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théâtre

  • Le portrait de Raoul

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    Connaissez-vous Raoul ?

    Raoul n'est pas un personnage comme les autres. Raoul est une constellation comme les aime Philippe Minyana. Un point dans l'univers où se croisent les énergies, la grande histoire du théâtre et des arts. Un point des humanités. Un point fragile et fort.

    À quoi pouvons-nous résumer une vie ? À un ensemble de personnes croisées ? À un ensemble de liens tissés ?

    Faire le portrait de Raoul, c'est entrer dans la doublure invisible du visible.  Alternativement, nous passons du bruit de la canette, à la lumière des plus grandes scènes du monde. Des fantômes des petits frères à la voix de la grand-mère puis à la douceur de sa mère. Cette mère qui lui a transmis le goût de la couture, du travail bien fait. Les catalogues des costumes français dans le coin de la pièce. Des heures à voir et à faire des robes de Dior, de Lanvin...

    Oui. Raoul est couturier, costumier, acteur, chanteur. Comme tous les êtres brillants, il est polyvalent. Multiple. Joueur, rieur, fin observateur. Malicieux, tendre, inventif, mélancolique.

    Entrons dans la constellation de Raoul Fernandez.

    Suivons le fil de la tendresse bienveillante de la mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo. Fragilités, couleurs, émotions. De l'ombre à lumière. Du costumier à l'acteur, de l'acteur au metteur en scène, deux constellations se font écho. L'intime se révèle. Et cette part de l'intime ne serait-elle pas cet "entre-deux" ?

    Un entre-deux. Sommes-nous de la terre où nous sommes nés ? Ou bien sommes-nous seulement de celle où nous vivons ? Être ici et pourtant d'ailleurs. Impossible d'être uniquement de là-bas. Ce léger accent, ce léger attachement à cet endroit fantomatique. Cette terre native qui chante, enchante et hante. L'Amérique latine mère des constellations de Raoul Fernandez et de Marcial Di Fonzo Bo. Marcial est né à Buenos Aires, Raoul, quant à lui, est né à El Tránsito au Salvador.

    Sous les projecteurs, les mots d'une vie. Nous voyons les parois blanches de El Tránsito. Nous sentons la mer. Nous pleurons les enfants perdus. La folie d'un père. Le bruit de la machine à coudre. Les drames sont des joies. Les joies sont des drames. Au milieu de ces odeurs, de ces couleurs, des glaces de la rue principale, le fil d'une vie se lance, s'étire, s'agrafe. Paris comme lumière, comme rêve.

    Raoul aime Molière. La langue française c'est comme cela qui l'a apprise. "Le scandale du monde est ce qui fait l’offense Et ce n’est pas pécher que pécher en silence (Molière, Tartuffe)."

    Raoul part. Il traverse un océan.

    Raoul rencontre Raúl Damonte Botana (Copi). Il lui fera les costumes. Mais Copi lui fera découvrir la joie de s'affirmer. Quoi de mieux qu'une perruque ? L'entre deux revient dans une valse incessante.

    Si vous me réduisez au désespoir, je vous avertis qu’une femme en cet état est capable de tout. (Molière, Georges Dandin)”

    Raoul est une très belle femme.

    Comme toutes les femmes, il cherche à avoir des seins. "Mes nichons poussent". L'identité est une effervescence, elle ne peut se résumer à un seul genre, à un seul lieu.

    Raoul rencontre Rudolf Noureev directeur du ballet de l'Opéra de Paris. Il fera les costumes, savourera les opéras depuis les coulisses.

    Raoul rencontre Stanislas Nordey qui le fera monter sur la scène. La fin des coulisses pour Raoul. La scène. La lumière. Le désir. Les mots sortent, les mots se dévoilent. L'acteur se révèle.

    Raoul rencontre Marcial Di Fonzo Bo. La scène théâtrale se fait moins clivante. Le cinéma entre sur scène. Il devient lumière, danse, transe, transition. Joie, joyau. Le portrait de Raoul est un festival de couleurs, de points, de plis, de déliés, d'odeurs, de souvenirs, de voyages, de tendresses.

    Une vie c'est un imaginaire. C'est aussi la force des fantômes qui la hante. Nous cheminons avec délice sur le fil d'une vie. Une pièce sur mesure, réalisée à plusieurs mains.

    Émotions flamboyantes d'une vie.

    Raoul Fernandez constellation magnifique.

     

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    Avec Raoul Fernandez

    Mise en scène Marcial Di Fonzo Bo

    Production : Comédie de Caen-CDN de Normandie.

     

     

  • Rabbit Hole

    0x1200x17698-or.jpgNous sommes vendredi 18 janvier 2019. Le froid bat les pavés parisiens. Les discours volent en tous les sens, comme autant de commentaires infinis sur le désordre social. Tout ceci rime dans mon esprit avec l'absence de réflexion, de mise en perspectives (un effondrement d'un système ne signifie pas la fin de tout, mais bien la nécessaire mise en commun de nos réflexions pour en élaborer un autre - cf. Traces de révoltes). Serions-nous en dissonance cognitive collective ? 

    Pourquoi cette introduction me direz-vous ? Parce que nous sommes des corps situés. Le contexte d'une rencontre, d'une découverte importe donc pour comprendre ce qui é-meut. Rendez-vous donc au Théâtre des Bouffes Parisiens pour découvrir la pièce Rabbit Hole.

    Il fait froid, il fait nuit, la journée a été longue de ces contradictions permanentes, et je ne vous cache pas mon a priori énorme à voir une pièce qui nécessairement allait me faire remonter des souvenirs.

    Lorsque j'ai lu le résumé de la pièce, mon envie de faire demi-tour était grande : "Une création tout en nuances et en émotions. Comment des parents peuvent-ils se remettre de la perte d'un enfant...? Loin des facilités du pathos, cette histoire nous plonge dans le quotidien d'une famille tentant de se reconstruire. Un quotidien sensible, lucide, souvent drôle, même, qui transcende les petites choses de l'ordinaire pour faire vibrer la profondeur de l'humain." 

     

    Disparaître ou continuer à aimer ?

    Quel est donc cet endroit où nous pourrions nous cacher ? Cacher notre douleur de cet amour impossible à se détacher de nous-même ? Sans doute est-ce là l'enjeu du "Rabbit Hole", ce trou de lapin où nous aimerions tous nous cacher quand rien peut aller à la suite de la perte tragique d'un enfant (ou d'un proche). David Lindsay-Abaire, l'auteur américain de cette pièce a sans doute eu cela en tête lorsqu'il a décidé d'écrire avec force et sincérité l'histoire de ce couple huit mois après la disparition de leur fils. 

    C'est  donc l’histoire de Becky (Julie Gayet) et Howard (Patrick Catalifo), qui tentent, chacun à leur manière de faire face à la mort de leur enfant de quatre ans, fauché par une voiture alors qu'il courait après son chien. L'univers bascule, les souvenirs envahissent le présent, la perte occupe l'espace de cette maison. L'onde de choc parcourt le plateau. Comment revenir à la vie ? Comment aimer à nouveau ? Le couple est entouré ici de Izzy (Lolita Chammah), la sœur de Becky qui tombe enceinte et ne sait pas comment l'annoncer à sa soeur et Nat (Christiane Cohendy), leur mère. 

     

    Dire avec le tranchant de l'humour

    Comment faire disparaître cette boule (de douleur) au fond de soi qui empêche d'avancer ?  David Lindsay-Abaire se joue des mots, du quotidien. Tout se révèle au fur et à mesure de la pièce. Les situations, les gestes, les phrases rien ne doit dépasser, rien ne doit provoquer le chagrin, la douleur des parents. 

    Là où je m'attendais à du pathologique, du drame en noir : surprise ! L'humour implacable de la langue et des absurdités du quotidien sont mises en avant. À chaque instant, jaillit un trait d'humour. Quand Becky parle de la crème caramel, quand Izzy raconte son altercation en boîte de nuit, ou quand Nat évoque le bruit autour des jouets offerts... L'humour noir entre Becky et Howard. L'humour tragique jaillit aussi au moment où les personnages perdent le contrôle, ne voyant plus leur maladresse (je pense ici où Nat évoque avec insistance la malédiction du clan Kennedy). 

    Il y aussi le renversement de nos biais cognitifs, nous pensons immédiatement que Howard semble plus armé pour survivre au drame et renouer avec une vie "normale"... Mais une fois au coeur de leur quotidien on s'aperçoit que la situation est plus complexe. Les douleurs respectives du couple mais également de leurs proches résonnent en écho. Comment s'en sortir ? Comment vivre après la perte ? "Rien ne sera plus comme avant" alors à quoi bon chercher ? 

    Ce fragment de vie passé au microscope, nous fait voir une chose remarquable: la vie en elle-même. Vivre c'est s'accrocher, se raccrocher, c'est un déséquilibre. Vivre, c'est faire résonner nos écorchures plus ou moins profondes. Sans cesse, sur le fil de l'humour. Il ne faut pas vous tromper en lisant le résumé de cette pièce, le fil conducteur n'est pas le pathologique mais l'amour (et son liant universel l'humour). 

     

     

    Des acteurs remarquables 

    Comment entrer dans ces rôle complexes sans y laisser des plumes ? Comment faire la part des choses entre les douleurs des personnages et ses propres douleurs ?

    Je dois avouer ici que j'ai complètement découvert Julie Gayet. Une révélation en mère forte et fragile. Elle incarne Becky. Elle veut dire sa douleur de mère tout en cherchant à faire sans son fils. En violences contenues, en mots jetés, rattrapés, en gestes pour dire sans dire. Je l'ai trouvée renversante de sincérité.  

    Face à elle, Patrick Catalifo incarne Howard (son mari). Une présence scénique puissante et fragile. On le voit comme mari, mais il est le père. Et c'est dans ce renversement permanent du père qui veut dire sa douleur et du mari qui veut aider sa femme à s'en sortir que Patrick Catalifo prend une dimension magnifique. 

    Lolita Chammah incarne Izzy (la soeur) de façon à la fois sublime et fantasque. Une énergie à toute épreuve, un humour incisif, une belle et attachante présence. 

    Renan Prévot qui incarne le jeune conducteur joue à la perfection sa présence fragile, perdue, déboussolée, déboussolante. 

    Christiane Cohendy (Nat) en mère de Becky est totalement bouleversante de justesse. Elle une palpitation. Elle qui doit ou devrait consoler sa fille, tout en soutenant la grossesse de son autre fille, tout en pleurant la perte de son petit fils, tout en revivant la mort de son fils. Il y a chez Christiane Cohendy une magnifique facilité à être ce personnage. Elle lui donne corps, faisant régner la mélodie des fractales temporelles.

     

    Comment conclure ?

    Maison ouverte, mouvante. Claudia Stavisky et le scénographe Alexandre de Dardel ont mis en écho les souvenirs par des jeux d'espace qui se plient, se replient, se déplient. Où l'humour transcende la douleur, où les pas des uns font danser les souvenirs des autres. Ainsi portée et orchestrée, Rabbit Hole est une pièce qui donne envie de retrouver sa joie de vivre, son humanité. Une bouffée d'air frais. Une véritable leçon d'amour.

     

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    Mise en scène : Claudia Stavisky 

    Adaptation : Marc Lesage

    Distribution : Julie Gayet, Patrick Catalifo, Lolita Chammah, Christiane Cohendy, Renan Prévot

    Informations & Réservations : Guichet - 4, rue Monsigny,  75002   Paris

    Tél. location : 01.42.96.92.42 / 01.42.96.92.44 Fax location : 01.42.86.88.73

     

     

     

     

  • Une actrice

    AFF-UNE-ACTRICE.jpgPar où devons-nous commencer ? Par le froid qui brûlait les joues, hier, de tous ceux qui attendaient le début de la pièce Une Actrice  ? Par une journée qui bascule d'un univers à l'autre ? Par les mots, sans doute, par ces mots étranges que nous portons tous les jours avec nous. 

    Ces mots qui nous les a mis en bouche ? Un auteur, un narrateur, nos expériences, nos désordres, nos fêlures... 

    Une porte s'ouvre, on annonce l'entrée en salle. Les esprits se libèrent, les corps se meuvent dans ce théâtre. "Ce soir, c'est un peu un rendez-vous de famille" lance Philippe Tesson en introduction. Une famille unie par les mots...

    "Les mots sont les passants mystérieux de l'âme" disait Victor Hugo. Ils apparaissent comme des chimères, disparaissent comme des dieux.

    Les mots sont ici, ceux de Philippe Minyana. Il signe un texte vif, incisif qui défie les années, les mécaniques mémorielles. Une poésie pure. Ils chantent le printemps, enchantent la nuit, soulèvent des paradoxes. Et vous vous souvenez-vous de ce "dos", de cette "tasse brisée", de l'odeur des "nappes en plastique" ?

    Non et pourtant ne sentez-vous pas ce doux parfum de fleur d'oranger ? La caresse de cette lumière de printemps qui s'attarde ?

    Fermez les yeux. Laissez-vous emporter. Les mots sont aussi ceux de Judith Magre. Elle est l'Actrice. Avec une majuscule. Elle traverse l'histoire avec son amour des mots, ses histoires d'amour, ses valses avec Max Ernst, les cheveux au vent avec les poètes. Depuis toujours, elle s'habille de mots. L'élégance de la scène lui va si bien. 

    Ah les mots, ce ne sont que des mots...

    Des mots sans fin, sans suite...

    Pierre Notte accompagne Judith dans les souvenirs. Il joue l'auteur, il veut sa biographie de l'actrice. Mais qu'est-ce qu'une actrice ? 

    Un ensemble de mots jetés, projetés, criés, aimés, chahutés, brisés, crachés, dégueulés en bord de scène... Encore des mots toujours des mots. Les mots qui dessinent le personnage.

    Un mot c'est une goutte de parfum dans l'espace de l'altérité, semble nous suggérer du bout des lèvres Judith Magre. Mais ne serait-ce pas encore les mots de l'auteur Philippe Minyana ?

    Je sais ce qu'il va me répondre "vous les philosophes, vous vous sortez de tout"... Nous les philosophes, nous sommes aussi des joueurs de mots, des briseurs de concepts, des empêcheurs de tourner en rond. Nous écoutons leur mélodie, en dessinons les contours historiques, nous les fracassons ou plus poétiquement les déconstruisons.

    Dans l'intimité du Théâtre de Poche, en jouant sur les mots, en caressant le sens du monde, se dessine sous nos yeux un témoignage fabuleusement étrange. Simultanément proche et lointain. En venant écouter des mots, nous réenchantons collectivement le monde. Nous résistons. Nous tissons ce lien pour éviter la dispersion comme la disparition progressive du langage.

    Une Actrice c'est tout cela à la fois : une poésie, un combat pour être soi et affirmer sa place d'artiste. Une Actrice c'est, au-delà des mots, une Artiste.

     

     

    AFF-UNE-ACTRICE.jpgDe Philippe MINYANA - Mise en scène Pierre NOTTE

    DU 20 MARS AU 20 MAI 2018 - Du mardi au samedi 21h, dimanche 15h

    Avec : Judith MAGRE, Pierre NOTTE, Marie NOTTE

    Lumières Éric SCHOENZETTER

    Tarifs à partir de 19 € / 10 € (-26 ans)

    Durée 1h15

    Production La Compagnie des gens qui tombent Coproduction Théâtre Montansier à Versailles et coréalisation Théâtre de Poche-Montparnasse

    Site du Théâtre de Poche