L'exposition la Belle vie numérique vient de s'achever. La Fondation EDF a refermé les portes sur un parcours numérique proposé par Fabrice Bousteau, rédacteur en chef de Beaux-arts Magazine.
Dès l'entrée un choix s'offre à vous, un parcours en rouge, un parcours en vert. Êtes-vous plutôt zéro (en rouge) ou bien un (en vert) ? Le code binaire se décompose volontiers.
Trente artistes ont été choisis pour jalonner cette découverte et attirer l'attention sur nos perceptions. Elles sont bien abimées à force d'usages numériques. Combien de temps passez-vous sur vos smartphones ? Sentez-vous le manque féroce quand il est loin de vos pouces ? Êtes-vous sûrs de ce que vous voyez ?
Nous ne sommes pas ici dans une "exposition d'art numérique !". Précision très utile, en effet, il s'agit de déambuler dans un espace scénique qui offre une interrogation sur nos données. Où vont-elles ? Servent-elles encore à nous aider ou bien sont-elles de simples pilotages de nos inconscients ?
Nos sens sont mis à l'épreuve quel que soit le chemin parcouru. Prenons le cas de Sériès et Sériès deux architectes qui font des villes des lieux d'interrogations de notre regard.
Dans les "absurdités numériques", on trouve l'artiste Aram Bartoll. Il joue sur nos perceptions également en sortant le CAPTCHA de l'espace du web pour jalonner l'exposition et nous demander si nous sommes toujours un humain. Êtes-vous sûrs d'être humain ? Ici une autre illustration de son travail, quand on sort de Google Maps, voyons-nous le point rouge ?
Marie-Julie Bourgeois, quand à elle, signe une installation poétique et troublante. Elle est "centrale", elle est le coeur de l'exposition. Tout semble palpiter autour d'elle. Des écrans diffusent en permanence des morceaux de ciels pris par des webcams en temps réel.
Julien Levesque questionne l'art, le trompe l'oeil aussi. Il s'amuse avec Google Street View pour composer de nouveaux paysages à partir de quatre paysages différents. Et il est très malin car il nous montre combien nous devrions protéger notre data, car elle nous appartient...
Une question se pose à l'heure du numérique, sommes-nous tous des artistes ? Savons-nous encore créer ? Ce n'est pas parce que nous faisons des Selfies et que nous collons des hashtags à nos images que nous en faisons des oeuvres.
Et c'est bien ce que soulève l'artiste anonyme encoreunestp qui dans les rues de la capitale a habilement disposé des miroirs à selfie... ou encore des boîtes d'urgence comprenant un smartphone (aussi présentés à la Fondation EDF).
Que penser de Carla Gannis qui depuis les années 1990 collectionnent les images numériques, pour en suivre l'évolution tout en réalisant des oeuvres à partir de tableaux qui appartiennent à la culture savante ?
Que devient le jardin des délices de Jérôme Bosh ?
Un ensemble de jeux numériques, de superpositions d'émojis ?
Nous ne pouvons ici parler de toutes les installations ni de toutes les oeuvres. Cependant, nous devons finir avec celle qui pose le plus de questions. Demain serons-nous tous devenus si fainéants que nous laisserons la créativité à l'intelligence artificielle ?
Une intelligence rêve-t-elle ? Et est-elle capable de créer ? De ré-créer ? Pour l'instant, elle semble juste reproduire à la perfection... En êtes-vous certains ?
C'est amusant ce projet The Next Rembrandt surtout pour les collectionneurs. Demain un Picasso (ou autre) pourra être refait ou même simplement créé, en un temps record, par une intelligence artificielle rendant le tableau initial presque sans histoire...
Au fur et à mesure des pas foulés et refoulés dans cette exposition, de parcours en parcours en observant les degrés divers d'attention des étudiants. Combien de Snap ? Combien d'Instagram ? Combien d'interrogations abandonnées en chemin ? Je pense ici à la réaction de Doreen, fatiguée et lasse.
Il est évident que le questionnement est difficile, car on a trop tendance à montrer le négatif du numérique. Mais si nous y mettions un peu plus d'éthique, de compréhension de notre environnement alors nous aurions de toute évidence de beaux jours devant nous.
C'est un peu ce que nous présente Scenocosme des installations hybride où le végétal se marie avec le numérique. Le toucher devient une porte ouverte sur un autre monde sensoriel. Une nouvelle forme d'écoute.
Il y a mille perspectives nouvelles que la nouvelle génération doit interroger... Elle doit se saisir de ces multiples possibles pour dessiner des utopies nouvelles, renverser un monde qui pour l'instant fait du numérique un monde contrôlé, enfermé où l'espace est limité.
En sortant de l'exposition, il pleut, les mouvements de la ville reprennent le dessus. Le nez sur les smartphones, les corps se meuvent. Certains collectionnent des bonbons, d'autres des kilomètres de jeux inter-actifs.
Mais qui devient véritablement créateur de son univers numérique ? Heureusement quelques hackers veillent... et à nouveaux c'est à eux et aux artistes (à ces premiers résistants) que revient la lourde de tâche de faire bouger les consciences pour montrer le chemin... Sortir de la caverne est encore possible.
Je referme cet article sur l'ironie du titre "La Belle vie numérique"... En rappelant à la nouvelle génération qui osera lire ce texte... qu'il existe une chanson intitulée la Belle Vie...