1_2652

    11 Cf. Auslin, Michael R. (2004). Négociation avec l’impérialisme : Les traités inégaux et la culture de la diplomatie japonaise. Cambridge : Harvard University Press.

    12 Cf. Hsu, Immanuel Chung-yue (1970). La montée de la Chine moderne. New York : Oxford University Press

    13 Ce texte est accessible à l’adresse suivante : https://www.basiclaw.gov.hk/en/anniversary30/ce-message.html

    14 Approuvée et promulguée le 4 décembre 1982 par la 5e session de la Ve Assemblée populaire nationale

    15 L'Assemblée nationale populaire ou ANP (全国人民代表大会) est composée de 3 000 représentants, élus pour cinq ans par un système de vote indirect.

    16 Voir notamment le reportage de CGTN accessible notamment à l’adresse suivante : https://youtu.be/5_yBGqWwBBo

    17 Comme le souligne Zhang Zhulin dans son article Tensions à Hong Kong à la veille de l’adoption de la loi sur la sécurité nationale, repris dans le Courrier International du 27 mai 2020 - accessible à l’adresse suivante : https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/chine-tensions-hong-kong-la-veille-de-ladoption-de-la-loi-sur-la-securite-nationale

    18 Cf. Frédéric Lemaître Pourquoi la Chine veut imposer sa loi sur la sécurité à Hongkong, Le Monde du 25 mai 2020 - accessible à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/25/pekin-veut-securiser-hongkong-contre-les-interferences-etrangeres_6040658_3210.html

    19 National Endowment for Democracy ou Fondation nationale pour la démocratie (NED). Il s’agit d’une fondation privée à buts non lucratifs. Elle a été fondée en 1983 et son objectif est le renforcement et le progrès des institutions démocratiques à travers le monde. Pour plus d’informations : https://www.ned.org/

    20 Cf. Tony Cartalucci Les États-Unis reconnaissent qu’ils financent « Occupy Central » (octobre 2014), Les Crises - accessible en ligne à l’adresse suivante : https://www.les-crises.fr/les-etats-unis-reconnaissent-quils-financent-occupy-central/

    21 Nous pourrions ici remémorer tout le travail de la commission Creel (ou Committee on Public Information) dont l’objectif a été de faire adhérer l’opinion publique à l'effort de guerre ou encore les œuvres de Bernays dans la conception de la propagande moderne. Pour ceux qui ne souhaitent pas lire ses ouvrages, je conseille l’excellent documentaire de Jimmy Leipold intitulé Propaganda - la fabrique du consentement (Arte - 2018) - accessible en ligne à l’adresse suivante : https://www.dailymotion.com/video/x6kqf6i

    22Cf. Wei Xinyan & Zhong Weiping, Who is behind Hong Kong protests ?, China Daily (août 2019), article accessible à l’adresse suivante : https://www.chinadaily.com.cn/a/201908/17/WS5d578b28a310cf3e355664f1_2.html

    23 Voir sur ce point l’article de Etienne Goetz, Hong Kong, troisième place financière au monde, Les Echos, 17 août 2019 - article accessible en ligne à l’adresse suivante : https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/hong-kong-troisieme-place-financiere-au-monde-1124778

  • Zunyi - 遵義

    002564bbae9c0f220a4406.jpg

    Ce week-end, offrons-nous une respiration à Zunyi, une ville au coeur de la Chine. Cette ville se trouve au nord de la province de Guizhou (貴州省 ). Cette région est, quant à elle, située au Sud de la Chine. Montagneuse et difficile d'accès, cette région a souvent été "oubliée". Sans doute était-ce pour mieux en préserver les légendes. 

    Cette région est cependant au centre de l'histoire même de la Chine. Elle abrite près de dix-sept ethnies minoritaires dont les Miaos () - le peuple des rizières -, les Buyeis (布依族) - une ethnie majoritairement animiste -, les Dongs (侗族) un peuple des montagnes dont les chants sont adaptés à chaque situation de la vie- les Zhuangs (壯族). 

    Autant dire que cette province est faite de milles visages, de mille coutumes. Chaque recoin de ses montagnes abritent une histoire, une vision, une danse entre les nuages. Les vents se jouent de l'horizon. Les collines se dressent en un dragon fier. Et si vous êtes attentifs, vous pouvez décelé à l'oeil nu des ruines qui se dressent. Elles veillent encore. Il s'agit des ruines de Hailongtun (海龙屯) littéralement le Château du Dragon de mer. Depuis 2015, elles sont classées "monument du patrimoine mondial de l'humanité" auprès de l'UNESCO.

     

    Hailongtun (海龙屯) : entre mythologie & histoire

    Construit, par le magistrat local Yang Wen, en 1257 (pendant la Dynastie Song du Sud). Cette construction a défendu la région contre les envahisseurs et notamment les forces mongoles. Elle a également servi de protection aux dynasties Yuan (1271-1368) Ming (1368-1644) et suivantes. Plus qu'une simple garnison militaire, le complexe est en quelque sorte une ville ancienne en miniature, avec un palais, des temples ancestrales, des quartiers, un entrepôt et une clinique. Il a été localement conçu et construit à travers la collaboration entre des architectes issus de différentes origines ethniques (dont les Hans, Miaos, Gelaos et Tujias) et se distingue par son mélange distinctif de caractéristiques architecturales.

    Cette forteresse légendaire a une histoire commune avec celle de la famille Yang, qui a dominé la région pendant des siècles. À la fin de la dynastie des Tang, Bozhou a été dépassée par le régime voisin de Nanzhao, et les forces Tang menées par Yang Duan ont été envoyées pour le récupérer. Après sa victoire, Yang Duan est resté dans la région pour gouverner, marquant le début de la domination de sa famille. Son fils a hérité de son titre.

    En 1573, Yang Yinglong hérite ainsi du poste de gouverneur de Bozhou. À l'époque, la dynastie des Ming avait une politique laxiste à l'égard des responsables régionaux des régions du sud-ouest, qu'il considérait comme des eaux secondaires minoritaires. Tant que les régions ont envoyé l'hommage requis à la cour impériale, les dirigeants locaux avaient le droit de faire ce qu'ils voulaient. Avec ses terres fertiles et sa récolte abondante, Bozhou était convoitée par des seigneurs de guerre au Sichuan et au Guizhou. Soutenue par une armée considérable, Yang Yinglong a mené un style de vie extravagant et a régi avec un poing de fer.

    001ec949ff5c1703333117.jpg

    Mais lorsqu'il a tué sa femme à la suite d'une altercation, les responsables de Guizhou l'ont signalé à l'autorité centrale. Ils l'ont également accusé de tentatives de rebellions. L'empereur de Song a alors envoyé une armée de 240 000 personnes pour assiéger Hailongtun. Après une bataille sanglante qui a duré 114 jours, les forces impériales ont traversé les fortifications arrière de Hailongtun. Yang Yinglong s'est enfermé avec deux concubines dans une pièce et il a mis le feu. Les forces impériales ont organisé un massacre, décapitant plus de 20 000 habitants. Ce massacre, est sans doute, l'un des pires de l'histoire de la Chine, met fin à 725 ans de règne de la famille Yang dans la région.

    Donc au détour des collines verdoyantes c'est cette histoire qui vous regarde. Il a fallu beaucoup d'ingéniosité pour créer ses escaliers au coeur d'une végétation intense. Un dédale de marches conduit à des portes ancestrales. Les mille couleurs du jour, vous entraînent dans la magie des lieux. Les marches qui mènent aux portes, aux temples, vous font avaler un dénivelé de près de 500 mètres par endroit. Sans doute est-ce là le vertige historique qui se fait ressentir. 

    002564bbb1ef13ac9e5a20.jpg

     

    L'histoire en marche

    Cependant l'histoire passée ne doit pas faire oublier celle du présent. Faisons un bon historique et arrivons au XX° siècle. 

    Zunyi abrite le lieu de la Conférence du Comité central du Parti communiste chinois de 1935. Lors de cette réunion, le parti a décidé de corriger ses erreurs antérieures dans l'élaboration des politiques et a convenu d'une nouvelle approche stratégique. La salle de conférence existe toujours et le visiteur est "accueilli" par Mao Zedong.

    Selon l'histoire officielle du Parti communiste de Chine, la Conférence de Zunyi a été un moment crucial dans le développement de l'Armée rouge et pour le parti lui-même. Au cours de la réunion, l'extrême «pensée gauchiste» de Wang Ming, ancien chef du parti, a été rejetée. Le mouvement a fini par sauver à la fois l'Armée rouge et le parti de la disparition.

    1200px-ZunyiMeeting.jpg

    Sur les pentes de la montagne Xiaolong se trouve le cimetière des soldats de l'Armée rouge. Couvert par une végétation luxuriante, le cimetière a été construit pour faire face au fleuve Xiangjiang. En face du cimetière se trouve un monument mettant en vedette de grands personnages manuscrits en or par le leader de l'état tardif, Deng Xiaoping, qui a lu: "Les martyrs de l'Armée rouge sont immortels". Juste derrière le monument se trouve le tombeau de Deng Ping, chef d'état-major de la Troisième Armée rouge Corps. Soixante-dix-sept soldats sont enterrés à côté de lui, le plus jeune à peine 20 ans.

    Vous trouverez également l'histoire de ce jeune médecin. En janvier 1935, tandis que l'Armée rouge traversait la ville, une épidémie de fièvre typhoïde dévastait le village. Il a alors décidé de rester là et de venir en aide aux villageois. Retrouvé par les ennemis, il fut abattu. Sa tombe a été érigée par les villageois, et, génération après génération, les habitants viennent saluer et nettoyer sa tombe.

     

    Les beautés naturelles

    preview.danxia-de-chishui---55672_token_xar8p3t6.jpg

     

    Il faut aussi prendre le temps de se perdre dans les beautés sculptées par la nature. Et notamment la zone de Chishui (赤水). Un lieu unique où les montagnes sont rouges, où l'eau elle-même devient rouge. Les cascades défient l'horizon. Elles emportent les secrets du monde dans les entrailles de la terre. Elles jaillissent tel un printemps, nous rappelant que le dragon veille. Les forêts de bambous surprennent et émerveillent.

     

    C'est sur cet émerveillement que j'ai envie de vous laisser. Il est une clef pour comprendre la Chine. Il faut dépasser ce que nous croyons savoir, pour aller au coeur des beautés de ce pays. Nous devons nous attarder sur chaque histoire pour en comprendre l'évolution, la vision. Zunyi éclaire l'un des mystères : celui de la culture "Tusi". Ce système "tusi" découle, lui-même, des systèmes de gouvernance dynastique des minorités ethniques (datant du IIIe siècle av. J.-C.). Il avait pour but d’unifier l’administration nationale, tout en permettant aux minorités ethniques de préserver leurs coutumes et leurs modes de vie. Les sites de Laosicheng, de Tangya et de la forteresse de Hailongtun apportent un témoignage exceptionnel sur cette forme de gouvernance issue de la civilisation chinoise des époques Yuan et Ming. Laissez-vous emporter par les mystères de cette région de Chine, partez à la rencontre de ses collines aux mille histoires. 

     

  • Les Présidents de 1870 à nos jours

    IMG_8793.jpg

    Que ce livre est amusant à la veille de l'élection de notre 25ème président de la République... Un voyage dans le temps, dans les mots des discours, dans le coeur des hommes... Pas une femme... Des barbes à la moustaches en passant par les droits sociaux... Retour sur vingt-quatre présidents et une longue histoire d'une République difficile à instituer et qu'il ne faudrait pas effacer d'un revers de main.

    "Quelques grandes dates suffisent à cerner un peu notre histoire constitutionnelle. Ainsi, la Première République débute en septembre 1792 mais elle n'est quasiment pas appliquée en raison du gouvernement révolutionnaire et de la Terreur qui régneront de 1792 à 1795. De 1795 à 1799, c'est le Directoire puis, de 1799 à 1814, c'est le Consulat (1799-1804) suivi de l'Empire (1804-1814). De 1814 à 1848, ce sont la Restauration puis la monarchie de Juillet. À cette date, le gouvernement proclame la Deuxième République, et Louis-Napoléon Bonaparte en devient le premier président. Il rétablit l'Empire en 1852 qui est emporté avec la défaite contre la Prusse de 1870. (...). La République parlementaire, celle qui nous intéresse, est officiellement née le 4 septembre 1870". (Cf. page 7)

     

    On redécouvre quelques pages plus loin, l'éloquence magistrale d'Adolphe Tiers (du haut de son 1m65 - le plus petit président par la taille) qui, en 1870, à l'Assemblée fait face à ceux appelés "les démagogues" :

    "Ne parlez plus d'honneur devant des gens qui en ont autant que vous, mais qui mettent leur honneur à ne pas risquer de perdre leur pays pour une fausse popularité qu'on vient courtiser à cette tribune (...).

    Entendez la vérité ; si vous ne voulez pas l'écouter ou la croire, vous pourrez vanter l'avenir de votre nation, mais bien vainement ; vous le perdrez au moment même où vous le vanterez" (Cf. page 19).

    Qui se souvent de Jean Casimir-Perrier (1894-1895), un président "intérimaire" qui succède à Marie-François Sadi Carnot assassiné à Lyon lors d'une inauguration. Un président très respecté et qui a été inhumé au Panthéon entre Rousseau et Hugo. "Difficile de succéder à un mort" dira Félix Faure à Casimir-Perrier. 

    Vincent Auriol devient le premier président de la 4ème République (1947-1954). Là Raphaël Piastra révèle quelques lignes d'un de ces discours du 15 novembre 1951 :

    "J'ai déclaré dès mon installation que je ne serai ni un président soliveau, ni un président personnel. Entre mutisme et le laisser-aller, la décision et l'action effective réservée au gouvernement responsable, il y a place pour une "magistrature morale" dont on a parlé, pour ce pouvoir de conseil, d'avertissement, de conciliation qui doit être celui du chef de l'État". (Cf. page 94)

    Nous pourrions ainsi continuer l'exploration de chaque phrase de président, jouer avec les dates. Ce livre est très bien fait et Raphaël Piastra ne cherche pas à juger les présidents, il souligne simplement la succession des présidents. En doublure, il y a l'interrogation concernant cette fonction. Quel Président serions-nous ? Quelle stature adopterions-nous ? C'est une question essentielle à l'heure de cette nouvelle élection présidentielle...

    Un livre à mettre entre toutes les mains et notamment de la nouvelle génération qui pense qu'avant les années 2000 rien a existé. Remémorons-nous ainsi qu'avant François Mitterand, il y a eu quelque chose... Il est bon de se rafraîchir la mémoire tant sur les discours, les opinions, les affaires, les décisions dramatiques, etc. Ici je le répète pas de jugement, juste un fil de faits historiques. 

     

  • Roger-Pol Droit

    « Montre-moi comment tu marches, je te dirai comment tu penses ! »

    comment-marchent-les-philosophes-r.-p.-droit-couverture_3.png

     

    Cher Roger-Pol Droit, 

    Je tenais ici à vous écrire une lettre. Une volute de mots en pas raisonnés. Une scansion de respirations sur le rythme du coeur... 

    Cela fait si longtemps que j'attendais un livre comme le vôtre que je m'étonne encore du hasard qui m'a conduit à sa rencontre. Une promenade, ou plus exactement une courte errance entre deux rendez-vous.

    Le ciel grondait un peu. Le bruit et la fureur étaient trop vifs. Tout sonnait comme une précipitation avant Noël. J'avais dans ce tumulte besoin d'une halte. D'une respiration. Après une heure de marche, j'avais envie de calme. D'une tendresse qui s'enveloppe, s'enroule autour de soi comme une douce écharpe ou une lumière printanière. Les mots sont souvent ce refuge. Mais encore faut-il trouver les bons. Arrivée à Duroc, la librairie me tendait les bras. Un refuge nécessaire.

    Cela faisait longtemps que je n'étais pas venue là. Au moins deux ans. J'étais heureuse, comme lorsque l'on retrouve une vielle camarade de faculté. Le temps a passé, mais les repères sont les mêmes. Le coin "philosophie" est ici réduit à une colonne simple. La sélection y est rude.

    A cette heure, ce coin était même caché par un tas de paquets cadeaux, de commandes diverses. En une demi seconde, j'ai pris votre livre, je l'ai ouvert sur le chapitre 22 "Le Hongrois qui marcha jusqu'au Tibet". A cet instant, j'ai compris qu'il me fallait vous lire.

    J'ai lu et relu l'ensemble de votre travail plusieurs fois, me délectant de retrouver mon goût pour Aristote, Platon et tant d'autres. Vous avez, pour eux, une infinie tendresse. J'ai adoré votre vision des trois "H" de la pensée, Hegel, Husserl, Heidegger. Vous dites qu'ils "ont employé la même formule pour parler de la naissance et du développement de la philosophie "Nur bei den Grieschen", "chez les grecs seulement". (cf. p.81)" Oui c'est une "erreur" toute kantienne cette délimitation géographique, sans doute pour se faire accepter à l'université... Bref, l'enseignement n'a pas tellement changé. J'ai toujours eu cette annotation "irrévérencieuse envers l'académisme du savoir"... Normal, j'allais chercher d'autres textes pour éclairer ceux que nous devions apprendre. 

    J'ai pris très au sérieux, le travail de Bergson, sur la mémoire du corps. L'ancrage de nos habitudes, de nos pas...

    A chaque page, j'ai aimé vos haltes, le rythme, la scansion de cette promenade. J'y ai retrouvé le goût Jardin du Luxembourg dont j'ai arpenté les allées pendant tant d'années jusqu'à en connaître les habitudes de chacun, des amants, des coïncidences, des trahisons, les goûts d'eau et de cailloux aux yeux des sculptures immobiles. 

    La marche est un principe de déséquilibre merci Aristote. Un instant de fragilité, de suspension. Dans un coin de ce jardin, au moment d'un mouvement de pièce d'un joueur d'échecs, à cet instant où les mouettes, sans doute, chahutaient les canards, où un enfant a couru à bout de souffle, j'ai eu l'audace de lancer une marche en direction de l'est. 

    Quelque mois plus tôt, j'avais obtenu mon doctorat de philosophie et d'épistémologie. J'ai pris mon sac, j'y ai glissé une veste, un pull, une broutille ou deux, deux livres, un appareil photographique, un stylo, un carnet. Direction Moscou, puis un train direction Pékin. Sept jours, sept nuit... Et le renversement de tout ce que je venais d'apprendre s'est opéré. On ne revient jamais véritablement de tous ces périples. Evidemment, je suis repartie, revenue, repartie. Et à nouveau, je repars toujours vers la Chine, toujours vers le Népal, l'Inde, l'Indonésie. Monter, descendre, traverser à nouveau le plateau himalayen. Et dans cette errance, continuer la recherche, la compréhension, la rencontre avec ceux que l'on dit "penseurs".

    Si je parle ainsi de moi, ce qui est rare, et même très troublant... c'est parce que dans la philosophie il y a deux grands oublis volontaires : les autres pensées (venues d'ailleurs) mais également les femmes. C'est le seul défaut que je trouve à votre livre. Pas une seule femme philosophe dans votre texte. Quid d'Hannah Arendt ? Quid Louise Weil, de Edith Stein, de Hypatie d'Alexandrie, de Théano, de María Zambrano Alarcón ?  Et je suis sûre qu'en cherchant un peu plus loin, nous pourrions trouver une quantité de femmes. 

    Les femmes pensent, les femmes marchent, les femmes crachent, elles mettent des pantalons, elles tombent dans la boue. Elles ne sont pas seulement des mystiques. Même les grandes exploratrices ont quelques caractéristiques philosophiques. On pourrait citer Ella Maillart, Annemarie Schwarzenbach... 

    Elles ont marqué le monde, et sa marche. Elles sont allées au-delà. Finalement, la marche du monde ne dépend-elle pas de la marche des femmes ? J'ai toujours marché, tous les jours, je parcours quelques dix kilomètres. Dans Paris, j'ai toujours un prétexte me rendre dans une école, faire des courses... Tout ce qui est à moins de vingt stations de métro est accessible directement à pieds. Parfois même je fais plus. C'est ainsi... 

    Comme vous, je constate que les humains ne marchent plus... Une vie numérique est une vie paradoxalement dite nomade. Elle est immobile. Elle se meut dans la réalité virtuelle. Nous pourrions ici définir de nouveaux cadres de marche, et nous devrions prendre conscience que nous serions proche, très proche, des textes de Platon.

    "Marcher en philosophe" c'est prendre conscience de notre place dans le flux de l'humanité. Sur ce point nous sommes d'accord. Cependant je crois que la philosophie est avant tout créativité. Elle doit interroger, construire, bâtir, défendre, supporter, casser, reconstruire... Elle est le liquide de l'être. Elle doit s'adapter, s'émerveiller et ne plus s'endoctriner. 

    Cher Roger-Pol Droit, j'ai aimé me promener au coeur de vos mots, au coeur de votre musique. Evidemment, j'aurais aimé y croiser plus de femmes. Cependant comme vous le soulignez en évoquant la doctrine de Bouddha "l'humanité exige donc un ajustement interminable" (cf. p.95). 

    Cependant je ne considère pas les femmes comme une variable d'ajustement, car nous le savons fort bien, tous les deux, jamais l'immense oeuvre de Husserl aurait pu voir le jour sans Edith Stein. Les femmes ont toujours été là, elles vont sur le chemin de la sagesse. Elles aussi connaissent les déséquilibres. Elles aussi inventent, rêvent le monde et surtout l'éclairent de leur lucidité foudroyante (je pense ici à Hannah Arendt et notamment à sa théorie des bourreaux). 

    Cher Roger-Pol Droit, en ce début 2017, évidemment je vous adresse tous mes voeux et je vous souhaite de très belles promenades. Encore et encore de somptueuses recherches et des mots bien choisis.