Charlotte Rampling, magnétique
Elle a été la marraine de la 29e édition du Festival international de films de femmes de Créteil. À cette occasion, elle a accepté de revenir sur ses dix dernières années de carrière.
Née le 5 février 1945 à Summer (Essex, Grande-Bretagne), elle quitte à neuf ans l’Angleterre et s’installe, avec sa famille, à Fontainebleau. Après un passage en Espagne, elle se retrouve à Londres où elle travaille comme cover-girl avant de débuter au cinéma par un premier rôle dans Le Knack... de Richard Lester. Puis elle tourne avec Luchino Visconti dans Les Damnés.
Charlotte Rampling revient au cinéma un an après le décès de sa sœur, avec The Ski Bum. C’est grâce à Portier de nuit en 1974 qu’elle trouve la reconnaissance du public. Elle collabore avec John Boorman dans Zardoz, Woody Allen dans Stardust Memories et Sidney Lumet dans Le Verdict. L’année 2000 marque son retour avec Sous le sable de François Ozon. Elle reçoit alors un césar d’honneur en 2001. Il l’engage à nouveau pour son film Swimming Pool. Elle joue également aux côtés de Jacques Dutronc dans la comédie Embrassez qui vous voudrez. En 2006, elle partage l’affiche avec Jean Rochefort dans la dernière comédie d’Antoine de Caunes intitulée Désaccord parfait.
Déjà invitée en 1995 au festival, elle avait retracé son parcours en un autoportrait magistral. Aujourd’hui la plus british des actrices françaises - ou l’inverse, selon le côté de la Manche où l’on se place - revient non seulement pour être la marraine de cette édition so british du festival, mais aussi pour montrer huit films qui révèlent son audace auprès de jeunes réalisateurs.
Vous semblez être revenue à l’envie de faire du cinéma avec le film de Michael Cacoyannis : La Cerisaie (en 1999) ?
Charlotte Rampling : Oui à l’époque, je traversais une période difficile. J’avais perdu le sens et le désir de faire du cinéma. Alors que Julie Christie (actrice que j’adore) s’était décommandée, je me suis rendue à Athènes, suite à un appel de Michael Cacoyannis, pour jouer dans son film. Là il m’a posé un ultimatum : « maintenant, c’est oui ou c’est non ». Il fallait que je réagisse. C’était comme un cadeau qu’il me faisait : il me redonnait goût à la vie, au langage et au théâtre. En plus il m’offrait une immersion avec des acteurs anglo-saxons. C’était une véritable cure de jouvence pour moi.
Un tel retour, sous les feux de la rampe du grand écran, se devait d’être souligné. En effet, après on vous retrouve dans le film de Jonathan Nossiter : Signs & Wonders (en 2000)
Charlotte Rampling : C’était comme une continuité. À nouveau, je jouais à Athènes. Signs & Wonders est visuellement très particulier. Il est sous tension. Il y a beaucoup de bruit, de mouvement dans les rues d’Athènes.
Ce film est une tension permanente, c’est un thriller conjugal avec des jeux urbains particulièrement bien choisis qui soulignent les oppositions entre couples père/fille et mère/fils. Comment arrivez-vous à jouer, avec tant de justesse, des personnages aussi difficiles ? Comment se fait votre travail d’incarnation du personnage ?
Charlotte Rampling : La question, c’est comment on traverse la vie sans être totalement détruit par elle. Comme nous le faisons dans la vie, les personnages de cinéma ont leurs propres moyens - dans Vers le Sud c’est une sorte de cynisme. Je pense que l’intérêt d’un personnage c’est justement d’essayer de montrer comment il fabrique sa façon de vivre, comment il tient, ou ne tient pas. Cela vient beaucoup du vécu de chaque acteur, le personnage est comme une branche de l’acteur. On a beaucoup de personnages en nous. Les gens sont fascinés par les acteurs parce qu’ils peuvent vivre tout ça pour un moment. Quelqu’un qui ne joue pas la comédie joue peut-être en dehors de son travail, en faisant des fêtes, en inventant des choses. Beaucoup de gens jouent des rôles ; la seule différence c’est que pour nous, c’est enregistré. L’interprétation, c’est le mystère du geste créatif, du même ordre, lorsque le peintre met la couleur sur le tableau, pourquoi il la met là, ou là... Dans le cinéma, c’est très angoissant et ça le devient de plus en plus, parce que contrairement au théâtre, on n’a pas le temps d’absorber le travail des répétitions. Récemment, venant de répétitions au théâtre directement sur un tournage à Madrid, j’ai vraiment vu la différence et j’étais dans un état de fébrilité incroyable.
Pour la grande soirée de rencontre avec le public de Créteil, le lundi 26 mars, vous avez choisi de présenter le film Sous le sable (2001) de François Ozon. Comment s’est opérée votre rencontre ?
Charlotte Rampling : J’avais vu ses films courts et ça a été oui tout de suite, je sentais l’aventure absolue entre lui et moi. Il y avait juste la petite histoire qu’il me racontait : une femme qui va à la plage et son mari disparaît. C’est une expérience qu’il avait vécue enfant... On a eu très vite, presque instinctivement, un rapport où l’on avait très peu besoin de se parler. Et comme le film est vraiment l’histoire de cette femme, je partais et c’était comme s’il me suivait... Il n’avait écrit que la première partie, puis on a fait une pause pour financer le film, pause qui a été plus longue que prévu !
Dans les interviews qui ont suivi la sortie du film, il a expliqué qu’il avait commencé le tournage en 35 mm puis continué en super 16, par manque de moyens. Comment avez-vous vécu cette épopée ?
Charlotte Rampling : J’étais dévastée, on ne pouvait même pas avoir de pellicules, c’était fou ! On a eu six, sept mois pour écrire la seconde partie, on se parlait beaucoup. Ça a permis d’élaborer le rapport avec lui de manière créative et continue, ça nous absorbait complètement et on a appris à vraiment se connaître. D’habitude on fait un film et quand c’est fini, pour l’acteur l’aventure est terminée. Pour nous ce fut une vraie rencontre.
Etait-ce la première fois que vous dessiniez un personnage ?
Charlotte Rampling : Oui c’est exact. Quand j’ai rencontré François Ozon je lui ai demandé : « Quand le mari disparaît, qu’est-ce qui se passe ? » et il m’a dit : « Je ne sais pas, on va le découvrir ensemble » ! C’est pour ça que les distributeurs n’avaient pas confiance. Ce sont des Japonais, qui m’aimaient beaucoup et aimaient beaucoup Ozon, qui ont pratiquement financé la totalité du film. Ils ont compris et imaginé l’histoire.
À la suite de cette aventure, on vous retrouve dans une comédie : Embrassez qui vous voudrez de Michel Blanc (2002). Un nouveau registre qui vous va bien.
Charlotte Rampling : Je ne voulais pas le faire, je ne comprenais pas pourquoi il m’avait choisie. Mais j’ai été absolument séduite par Michel Blanc, après une heure, j’ai dit oui. La rencontre avec les acteurs, jouer en choeur, a été remarquable. C’était intéressant de travailler avec des gens d’univers différents, il y a une sorte de sophistication aussi que Michel Blanc a voulue, surtout pas quelque chose d’ordinaire. Il n’est pas très quotidien, ce film. Michel Blanc a vraiment trouvé son ton.
Vous avez également choisi de présenter le film de Gianni Amelio : Les clés de la maison (2004). Un registre encore radicalement différent qui vous place au cœur de la relation parent-enfant handicapé.
Charlotte Rampling : J’ai choisi de montrer ce film car il est magnifique et recouvre un sujet très délicat. Gianni Amelio m’a envoyé le synopsis et le livre dont il s’est inspiré : un roman écrit il y a trente ans par un enfant handicapé. J’ai tout de suite dit oui. En Italie, les gens ont vraiment adoré ce film. Comme je savais que tous les enfants dans le film seraient vraiment handicapés, ça m’a paru un engagement extraordinaire. Ma fille dans le film était terriblement handicapée, une fille très brillante, mais ne pouvant pas s’exprimer. Gianni Amelio a dédié quatre ou cinq ans de sa vie à ce projet, il a préparé le tournage pendant un an avec l’interprète de Paolo ! Le tournage était une approche où l’on était dans le réel, c’était intéressant.
En 2005, on vous retrouve dans le film de Laurent Cantet : Vers le Sud. Un film qui touche un autre sujet d’actualité : le tourisme sexuel. Vous y incarnez une femme lucide et tranchante.
Charlotte Rampling : Le tourisme sexuel a une connotation surtout mâle, brutale. On prend les gens, on les jette, il y a une connotation d’exploitation terrible. L’histoire du film se passe dans les années 1970, donc avant le sida, et l’endroit où on est, en Haïti, est plein de familles ; c’est très doux, il ne se passe là rien de brutal. Les jeunes hommes vont dans les bungalows, ils accompagnent ces femmes dans la cinquantaine en quête de regard, de toucher, de compliments, de reconnaissance. Au travers de cette histoire de femmes qui viennent chercher dans les îles une aventure, Laurent Cantet soulève un certain nombre de questions sur notre rapport à la beauté, à l’exotisme et aussi sur les relations de pouvoir. Il le fait avec un film assez pudique et surtout sans aucun racolage, en évitant de sombrer dans les facilités que pouvait lui offrir son sujet.
Enfin vous avez décidé de présenter Désaccord parfait d’Antoine de Caunes.
Charlotte Rampling : Antoine de Caunes a écrit ça pour Jean Rochefort et moi. Il m’a adressé une lettre écrite à la main adressée à mon appartement à Paris. Il y concluait que si l’idée me déplaisait, il arrêterait tout immédiatement. C’est un premier contact que je trouvais intrigant autant qu’élégant. Jean et moi avons dit oui à condition que le scénario soit vraiment parfait, une comédie à l’américaine, un peu cynique. Une véritable aventure drôle et sensitive que je vous invite à partager.