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laurent charpentier

  • 21 rue des sources

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    Quel doux nom de rue. Ne trouvez-vous pas ? Elle chante comme une fontaine de jouvence. Le jour s'y lève sur les rêves d'une famille. Une vie. Des vies. Une mélodie familiale. La guerre et ses frayeurs : ses découvertes et ses pertes. Le bruit des bombes, des premières amours. La maison tient toujours. Solide bâtisse où tout y vit, tout y vibre, même les ombres. Surtout les ombres. À hauteur d'enfant, nous nous glissons dans leurs coulisses. Nous savourons les pommes, ramassons les fleurs, jouons avec le chien. Ce chien qui du fond des âges nous revient. Comme une lumière de printemps.

    Fin de la guerre, la joie, la libération. La maison ouvrière est devenue bourgeoise. Changement de génération autour d'une maison "épicerie".

    Que trouvons-nous dans une épicerie ? Des odeurs, des saveurs, des trucs, des astuces. Nous sommes ici dans une pièce de Philippe Minyana. Nul doute possible. Les inventaires des délices comme des silences sont là. Les détails s'écrivent autour d'une facilité de la langue. Facile cela signifie juste. Efficace. Sensible. Hyper-sensible pour être à la mode. Toujours à la limite. Toujours à la faille. Toujours face au précipice.

    Une joie sautille, un humour grinçant se dessine. C'est pur, c'est tendu. Cette langue fragile et douce, forte et féroce, nous accompagne. Elle est souple. Elle virevolte. Elle sait se saisir du temps. Suspendue, elle regarde l'espace. Il n'y a pas de plus belle langue théâtrale.

    Soudain. Vous vous surprenez à en dire les mots. Elle est dans votre mémoire. Elle joue avec vous. Elle vous invite dans cette maison pour une visite extraordinaire et joyeuse.

    Assis, debout, volant. Vous êtes là. Vous suivez cette langue. Avec elle, vous prenez corps dans le souvenir. Deux fantômes vous y accompagnent. Laurent Charpentier et Catherine Matisse.

    Deux lueurs, je n'ai pas envie de dire "acteurs". Deux fantômes, deux présences incroyables. Deux voix splendides. Deux chants. Deux histoires parallèles. Ce dialogue est-il possible ? Il est une joie, une tendresse, une jubilation. Corps, sans corps ou double perspective des souvenirs.

    Ils jouent de pièce en pièce, de charme en charme. Ici la cuisine. Ici le salon. Ils nous entraînent dans les méandres de cette maison. Regards sur leurs passés croisés, communs. Tout se déplie. Ils touchent en écho. Grandeurs et décadences de cette famille. Dès les premières phrases, nous sommes cueillis. "Fatigués de cette journée..." Invitation au voyage.

    « Tu les entends ? » « Oui je les entends. » Mais qui entendons-nous ? Qui attendons-nous ? Deux fantômes énigmatiques. Fiers de leurs beaux costumes retrouvés ? Sincérité étincelante des choix de Raoul Fernandez (costumier). Le blanc. Plus tout à fait blanc. Blanc du mariage, de la mort, des souvenirs écornés.

    Nous aussi, nous les entendons. Au milieu des souvenirs, jaillissent les HLM, les voitures, la fin des Trente Glorieuses. Nous suivons le fil. Cette lumière tendre d'où procède l'imaginaire. L'espace se dessine furtif. Nous allons de pièce en pièce avec les nuanciers de Marylin Alasset (scénographie /lumière). Qu'il est doux de donner l'espace à l'imaginaire du spectateur. Il peut ainsi vagabonder dans les photos souvenirs, les joies perdues, les innocences cachées, les rires, les maladresses. Tout se conserve dans cette famille.

    Et puis il y a cette douce mélodie. Ponctuations de notes qui nous conduisent entre les larmes des souvenirs et les joies des drames. Nicolas Ducloux se joue du piano. Il épaissit les souvenirs. Il redonne du corps à ses deux fantômes. Nos deux amis de la soirée.

    « C'est là que je suis morte » dit madame Avril. « Je me suis offert un platane » dit l'Ami. Écoutez, il n'y a pas de drame. Juste la vie. Pas de tristesse. Juste de la mélancolie. « L'ordre des choses est toujours un désordre » dit l'Ami.

    Comme le souligne Philippe Minyana "Les Mots fabriqueront la Fiction ! Et on entendra la belle et terrible histoire des Trente Glorieuses ; métamorphoses et mutations ! Passions et mortifications ! Une vie, des vies ordinaires, donc exemplaires. La vie d'une maison comme la métaphore d'une civilisation en mouvement, comme le reflet d'un fragment d'histoire. Vérité déformée, aléatoire, universelle."

    J'ai aimé ces fantômes. J'étais bien avec eux au coeur de la malice de leurs souvenirs. Avec eux se dessine la profonde tendresse de l'auteur pour l'humanité des humbles. 

     

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    Texte et mise en scène : Philippe Minyana
    Avec : Laurent Charpentier, Catherine Matisse
    Pianiste : Nicolas Ducloux
    Costumes : Raoul Fernandez
    Magie : Benoit Dattez
    Scénographie / lumière : Marylin Alasset
    Assistant à la mise en scène et servant de scène : Julien Avril

    Durée : 1h30

    Production : Centre Dramatique National Nancy Lorraine, La Manufacture
    Coproduction : La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc ; Comédie de Caen, CDN de Normandie ; Théâtre du Rond-Point, Paris
    Texte lauréat de la Commission Nationale d’Aide à la Création de textes dramatiques-ARTCENA
    Compagnie en résidence à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc