« La désinformation n’est pas l’objet du présent ouvrage : ce qui compte pour nous, c’est la manière dont le Journaliste met en scène le réel pour qu’il entre dans les cases préconçues de sa pensée. Il regarde le monde avec des lunettes qui le lui montrent tel qu’il veut le voir ».
Avant de commencer, je dis MERCI. Voilà un ouvrage que j'attendais depuis fort longtemps. Il complète mes recherches et mes démarches.
Survivre aujourd'hui face au délitement des opinions réelles, survivre face à la quête des Pokémon de l'information.
Ingrid Riocreux a pris de nombreuses notes devant des émissions de télévision ou en écoutant la radio. Mais pourquoi me direz-vous ? C'est simple, vous entendez cette langue devenue si banale ? La langue des médias, sans vous apercevoir elle vous dicte vos comportements, vos compréhensions du monde, l'effet de sidération c'est elle, vos colères, vos déceptions aussi. J'exagère juste un peu. Mais reprenons, et délectons-nous : le mécanisme est simple. Prenons le mot "migrant" ce mot n'est jamais défini... Pourtant il s'agit de personne, d'être humain. Tel que l'on nous présente les informations aujourd'hui, nous avons l'impression de voir des zombies passés d'un endroit à un autre. Des personnes sans papier, en situation irrégulière cela a un nom des "clandestins". Aïe. Mais si on recherche un peu le mot "migrant" se trouve catégoriser et même subdiviser en sous-catégories 'migrant régulier' - 'migrant forcé'... Etc. Mais bon il est vrai que les titres de journaux seraient plus compliqués à trouver si on commençait à bien circonscrire un fait ou un lieu. Nous pourrions prendre l'exemple de Mossoul (cette ville n'est que très rarement située - la plupart des gens pense qu'elle est en Syrie or elle est bien en Irak).
Attention bientôt, je vais être traitée de "-phobe" (homophobe, islamophobe, etc.), ah non encore mieux de complotiste (celui-là depuis le début c'est mon préféré).
Comme je le répète depuis des années, un mot c'est un mot. Plus on a de mots et plus notre univers est vaste. Ce n'est pas pour rien que Duras avait écrit que si elle devait aller en prison, elle emporterait avec elle un dictionnaire.
Mais revenons au fabuleux travail de recherche de Ingrid Rriocreux. Car il est plus que facile d'afficher l’inculture générale des journalistes, de leur maniement plus qu’approximatif de la langue française, de leur attitude inquisitoriale à l’égard de leurs « invités » lorsque ceux-ci essayent de démontrer les idées reçues et leur art consommé du mensonge et de la désinformation.
L'auteur démontre avec force qu'au-delà des imperfections de langage qui ne sont que le reflet de l’abaissement général du système éducatif, les Journalistes sont au service d’une idéologie, celle de la pensée dominante. Ils sont « les gardiens du Code ». Et pour cela, elle fait usage d'une très belle image : celle de Winston de 1984 de Gorge Orwell. Comme elle l'écrit "on ne s'intéresse guère à la similitude entre le travail de nos journalistes et le métier de Winston, le personnage principal dans ce roman : il travaille au Commissariat aux archives du Ministère de la Vérité. Sa tâche consiste à "rectifier" des informations anciennes afin qu'elles correspondent aux vérités nouvelles. Les ennemis d'hier sont devenus des amis, il convient donc de "corriger" les articles de journaux qui justifiaient la guerre contre cet ennemi."
Tel est le métier des journalistes. La Vérité change avec le vent (comme déjà dit ici les vents sont soufflés par des actionnaires, ou des lobbys, etc.). Attention, n'allez pas me traiter à nouveau d'amoureuse des complots. Je vais le dire une fois pour toute. Le complot c'est trop facile, trop évident... Il faut comprendre que le pigiste qui est là pour défendre sa place, ne va pas rechigner à changer son angle, à arrondir ses axes de réflexion. Il en va de même à tous les niveaux.
Ingrid Riocreux affirme que les journalistes sont eux-mêmes manipulés par des forces qui les dépassent. Il faut trouver l'équilibre entre les annonceurs qui apportent la manne publicitaire, les grands groupes financiers et économiques qui possèdent une bonne partie de la presse écrite et audiovisuelle, l’Etat sont des acteurs avec lesquels il faut compter, et qui véhiculent l’idéologie libérale-libertaire elle-même au cœur de la pensée dominante.
C'est au travers de tout ce prisme que naît cette langue des médias, véritable mise en scène du réel, qui va de proche en proche conduire l’auditeur ou le téléspectateur à se persuader que « c’est vrai puisqu’ils l’ont dit à la télé ».
La dernière phrase de cet essai est un régal, un délice... je vous la livre brute : "le système qui, par son oeuvre éducatrice (scolaire et médiatique), se targuait d'engendrer des personnes libres et responsables, pétries des idéaux les plus nobles, s'écroulera donc sous les coups de ce qu'il a lui-même produit, en réalité : un gibier de dictature".
Evidemment, j'aurais aimé continuer le dialogue avec cet essai, et le prolonger dans une distinction entre le langage et la langue. Une langue n'est que le prolongement d'un langage (qui lui comprend le corps, l'environnement social)... Mais une chose est sûre, c'est que le système en place produit une dictature qui ne dit pas son nom et des êtres qui, même en colère, restent obéissants ou plus exactement soumis à des normes restreintes.
Pour moi, le langage des médias n'est désormais plus qu'un rouage, d'un mécanisme plus large, qui fonctionne en écho ou en écosystème avec les nouvelles technologies. La création de la cybernétique de Norbert Wiener est fondée sur ce pilotage (comme son nom l'indique). Il avait clairement écrit dans son essai éponyme qu'il s'agissait de piloter les esprits... Quoi de mieux que la répétition des messages ? Et lorsque l'on regarde de plus près on découvre les fabuleuses machinations d'Edward Louis Bernays : "La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays" (Cf. Propaganda, p.31).