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Sorties (ré)créatives

  • Intra-Muros : l'art de rendre visible ce qui demeure en soi

    Il y a encore quelques semaines, Perpignan se consumait dans la lumière. L’exposition SUMMER, à la Galerie de la Main de Fer, portait ce soleil comme une matière. Des couleurs franches, des formes pleines, un monde sans secret.

    Et puis, le 29 août, la pluie est tombée. Une pluie fine, persistante, presque douce. Rue de la Révolution française, les pavés se sont mis à briller. C’est là que commence un autre voyage : Intra-Muros.

    Une vingtaine d’artistes sont réunis, non pas autour d’un thème, mais d’un espace. Un espace chargé. Chargé d’histoires, de mémoire, d’ombres et de lumière. L’intérieur. Mais qu’est-ce qu’un intérieur, aujourd’hui ? Est-ce encore un abri, ou un théâtre ? Est-ce ce lieu à soi que l’on préserve, ou celui que l’on expose à travers l’écran ?

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    “Être chez soi” — un concept fissuré

    Heidegger écrivait que “l’habitation est la manière dont les mortels sont sur la terre”. Habiter ne signifie pas seulement se loger, mais faire monde avec un lieu. Or, aujourd’hui, ce monde-là est troublé. Nos intérieurs ne sont plus nos sanctuaires : ils sont photographiés, filtrés, partagés.

    Intra-Muros pose alors cette question presque vertigineuse : comment représenter ce qui, par essence, devrait demeurer caché ?
    Comment faire œuvre de ce qui nous constitue intérieurement — nos fragilités, nos rituels, nos héritages — sans trahir le silence, sans exhiber ce qui devrait rester nu ?

     

    Les artistes, entre dévoilement et pudeur

    Il ne s’agit pas ici d’un simple accrochage de scènes d’intérieur. Chaque œuvre est un en-soi ouvert, un fragment intime projeté dans l’espace public.

    Gérard Jan, dans un pastel saisissant, évoque les traversins de nos grands-mères. Il peint une matière, un souvenir, une densité affective. On les regarde et on plonge dans leur bleu, dans leur mémoire de corps s’enveloppant dans les draps pour se cacher du monde.

    Michèle Mascherpa grave la maison comme on imprime un souvenir sur la peau : lentement, profondément. Partout on y découvre ses petits mots, ses petites phrases qui nous appellent à une action ou à une contemplation. 

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    Nicolas Cussac répète le motif du divan pour révéler ce qui, dans l’attente, fait vaciller nos certitudes. Assis ou couchés sur ce divan, notre vie défile à travers les objets que nous laissons là, parfois en désordre, parfois pas… Et pourquoi tout devrait-il être en ordre ? 

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    Jo Winter sculpte des abris-noirs, totems d’humanité, entre verticalité sacrée et brûlure originelle. Ce sont des maisons à la fois refuge et lieu d’enfermement. 

    Élia Pagliarino, avec sa Balise de Bloomsbury, rend hommage à Une chambre à soi de Virginia Woolf. Un hommage à l’espace que les femmes s’arrachent pour penser, écrire, exister.

    L’intérieur, entre espace mental et image publique

    Tout est là : dans cette tension entre l’intérieur et l’extérieur. Comme l’écrit Byung-Chul Han, notre époque est celle de la “transparence”. Tout doit être visible, tout doit être montré. Mais l’intime ne se livre pas sous la contrainte. Il résiste. Et c’est dans cette résistance que naît l’art.

    Intra-Muros ne prétend pas révéler les secrets. Cette exposition écoute les silences. Elle ouvre les portes — mais ne force jamais les verrous.
    Les œuvres ici parlent doucement. Elles prennent le temps d’être regardées. Elles demandent une attention rare. Les œuvres ne représentent pas seulement des pièces, des objets, des coins de maison, elles invoquent des états intérieurs. L’intérieur devient ici un espace psychique, une topographie du moi.

    Chez Manolo Sierra, les fragments architecturaux s’entrechoquent. Des intérieurs explosés, recomposés, comme si le foyer ne tenait plus tout à fait debout. Un bureau posé devant un mur, et pourtant cette fenêtre sur le ciel nous rappelle que l’on peut s’évader même du vide.
    Émilie Dumas, elle, creuse la perspective pour faire surgir des lignes de fuite, des points de tension. Elle ouvre une fenêtre là où il n’y en a pas, creuse une échappée dans le mur. Une échappée mentale.
    Et Corinne Tichadou, dans sa toile Après la pluie, suspend le regard d’un personnage vers un ailleurs invisible. Une tête de chèvre veille dans le décor. Rien n’est clair, mais tout est chargé — de sens, de mythe, d’interrogation.

    Face à ce foisonnement silencieux, on repense à Gaston Bachelard : “La maison est notre coin du monde. C’est notre premier univers.” Mais que faire, lorsque ce premier univers devient instable, fragmenté, surexposé ? Peut-être que l’art est ce qui nous permet de recomposer un intérieur symbolique, à hauteur d’âme.

     

    Dans une époque où l’on vit sans cesse hors-sol, où l’algorithme décide de ce que nous voyons, Intra-Muros rappelle que regarder prend du temps, que ressentir demande une attention fine. C’est une exposition qui ne hurle pas. Elle chuchote. Elle déplie. Elle accompagne.

     

    La galerie elle-même comme espace intérieur

    Mais ce qui frappe aussi dans cette exposition, c’est que la galerie elle-même devient un intérieur. Ce n’est pas un simple lieu d’accrochage. C’est le lieu d’un regard.
    Celui de Géraldine Torcatis, directrice de la Galerie de la Main de Fer, qui depuis plusieurs expositions affirme une ligne claire : une figuration sensible, incarnée, narrative, toujours ancrée dans une quête de vérité.

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    En réunissant ces œuvres autour de l’espace domestique, Géraldine Torcatis donne à voir son propre regard : un regard qui interroge le monde depuis ses marges, qui fait de l’intime une force politique et poétique.
    Intra-Muros n’est pas seulement le titre de l’exposition : c’est le dévoilement même d’un intérieur curatorial.
    Un intérieur rigoureux, subtil, construit avec attention, où chaque œuvre choisie raconte quelque chose de cette vision singulière de l’art contemporain : un art qui cherche le vrai, sans bruit, sans fard, sans cynisme.

     

    Et nous, que montrons-nous de notre chez-soi ?

    Chacun ressort de cette traversée avec ses propres résonances. Un objet, une lumière, une matière éveille en nous une chambre, un souvenir, une blessure peut-être. Et on se demande : que dit mon intérieur de moi ? Que donne-t-il à voir ? Et que cache-t-il ?

    Dans un monde qui exige que tout soit montré, Intra-Muros affirme avec force que ce que nous avons de plus précieux résiste à la lumière crue. Et que l’art, parfois, est cette nuit douce où l’on peut regarder sans être vu.

     

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    INTRA-MUROS
    Galerie La Main de Fer
    Du 29 août au 31 octobre 2025
    2 rue de la Révolution française, Perpignan
    www.galerielamaindefer.com



  • Quand l’été devient surexposé – halte à la Main de Fer

    Depuis le mois de juin, Perpignan vit dans une lumière qui ne connaît plus la nuance. Les murs s’écaillent de blanc, les feuillages passent du vert tendre au jaune sec, l’air vibre comme une toile tendue. Les ombres se rétractent, tout semble surexposé, comme un polaroid oublié au soleil. Et l’on se surprend à poser cette question simple : qu’est-ce que l’été, au juste ?

    Pour les Anglo-Saxons, Summer est un mot incandescent, saturé de promesses : villas aux façades franches, piscines turquoises, barbecues dans la douceur du soir, corps allongés sur des transats impeccablement alignés. Pour d’autres, l’été est un temps où le monde ralentit, où les heures s’étirent jusqu’à se dissoudre dans la chaleur. Mais derrière l’éclat des couleurs, il y a aussi une part d’ombre : l’ennui, l’attente, l’isolement. Les couleurs vives peuvent être les rideaux tirés sur nos solitudes.

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    Dans la rue de la Révolution française, une porte entrouverte semble proposer un répit : c’est la Galerie de la Main de Fer. Du 13 juin au 16 août, l’exposition SUMMER invite à traverser ce seuil comme on plonge dans une eau fraîche après des heures de soleil. Là, cinq artistes réinventent la saison chaude, chacun à sa manière, entre figuration narrative et méditation visuelle.

    Voyages immobiles – Yannick Fournié

    Chez Yannick Fournié, l’été n’est pas fait de cartes postales bruyantes. Il est une architecture immobile, un face-à-face silencieux entre le construit et le vivant. Les formes sont réduites à l’essentiel, les couleurs tracent un équilibre presque mathématique. Au milieu, un personnage solitaire, témoin d’un monde figé. C’est un été où le temps a cessé de couler, où l’espace devient le reflet d’une intériorité apaisée – ou suspendue.

    Balises d’humanité – Élia Pagliarino

    Élia Pagliarino glisse dans ses céramiques des histoires venues de tous les horizons. Des Balises qui sont comme des bouteilles à la mer de l’humanité : elles portent en elles plus de 250 chroniques de vies réelles, venues du Japon, de l’Ouganda, de la Thaïlande ou de l’Angleterre. Ce sont des ventres d’argile, chargés de mémoire, qui racontent comment les êtres – humains ou animaux – se soignent mutuellement, s’accompagnent, se reconstruisent. Dans sa vision, l’été est un temps pour accueillir ces récits, pour écouter ce que nous n’avons pas le temps d’entendre dans le tumulte ordinaire.

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    Vacances désertées – Marie Vandooren

    Avec Marie Vandooren, les espaces de loisirs se transforment en décors fantomatiques. Piscines abandonnées, terrains de sport sans joueurs, aires de jeux silencieuses. Ces lieux conçus pour le collectif deviennent les scènes d’un théâtre déserté. Les couleurs restent vives, presque criardes, mais elles semblent peindre l’absence plutôt que la fête. Ici, l’été n’est plus une promesse d’effervescence : il devient l’écho d’un monde qui s’éloigne.

    Créatures et silences – Nathalie Charrié et Corinne Tichadou

    Nathalie Charrié invente des formes hybrides, à la frontière de l’animal et du végétal. Sa céramique se marie au verre pour saisir l’illusion du mouvement, du souffle. Corinne Tichadou, quant à elle, offre une nature stylisée, verticale, dans des teintes de rose poudré et de bruns chauds. Palmiers et cactus y deviennent icônes du silence estival. La chaleur n’y est pas oppressante, elle est comme filtrée par un voile délicat.

    Et toi, que cherches-tu dans l’été ?

    Au fil des salles, on comprend que SUMMER n’est pas qu’une célébration de la belle saison : c’est une interrogation sur ce que nous y mettons. Le soleil peut tout autant révéler qu’il peut masquer. Les couleurs franches peuvent être un langage d’ouverture ou un écran lumineux derrière lequel on cache nos manques.

    L’été, au fond, n’existe pas vraiment : il est un état d’esprit. Certains le vivent comme une conquête, d’autres comme une retraite. Il peut être une fête saturée ou un moment pour se retirer du monde. Dans la lumière crue de Perpignan, la galerie devient un lieu où l’on reprend possession de son regard.

    Et c’est peut-être cela, la vraie fraîcheur dans l’été : retrouver le droit de voir autrement.

    SUMMER – Galerie de la Main de Fer, Perpignan
    Jusqu’au 16 août 2025

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  • Réensauvager le vide – la philosophie fragile des paysages anthropiques

    Galerie de la main de Fer, Art, Torcatis, paysages, anthropiques, 18hTHOMAS LOYATHOXARLI ZURELLYOYO BALAGUÉ

    Il est des expositions qui ne se contentent pas d’être vues. Elles vous déplacent. Elles agissent comme un seuil. PAYSAGES ANTHROPIQUES, présentée à la galerie de la Main de Fer à Perpignan, en est une. À travers les œuvres de Thomas Loyatho, Xarli Zurell et Yoyo Balagué, quelque chose se fissure dans notre regard sur le monde. Une fracture douce, une blessure ancienne qui remonte à la surface : celle de notre déliaison au vivant.

    Nous pensions être maîtres et passeurs de la nature. Mais peut-être n’avons-nous été que les fossoyeurs d’un lien que nous ne comprenions plus. En voulant dominer, nous nous sommes dépossédés. C’est ce que pressentait déjà Jacques Ellul, lorsqu’il alertait sur l’illusion de toute puissance technicienne : l’homme, croyant tout contrôler, oublie qu’il est lui-même pris dans la toile de ce qu’il fabrique. Et perd son âme à trop vouloir régner.

    Thomas Loyatho – Le chaos comme mémoire

    Chez Thomas Loyatho, la toile blanche n’est pas un commencement. C’est une impasse. Un mur. C’est sur cette blancheur insupportable que s’écrase son geste. Puis vient le chaos. Un chaos nécessaire, fertile, comme une friche de souvenirs oubliés. Des plantes surgissent, non désirées, qualifiées d’« invasives » — comme si l’instinct du vivant devait être légitimé pour avoir droit de cité.
    Ses paysages ne représentent pas la nature : ils la rappellent à nous. Ils convoquent sa mémoire souterraine, sa force de retour. Ce que l’on croyait éradiqué revient, non comme une vengeance, mais comme une présence. Loyatho peint avec la matière du monde et l’étrangeté de ceux qui le regardent encore avec respect. La nature, chez lui, n’est pas décorative. Elle est le personnage principal d’une histoire que l’on croyait avoir effacée.

    Yoyo Balagué – Les sphères de l’origine

    Chez Yoyo Balagué, la terre devient cosmologie. Ses sphères, issues d’un processus de cuisson ancestral, semblent naître autant de la planète que d’un temps mythique. Chaque pièce est à la fois pierre, planète, blessure et offrande. Loin du spectaculaire, son geste est pur, austère, honnête — comme elle le dit elle-même.
    Ce n’est pas l’artiste qui impose sa forme : c’est la matière qui parle. Le feu, l’érosion, les fissures deviennent langage. Les défauts deviennent beauté. La vulnérabilité se mue en puissance.
    Ses œuvres racontent la fusion ancienne entre la main et la terre, entre l’humain et l’élément. Elles semblent nous dire : ce que vous cherchez au ciel, vous l’avez peut-être déjà sous les pieds.

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    Xarli Zurell – Une lumière en excès

    Xarli Zurell, lui, opère une autre transfiguration. Celle de la lumière. Ses paysages sont irradiés, surexposés, traversés de figures phosphorescentes — des silhouettes arrachées à leur monde d’origine et transplantées dans une réalité solaire, sans repère, sans chronologie.
    Il peint comme on se souvient : par éclats, par surimpression, par effacement. La nature devient ici théâtre de réconciliation. La lumière, loin d’aveugler, éclaire une paix fragile, presque rêvée, entre l’humain et ce qui l’entoure.
    Il y a dans ses œuvres une mélancolie joyeuse, une tentative de capturer l’enfance du monde, cette lumière du Sud-Ouest qu’il dit porter comme un vestige. Ce n’est plus la nature sauvage, ni celle dévastée : c’est une nature transformée, altérée, mais encore vibrante — comme un organe battant sous la peau du temps.

    De l’anthropie au recommencement

    Ce que PAYSAGES ANTHROPIQUES nous murmure, ce n’est pas une nostalgie, encore moins une résignation. C’est une forme de clairvoyance. L’humain, dans sa volonté d’inscrire partout son empreinte, s’est peu à peu effacé de lui-même. À force de vouloir nommer, cadrer, maîtriser, il s’est coupé du rythme souterrain de ce qui le fait vivre.

    Mais il n’est pas trop tard pour apprendre à voir autrement. Ni à écouter.
    Cette exposition n’est pas une dénonciation. Elle est une ouverture. Une fissure dans la surface lisse de notre modernité. À travers la matière, la lumière, les formes, elle propose un retournement : regarder la nature non plus comme un décor abîmé, mais comme un sujet résilient, un allié silencieux, un miroir du possible.

    Là où l’homme s’est cru maître, la terre a attendu. Là où l’homme s’est cru seul, le vivant a patienté.

    Le philosophe Edgar Morin nous rappelle que « la voie de l’humain est une voie de reliance ». Cette reliance, ce lien brisé, est peut-être ce que chaque œuvre ici tente de réparer — à sa manière, discrète, non conquérante. En convoquant la beauté blessée du monde, les artistes nous rappellent que nous ne sommes pas à l’extérieur de la nature, mais au cœur de ses métamorphoses.

    Et si le sens de notre époque — ce vide dense qu’on appelle anthropocène — était justement de redevenir capable de silence, de lenteur, de reliance ? Non pour régresser, mais pour réapprendre. Réensauvager notre regard. Redonner à la création le pouvoir de relier.

    Comme Sisyphe, peut-être, nous sommes condamnés à recommencer. Mais cette fois, nous pourrions choisir une autre pente. Non plus celle de la domination, mais celle de la conscience. Et retrouver, au bout du chaos, quelque chose d’aussi ancien que la vie : une promesse d’équilibre.

  • Les mots en partage : une passerelle vers demain

    Il est des rencontres qui, loin des effets d’annonce ou des artifices du spectacle littéraire, creusent un sillon profond dans l’esprit de ceux qui y assistent. Le matin du 11 avril, dans le cadre du Salon des Livres de Paris, une telle alchimie s’est produite. Trois auteurs français publiés chez La Route de la Soie – Éditions, Alexandre Arditti, Frédéric Vissense et Sébastien Quagebeur, ont dialogué en public avec trois figures majeures de la littérature chinoise contemporaine : Mai Jia, Liu Zhenyun et Zhao Lihong (publié également par La Route de la Soie – Éditions).

    Ce fut moins une joute qu’un échange sensible, un entrelacs de regards, d’images, de questions profondes. À rebours des slogans, les six auteurs ont évoqué ce que signifie, aujourd’hui, écrire dans un monde fracturé, traversé d’ombres et d’élans. Ce que signifie prendre le temps du mot juste, de l’observation précise, du récit qui relie plutôt que qui sépare.

    Frédéric Vissense, Liu Zhenyun, Sonia Bressler, La Route de la Soie - Éditions, livre, littérature, chine, culture, dialogue, France, salon des livres, Paris 2025, Grand Palais

    L’observation comme philosophie

    S’il fallait dégager une ligne de force, un fil rouge de cette matinée, ce serait sans doute la puissance de l’observation — non pas l’observation froide du scientifique, mais celle, vibrante, du poète ou du romancier : celle qui saisit une main qui tremble, un silence entre deux phrases, un battement d’aile au-dessus d’un champ de ruines.

    Frédéric Vissense a évoqué, à travers ses écrits, le rôle des machines dans notre monde : non pas comme entités techniques, mais comme révélateurs de notre rapport au pouvoir, à la norme, au fantasme de contrôle. À ses côtés, Alexandre Arditti a insisté sur la mémoire, les nœuds familiaux, les cicatrices intimes que seule l’écriture permet d’éclairer sans brutalité. Sébastien Quagebeur, quant à lui, a mis en avant le langage comme forme d’engagement existentiel, comme manière d’habiter le monde dans sa complexité.

    La littérature comme pont entre mondes

    Face à eux, les auteurs chinois n’ont pas simplement répondu — ils ont prolongé les questions, les ont nourries d’une sagesse venue d’ailleurs. Mai Jia, célèbre pour ses romans où l’espionnage devient terrain de réflexion sur l’identité et la vérité, a rappelé que « le silence est parfois plus chargé de sens que mille mots ». Liu Zhenyun, avec son humour tranchant et son sens du rythme, a évoqué la façon dont la parole populaire peut renverser les logiques du pouvoir. Zhao Lihong, poète aux images subtiles, a parlé de la lumière qui persiste dans les interstices du quotidien, même dans les périodes les plus sombres.

    Sébastien Quagebeur, Zhao Lihong, La Route de la Soie - Éditions, Grand Palais, salon des livres Paris, 2025

    Tous, dans leur diversité de style et de parcours, ont insisté sur la nécessité de penser l’écriture comme un geste de reliance. Écrire, ce n’est pas seulement dire ; c’est relier : le passé au présent, le proche au lointain, le soi à l’autre.

    Tisser des liens vers l’avenir

    Dans une époque saturée d’informations, de messages instantanés, de discours figés, ces écrivains nous rappellent que le mot est un acte, un acte de lenteur, de justesse, de résistance même. L’écriture devient ainsi un chemin vers un autre type de futur : un futur où les différences ne font pas peur, où le dialogue ne se résume pas à une traduction automatique, mais devient une forme d’écoute active, une quête partagée de compréhension.

    La Route de la Soie – Éditions, en orchestrant cette rencontre au côté du CNPIEC, a montré qu’il est encore possible de bâtir des ponts sincères entre les cultures, à travers ce que l’humanité a de plus précieux : sa capacité à dire le monde, à le réinventer par les mots, à y inscrire des rêves sans frontières.

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