Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Le portrait de Raoul

    Capture d’écran 2019-05-23 à 07.12.12.png

    Connaissez-vous Raoul ?

    Raoul n'est pas un personnage comme les autres. Raoul est une constellation comme les aime Philippe Minyana. Un point dans l'univers où se croisent les énergies, la grande histoire du théâtre et des arts. Un point des humanités. Un point fragile et fort.

    À quoi pouvons-nous résumer une vie ? À un ensemble de personnes croisées ? À un ensemble de liens tissés ?

    Faire le portrait de Raoul, c'est entrer dans la doublure invisible du visible.  Alternativement, nous passons du bruit de la canette, à la lumière des plus grandes scènes du monde. Des fantômes des petits frères à la voix de la grand-mère puis à la douceur de sa mère. Cette mère qui lui a transmis le goût de la couture, du travail bien fait. Les catalogues des costumes français dans le coin de la pièce. Des heures à voir et à faire des robes de Dior, de Lanvin...

    Oui. Raoul est couturier, costumier, acteur, chanteur. Comme tous les êtres brillants, il est polyvalent. Multiple. Joueur, rieur, fin observateur. Malicieux, tendre, inventif, mélancolique.

    Entrons dans la constellation de Raoul Fernandez.

    Suivons le fil de la tendresse bienveillante de la mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo. Fragilités, couleurs, émotions. De l'ombre à lumière. Du costumier à l'acteur, de l'acteur au metteur en scène, deux constellations se font écho. L'intime se révèle. Et cette part de l'intime ne serait-elle pas cet "entre-deux" ?

    Un entre-deux. Sommes-nous de la terre où nous sommes nés ? Ou bien sommes-nous seulement de celle où nous vivons ? Être ici et pourtant d'ailleurs. Impossible d'être uniquement de là-bas. Ce léger accent, ce léger attachement à cet endroit fantomatique. Cette terre native qui chante, enchante et hante. L'Amérique latine mère des constellations de Raoul Fernandez et de Marcial Di Fonzo Bo. Marcial est né à Buenos Aires, Raoul, quant à lui, est né à El Tránsito au Salvador.

    Sous les projecteurs, les mots d'une vie. Nous voyons les parois blanches de El Tránsito. Nous sentons la mer. Nous pleurons les enfants perdus. La folie d'un père. Le bruit de la machine à coudre. Les drames sont des joies. Les joies sont des drames. Au milieu de ces odeurs, de ces couleurs, des glaces de la rue principale, le fil d'une vie se lance, s'étire, s'agrafe. Paris comme lumière, comme rêve.

    Raoul aime Molière. La langue française c'est comme cela qui l'a apprise. "Le scandale du monde est ce qui fait l’offense Et ce n’est pas pécher que pécher en silence (Molière, Tartuffe)."

    Raoul part. Il traverse un océan.

    Raoul rencontre Raúl Damonte Botana (Copi). Il lui fera les costumes. Mais Copi lui fera découvrir la joie de s'affirmer. Quoi de mieux qu'une perruque ? L'entre deux revient dans une valse incessante.

    Si vous me réduisez au désespoir, je vous avertis qu’une femme en cet état est capable de tout. (Molière, Georges Dandin)”

    Raoul est une très belle femme.

    Comme toutes les femmes, il cherche à avoir des seins. "Mes nichons poussent". L'identité est une effervescence, elle ne peut se résumer à un seul genre, à un seul lieu.

    Raoul rencontre Rudolf Noureev directeur du ballet de l'Opéra de Paris. Il fera les costumes, savourera les opéras depuis les coulisses.

    Raoul rencontre Stanislas Nordey qui le fera monter sur la scène. La fin des coulisses pour Raoul. La scène. La lumière. Le désir. Les mots sortent, les mots se dévoilent. L'acteur se révèle.

    Raoul rencontre Marcial Di Fonzo Bo. La scène théâtrale se fait moins clivante. Le cinéma entre sur scène. Il devient lumière, danse, transe, transition. Joie, joyau. Le portrait de Raoul est un festival de couleurs, de points, de plis, de déliés, d'odeurs, de souvenirs, de voyages, de tendresses.

    Une vie c'est un imaginaire. C'est aussi la force des fantômes qui la hante. Nous cheminons avec délice sur le fil d'une vie. Une pièce sur mesure, réalisée à plusieurs mains.

    Émotions flamboyantes d'une vie.

    Raoul Fernandez constellation magnifique.

     

    _______

    Avec Raoul Fernandez

    Mise en scène Marcial Di Fonzo Bo

    Production : Comédie de Caen-CDN de Normandie.

     

     

  • 21 rue des sources

    image000000(1).jpg

    Quel doux nom de rue. Ne trouvez-vous pas ? Elle chante comme une fontaine de jouvence. Le jour s'y lève sur les rêves d'une famille. Une vie. Des vies. Une mélodie familiale. La guerre et ses frayeurs : ses découvertes et ses pertes. Le bruit des bombes, des premières amours. La maison tient toujours. Solide bâtisse où tout y vit, tout y vibre, même les ombres. Surtout les ombres. À hauteur d'enfant, nous nous glissons dans leurs coulisses. Nous savourons les pommes, ramassons les fleurs, jouons avec le chien. Ce chien qui du fond des âges nous revient. Comme une lumière de printemps.

    Fin de la guerre, la joie, la libération. La maison ouvrière est devenue bourgeoise. Changement de génération autour d'une maison "épicerie".

    Que trouvons-nous dans une épicerie ? Des odeurs, des saveurs, des trucs, des astuces. Nous sommes ici dans une pièce de Philippe Minyana. Nul doute possible. Les inventaires des délices comme des silences sont là. Les détails s'écrivent autour d'une facilité de la langue. Facile cela signifie juste. Efficace. Sensible. Hyper-sensible pour être à la mode. Toujours à la limite. Toujours à la faille. Toujours face au précipice.

    Une joie sautille, un humour grinçant se dessine. C'est pur, c'est tendu. Cette langue fragile et douce, forte et féroce, nous accompagne. Elle est souple. Elle virevolte. Elle sait se saisir du temps. Suspendue, elle regarde l'espace. Il n'y a pas de plus belle langue théâtrale.

    Soudain. Vous vous surprenez à en dire les mots. Elle est dans votre mémoire. Elle joue avec vous. Elle vous invite dans cette maison pour une visite extraordinaire et joyeuse.

    Assis, debout, volant. Vous êtes là. Vous suivez cette langue. Avec elle, vous prenez corps dans le souvenir. Deux fantômes vous y accompagnent. Laurent Charpentier et Catherine Matisse.

    Deux lueurs, je n'ai pas envie de dire "acteurs". Deux fantômes, deux présences incroyables. Deux voix splendides. Deux chants. Deux histoires parallèles. Ce dialogue est-il possible ? Il est une joie, une tendresse, une jubilation. Corps, sans corps ou double perspective des souvenirs.

    Ils jouent de pièce en pièce, de charme en charme. Ici la cuisine. Ici le salon. Ils nous entraînent dans les méandres de cette maison. Regards sur leurs passés croisés, communs. Tout se déplie. Ils touchent en écho. Grandeurs et décadences de cette famille. Dès les premières phrases, nous sommes cueillis. "Fatigués de cette journée..." Invitation au voyage.

    « Tu les entends ? » « Oui je les entends. » Mais qui entendons-nous ? Qui attendons-nous ? Deux fantômes énigmatiques. Fiers de leurs beaux costumes retrouvés ? Sincérité étincelante des choix de Raoul Fernandez (costumier). Le blanc. Plus tout à fait blanc. Blanc du mariage, de la mort, des souvenirs écornés.

    Nous aussi, nous les entendons. Au milieu des souvenirs, jaillissent les HLM, les voitures, la fin des Trente Glorieuses. Nous suivons le fil. Cette lumière tendre d'où procède l'imaginaire. L'espace se dessine furtif. Nous allons de pièce en pièce avec les nuanciers de Marylin Alasset (scénographie /lumière). Qu'il est doux de donner l'espace à l'imaginaire du spectateur. Il peut ainsi vagabonder dans les photos souvenirs, les joies perdues, les innocences cachées, les rires, les maladresses. Tout se conserve dans cette famille.

    Et puis il y a cette douce mélodie. Ponctuations de notes qui nous conduisent entre les larmes des souvenirs et les joies des drames. Nicolas Ducloux se joue du piano. Il épaissit les souvenirs. Il redonne du corps à ses deux fantômes. Nos deux amis de la soirée.

    « C'est là que je suis morte » dit madame Avril. « Je me suis offert un platane » dit l'Ami. Écoutez, il n'y a pas de drame. Juste la vie. Pas de tristesse. Juste de la mélancolie. « L'ordre des choses est toujours un désordre » dit l'Ami.

    Comme le souligne Philippe Minyana "Les Mots fabriqueront la Fiction ! Et on entendra la belle et terrible histoire des Trente Glorieuses ; métamorphoses et mutations ! Passions et mortifications ! Une vie, des vies ordinaires, donc exemplaires. La vie d'une maison comme la métaphore d'une civilisation en mouvement, comme le reflet d'un fragment d'histoire. Vérité déformée, aléatoire, universelle."

    J'ai aimé ces fantômes. J'étais bien avec eux au coeur de la malice de leurs souvenirs. Avec eux se dessine la profonde tendresse de l'auteur pour l'humanité des humbles. 

     

    ___________

    Texte et mise en scène : Philippe Minyana
    Avec : Laurent Charpentier, Catherine Matisse
    Pianiste : Nicolas Ducloux
    Costumes : Raoul Fernandez
    Magie : Benoit Dattez
    Scénographie / lumière : Marylin Alasset
    Assistant à la mise en scène et servant de scène : Julien Avril

    Durée : 1h30

    Production : Centre Dramatique National Nancy Lorraine, La Manufacture
    Coproduction : La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc ; Comédie de Caen, CDN de Normandie ; Théâtre du Rond-Point, Paris
    Texte lauréat de la Commission Nationale d’Aide à la Création de textes dramatiques-ARTCENA
    Compagnie en résidence à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc