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Sorties (ré)créatives

  • Réensauvager le vide – la philosophie fragile des paysages anthropiques

    Galerie de la main de Fer, Art, Torcatis, paysages, anthropiques, 18hTHOMAS LOYATHOXARLI ZURELLYOYO BALAGUÉ

    Il est des expositions qui ne se contentent pas d’être vues. Elles vous déplacent. Elles agissent comme un seuil. PAYSAGES ANTHROPIQUES, présentée à la galerie de la Main de Fer à Perpignan, en est une. À travers les œuvres de Thomas Loyatho, Xarli Zurell et Yoyo Balagué, quelque chose se fissure dans notre regard sur le monde. Une fracture douce, une blessure ancienne qui remonte à la surface : celle de notre déliaison au vivant.

    Nous pensions être maîtres et passeurs de la nature. Mais peut-être n’avons-nous été que les fossoyeurs d’un lien que nous ne comprenions plus. En voulant dominer, nous nous sommes dépossédés. C’est ce que pressentait déjà Jacques Ellul, lorsqu’il alertait sur l’illusion de toute puissance technicienne : l’homme, croyant tout contrôler, oublie qu’il est lui-même pris dans la toile de ce qu’il fabrique. Et perd son âme à trop vouloir régner.

    Thomas Loyatho – Le chaos comme mémoire

    Chez Thomas Loyatho, la toile blanche n’est pas un commencement. C’est une impasse. Un mur. C’est sur cette blancheur insupportable que s’écrase son geste. Puis vient le chaos. Un chaos nécessaire, fertile, comme une friche de souvenirs oubliés. Des plantes surgissent, non désirées, qualifiées d’« invasives » — comme si l’instinct du vivant devait être légitimé pour avoir droit de cité.
    Ses paysages ne représentent pas la nature : ils la rappellent à nous. Ils convoquent sa mémoire souterraine, sa force de retour. Ce que l’on croyait éradiqué revient, non comme une vengeance, mais comme une présence. Loyatho peint avec la matière du monde et l’étrangeté de ceux qui le regardent encore avec respect. La nature, chez lui, n’est pas décorative. Elle est le personnage principal d’une histoire que l’on croyait avoir effacée.

    Yoyo Balagué – Les sphères de l’origine

    Chez Yoyo Balagué, la terre devient cosmologie. Ses sphères, issues d’un processus de cuisson ancestral, semblent naître autant de la planète que d’un temps mythique. Chaque pièce est à la fois pierre, planète, blessure et offrande. Loin du spectaculaire, son geste est pur, austère, honnête — comme elle le dit elle-même.
    Ce n’est pas l’artiste qui impose sa forme : c’est la matière qui parle. Le feu, l’érosion, les fissures deviennent langage. Les défauts deviennent beauté. La vulnérabilité se mue en puissance.
    Ses œuvres racontent la fusion ancienne entre la main et la terre, entre l’humain et l’élément. Elles semblent nous dire : ce que vous cherchez au ciel, vous l’avez peut-être déjà sous les pieds.

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    Xarli Zurell – Une lumière en excès

    Xarli Zurell, lui, opère une autre transfiguration. Celle de la lumière. Ses paysages sont irradiés, surexposés, traversés de figures phosphorescentes — des silhouettes arrachées à leur monde d’origine et transplantées dans une réalité solaire, sans repère, sans chronologie.
    Il peint comme on se souvient : par éclats, par surimpression, par effacement. La nature devient ici théâtre de réconciliation. La lumière, loin d’aveugler, éclaire une paix fragile, presque rêvée, entre l’humain et ce qui l’entoure.
    Il y a dans ses œuvres une mélancolie joyeuse, une tentative de capturer l’enfance du monde, cette lumière du Sud-Ouest qu’il dit porter comme un vestige. Ce n’est plus la nature sauvage, ni celle dévastée : c’est une nature transformée, altérée, mais encore vibrante — comme un organe battant sous la peau du temps.

    De l’anthropie au recommencement

    Ce que PAYSAGES ANTHROPIQUES nous murmure, ce n’est pas une nostalgie, encore moins une résignation. C’est une forme de clairvoyance. L’humain, dans sa volonté d’inscrire partout son empreinte, s’est peu à peu effacé de lui-même. À force de vouloir nommer, cadrer, maîtriser, il s’est coupé du rythme souterrain de ce qui le fait vivre.

    Mais il n’est pas trop tard pour apprendre à voir autrement. Ni à écouter.
    Cette exposition n’est pas une dénonciation. Elle est une ouverture. Une fissure dans la surface lisse de notre modernité. À travers la matière, la lumière, les formes, elle propose un retournement : regarder la nature non plus comme un décor abîmé, mais comme un sujet résilient, un allié silencieux, un miroir du possible.

    Là où l’homme s’est cru maître, la terre a attendu. Là où l’homme s’est cru seul, le vivant a patienté.

    Le philosophe Edgar Morin nous rappelle que « la voie de l’humain est une voie de reliance ». Cette reliance, ce lien brisé, est peut-être ce que chaque œuvre ici tente de réparer — à sa manière, discrète, non conquérante. En convoquant la beauté blessée du monde, les artistes nous rappellent que nous ne sommes pas à l’extérieur de la nature, mais au cœur de ses métamorphoses.

    Et si le sens de notre époque — ce vide dense qu’on appelle anthropocène — était justement de redevenir capable de silence, de lenteur, de reliance ? Non pour régresser, mais pour réapprendre. Réensauvager notre regard. Redonner à la création le pouvoir de relier.

    Comme Sisyphe, peut-être, nous sommes condamnés à recommencer. Mais cette fois, nous pourrions choisir une autre pente. Non plus celle de la domination, mais celle de la conscience. Et retrouver, au bout du chaos, quelque chose d’aussi ancien que la vie : une promesse d’équilibre.

  • Les mots en partage : une passerelle vers demain

    Il est des rencontres qui, loin des effets d’annonce ou des artifices du spectacle littéraire, creusent un sillon profond dans l’esprit de ceux qui y assistent. Le matin du 11 avril, dans le cadre du Salon des Livres de Paris, une telle alchimie s’est produite. Trois auteurs français publiés chez La Route de la Soie – Éditions, Alexandre Arditti, Frédéric Vissense et Sébastien Quagebeur, ont dialogué en public avec trois figures majeures de la littérature chinoise contemporaine : Mai Jia, Liu Zhenyun et Zhao Lihong (publié également par La Route de la Soie – Éditions).

    Ce fut moins une joute qu’un échange sensible, un entrelacs de regards, d’images, de questions profondes. À rebours des slogans, les six auteurs ont évoqué ce que signifie, aujourd’hui, écrire dans un monde fracturé, traversé d’ombres et d’élans. Ce que signifie prendre le temps du mot juste, de l’observation précise, du récit qui relie plutôt que qui sépare.

    Frédéric Vissense, Liu Zhenyun, Sonia Bressler, La Route de la Soie - Éditions, livre, littérature, chine, culture, dialogue, France, salon des livres, Paris 2025, Grand Palais

    L’observation comme philosophie

    S’il fallait dégager une ligne de force, un fil rouge de cette matinée, ce serait sans doute la puissance de l’observation — non pas l’observation froide du scientifique, mais celle, vibrante, du poète ou du romancier : celle qui saisit une main qui tremble, un silence entre deux phrases, un battement d’aile au-dessus d’un champ de ruines.

    Frédéric Vissense a évoqué, à travers ses écrits, le rôle des machines dans notre monde : non pas comme entités techniques, mais comme révélateurs de notre rapport au pouvoir, à la norme, au fantasme de contrôle. À ses côtés, Alexandre Arditti a insisté sur la mémoire, les nœuds familiaux, les cicatrices intimes que seule l’écriture permet d’éclairer sans brutalité. Sébastien Quagebeur, quant à lui, a mis en avant le langage comme forme d’engagement existentiel, comme manière d’habiter le monde dans sa complexité.

    La littérature comme pont entre mondes

    Face à eux, les auteurs chinois n’ont pas simplement répondu — ils ont prolongé les questions, les ont nourries d’une sagesse venue d’ailleurs. Mai Jia, célèbre pour ses romans où l’espionnage devient terrain de réflexion sur l’identité et la vérité, a rappelé que « le silence est parfois plus chargé de sens que mille mots ». Liu Zhenyun, avec son humour tranchant et son sens du rythme, a évoqué la façon dont la parole populaire peut renverser les logiques du pouvoir. Zhao Lihong, poète aux images subtiles, a parlé de la lumière qui persiste dans les interstices du quotidien, même dans les périodes les plus sombres.

    Sébastien Quagebeur, Zhao Lihong, La Route de la Soie - Éditions, Grand Palais, salon des livres Paris, 2025

    Tous, dans leur diversité de style et de parcours, ont insisté sur la nécessité de penser l’écriture comme un geste de reliance. Écrire, ce n’est pas seulement dire ; c’est relier : le passé au présent, le proche au lointain, le soi à l’autre.

    Tisser des liens vers l’avenir

    Dans une époque saturée d’informations, de messages instantanés, de discours figés, ces écrivains nous rappellent que le mot est un acte, un acte de lenteur, de justesse, de résistance même. L’écriture devient ainsi un chemin vers un autre type de futur : un futur où les différences ne font pas peur, où le dialogue ne se résume pas à une traduction automatique, mais devient une forme d’écoute active, une quête partagée de compréhension.

    La Route de la Soie – Éditions, en orchestrant cette rencontre au côté du CNPIEC, a montré qu’il est encore possible de bâtir des ponts sincères entre les cultures, à travers ce que l’humanité a de plus précieux : sa capacité à dire le monde, à le réinventer par les mots, à y inscrire des rêves sans frontières.

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  • La poésie, flamme insoumise : Zhao Lihong, Adonis, Siméon à Paris

    Zhao Lihong, poésie, résistance, Adonis, Jean-Pierre Siméon, La Route de la Soie-ÉditionsLe 8 avril 2025, au Centre Culturel de Chine à Paris, une rencontre rare se tiendra sous le signe d’un feu discret mais ardent : celui de la poésie. Trois grandes voix du monde — Zhao Lihong, Adonis, Jean-Pierre Siméon — incarneront, chacune à leur manière, la puissance transformatrice du poème dans un monde désorienté. Ce rendez-vous ne sera pas une simple lecture. Ce sera un moment d’interstice, une faille dans le tumulte, où l’esprit peut, enfin, respirer autrement.

    Poésie illimitée : un manifeste silencieux de la Route de la Soie - Éditions

    Déjà lors du salon des livres de Francfort, j'avais fait le choix pour le lancement du livre de Zhao Lihong Métamorphose(s) d'apposer le titre  – Poésie illimitée – à l'évènement. Ce titre résonne comme un oxymore à l’époque des algorithmes et de la rationalisation généralisée. Qu’est-ce qu’une parole illimitée, sinon celle qui refuse les clôtures du sens préfabriqué, les frontières identitaires, les assignations marchandes ? Comme le disait Paul Celan, "la poésie est un rendez-vous dans le temps, avec quelqu’un qui n’est pas là". Or ce 8 avril, ces absents seront, paradoxalement, très présents : Rûmî, Laozi, Hölderlin, René Char. Tous ceux qui ont fait de la parole un passage entre le visible et l’invisible.

    Zhao Lihong : la sagesse en mouvement

    Zhao Lihong est né à Shanghai, ville carrefour entre la Chine ancestrale et la modernité tremblante. Sa poésie est traversée d’un double souffle : celui du silence contemplatif des sages et celui du bruissement intense de la vie. Dans Métamorphose(s) ou Cheminements, récemment publiés par La Route de la Soie - Éditions, on entend la lenteur de la feuille qui tombe, le chant de l’enfance encore vibrant dans le tumulte adulte.

    Sa vision du monde ne cherche pas à expliquer. Elle cherche à faire sentir. À éveiller. Ce n’est pas un hasard si son écriture dialogue avec les paysages, les pierres, les arbres. Comme chez Zhuangzi, c’est le vent qui parle à travers la porte entrouverte de la poésie. L’acte poétique devient ainsi un acte ontologique : dire, c’est habiter l’infime. Dans ses vers, on retrouve cette idée de Heidegger selon laquelle « la parole est la maison de l’être ». Zhao, par sa délicatesse, nous montre que cette maison n’a pas de murs, mais un jardin intérieur.

    Adonis : le feu de la pensée critique

    Face à la mystique calme de Zhao, Adonis apporte la tension. Il est le poète de la fissure, celui qui fait éclater les formes figées, les dogmes, les illusions. Pour lui, la poésie n’est pas un refuge : elle est un instrument de démolition — et de libération. Dans sa pensée, on perçoit l’écho de Nietzsche : "Il faut porter en soi un chaos pour accoucher d’une étoile dansante".

    Adonis est un rebelle lucide, qui fait de la poésie un outil de désacralisation. Il écrit contre les enfermements religieux, contre les habitudes mentales, contre les pactes du silence. Mais sa violence est une ouverture. Car, comme Artaud, il sait que le vrai poème n’est pas une décoration, mais un acte de chair et d’esprit mêlés.

    Jean-Pierre Siméon : la reconquête du sensible

    Jean-Pierre Siméon, quant à lui, a toujours affirmé que la poésie n’est pas un luxe, mais une nécessité. Il n’en fait pas une profession littéraire mais un projet existentiel. Dans La poésie sauvera le monde, il appelle à une reconquête du sensible, une forme de résistance par l’attention à la fragilité du vivant.

    Ce poète engagé – mais jamais dans le sens réducteur d’un message – rappelle à la tradition des poètes philosophes : Rainer Maria Rilke, Antonio Machado, mais aussi Simone Weil. Pour lui, la poésie est lucidité. Et la lucidité, dans un monde anesthésié, est une subversion.

    Penser avec la poésie

    Ce que nous propose cette rencontre, ce n’est pas un retour au lyrisme, mais une pensée poétique : une façon d’envisager l’humain dans toute sa complexité, sans l’amputer de son mystère. Dans un siècle dominé par les logiques de production, de calcul et de contrôle, ces voix poétiques – venues de Chine, de Syrie, de France – s’unissent pour rappeler que la parole est encore un lieu de liberté. Peut-être le dernier.

    Zhao Lihong nous invite à voir autrement ; Adonis à penser autrement ; Siméon à vivre autrement. Ensemble, ils nous tendent un miroir, non pas pour nous reconnaître, mais pour nous interroger.

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  • Anamnèse ou l’art de raviver la mémoire

    Anamnèse, Perpignan, exposition, Art, sculpture, peinture, galerie de la main de fer, Paix, guerre, corps, mémoire, souvenir, gravureAnamnèse. Du grec ancien anámnêsis, ce terme désigne le retour à la mémoire du passé vécu. Il n’est pas une simple remémoration, mais une résurgence, une convocation du souvenir dans toute sa densité sensorielle et émotionnelle. C’est un processus qui, bien plus qu’un acte intellectuel, engage le corps, la chair, l’histoire et parfois même le trauma. En médecine, l’anamnèse permet de reconstituer le parcours du patient à partir de ses souvenirs, de ses douleurs et de ses silences. En philosophie, Platon l’évoque comme une réminiscence, un éveil de la vérité enfouie en nous. Mais qu’en est-il lorsque l’anamnèse devient un geste artistique, une tentative de rendre visibles les traces invisibles du passé ?

    Aristote, dans sa Métaphysique, distingue mémoire et anamnèse en soulignant que cette dernière est une démarche active : « La mémoire appartient à ceux qui perçoivent, mais l’anamnèse est propre à ceux qui raisonnent. »

    L’anamnèse ne se limite donc pas à un simple ressouvenir passif ; elle est une reconstruction, une quête de sens qui exige un effort de réinterprétation. C’est précisément ce que propose l’exposition Anamnèse à la Galerie La Main de Fer, en ranimant les vestiges d’une mémoire collective marquée par la Grande Guerre. À travers les œuvres d’Alain Fabreal, d’Émilie Dumas et de Thomas Waroquier, les spectres du passé émergent dans la matière picturale et sculpturale, questionnant notre rapport au souvenir, à l’oubli et à la représentation de l’horreur.

     

    Anamnèse, Perpignan, exposition, Art, sculpture, peinture, galerie de la main de fer, Paix, guerre, corps, mémoire, souvenir, gravureMémoire en ruines : la guerre et ses visages

    Il y a des événements dont la mémoire ne peut s’effacer sans trahir les souffrances qui les ont façonnés. La Première Guerre mondiale fut une apocalypse industrielle, une déflagration qui broya dix millions de vies et marqua à jamais l’identité de ceux qui en revinrent, physiquement mutilés ou psychiquement éteints. Comment alors témoigner de cette histoire autrement que par les chiffres ? Comment restituer, sans fétichisation ni banalisation, l’épreuve de ces soldats dont le corps et l’âme ont été marqués au fer rouge par la guerre ?

    Dans cette exposition, l’anamnèse prend la forme d’un face-à-face bouleversant avec les vestiges de cette mémoire blessée. Les gueules cassées de Fabreal, peintre officiel de l’Armée de Terre, nous plongent dans le regard d’hommes qui ne se reconnaissent plus eux-mêmes. Leurs visages, travaillés comme des paysages de guerre, sont traversés par des failles, des béances, des cicatrices qui disent la destruction et l’incommensurable effort de survie. « Je reprends l’idée du portrait, confie l’artiste, mais il faut témoigner de l’horreur avec objectivité. » Témoigner, donc. Non pas seulement montrer, mais raconter par la texture, par la lumière, par l’absence de complaisance.

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    L’esthétique du souvenir : entre figuration et réinvention

    Loin d’un devoir de mémoire figé, cette exposition interroge le sens même de la représentation historique. L’œuvre d’Émilie Dumas s’ancre dans une anamnèse photographique : en retrouvant et en réinterprétant les clichés du soldat-photographe Pierre Meunié, elle redonne vie aux moments suspendus de la guerre, où les combattants, dans une étrange accalmie, posent face à l’objectif. « La peinture agit comme un bain révélateur », explique-t-elle. Elle ne copie pas, elle ressuscite.

    Quant à Thomas Waroquier, il prolonge cette réflexion en sculptant la trace du trauma dans la matière. Ses visages mutilés, figés dans le bronze ou le métal, évoquent moins la destruction que la survivance. Par la puissance évocatrice des cicatrices qu’il travaille, il sublime ces gueules cassées en témoins d’une humanité fracassée mais encore debout.

    Anamnèse et présent : une mémoire en tension

    L’exposition ne se contente pas d’un regard rétrospectif. À travers l’anamnèse, elle interroge notre propre rapport au passé et à la manière dont l’art peut nous confronter à des réalités que l’ère contemporaine tend à anesthésier. Nous sommes saturés d’images de conflits, de corps martyrisés projetés sur nos écrans avec une indifférence grandissante. Cette banalisation, qui fait de l’horreur une matière consommable, s’oppose à la démarche des artistes de Anamnèse, qui cherchent à redonner aux images une puissance évocatrice, à restituer à la mémoire sa charge sensible.

    Dans ce contexte, l’anamnèse devient un acte de résistance. Résister à l’oubli, à l’uniformisation du souvenir, à l’édulcoration de la douleur historique. Loin d’un simple hommage, cette exposition est une invitation à repenser notre rapport aux traces du passé et à ce que nous en faisons aujourd’hui.

    Anamnèse n’est pas seulement une exposition commémorative ; c’est une épreuve du regard, une confrontation avec notre propre capacité – ou incapacité – à nous souvenir. Car la mémoire n’est pas un musée figé : elle est une force vivante qui, lorsqu’elle se fait art, peut encore transformer notre rapport au monde. Mais à quoi sert-il de se souvenir si ce n’est pour agir ?

    Aujourd’hui, alors que la France prône le réarmement et que les discours belliqueux prennent à nouveau le pas sur l’impératif de paix, cette exposition nous rappelle une évidence : chaque guerre est une faillite de l’humanité. Se souvenir, ce n’est pas simplement commémorer les morts d’hier, c’est refuser que d’autres subissent les mêmes atrocités demain.

    À travers ces visages mutilés, ces corps brisés, ces regards éteints, Anamnèse nous renvoie un message clair : la guerre n’est ni une aventure héroïque ni un destin inévitable. Elle est un gouffre qui dévore les individus et les nations, une machine implacable qui ne laisse derrière elle que cendres et ruines. Comme l’écrivait Kant dans son Projet de paix perpétuelle : « La paix ne saurait être instaurée ni garantie sans un contrat des peuples entre eux. Ce n’est pas une simple trêve, mais un état où l’hostilité disparaît. »

    Alors que l’on exhorte les peuples à se préparer aux conflits futurs, souvenons-nous que la seule victoire véritable est celle de la paix. Défendre la mémoire, c’est aussi refuser la fatalité de la guerre et œuvrer, avec force et lucidité, à préserver ce bien fragile et essentiel qu’est la paix.

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