Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

philosophie - Page 3

  • L'envie

    Antoine de Rivarol s'amusait en écrivant "Les belles images ne blessent que l'envie". Mais qu'est-ce donc que l'envie ? Étymologiquement, l'envie (selon CNRTL) apparaît en 980 et désigne une haine, une hostilité. Si nous regardons le dictionnaire historique d'Alain Ray, alors nous découvrons que l'envie vient du latin classique invidia "malveillance, jalousie"... Invidia dérive de invidere "regarder d'un oeil malveillant" d'où provient l'idée de "vouloir du mal"... Comme le souligne Alain Ray, il y a ici une notion de croyance au mauvais oeil. Cet oeil qui regarde mal, qui jalouse, qui jette un mauvais sort. 

    Mais alors comment illustrer en photographies ce drôle de mot ? Il nous faut regarder d'un peu plus près l'histoire... À partir du XII ème siècle l'envie est un terme employé dans les deux acceptions qui sont encore utilisées aujourd'hui :

    • l'envie comme sentiment de jalousie haineuse devant les avantages d'autrui ;
    • l'envie comme un désir, l'envie de quelque chose ou de quelqu'un...

    Chemin faisant, nous nous sommes rendus à la Fondation Ricard. Quelle surprise que cette confrontation de la génération dite Millenials avec l'exposition autour de la Poésie Prolétaire ! Un décalage violent des mots, des images, des sens détournés, retournés.

    IMG_3407.jpg

    Quoi les mots ? Qui les mots ? En quels sens les maux ? Et où l'envie ? Quoi l'envie ? On ne comprend pas... Les mots sont comme des cartons ouverts à l'envers d'un univers d'envies immédiates. Faut-il en passer par la contrariété pour comprendre que l'envie n'est pas nécessairement celle à laquelle nous croyons ? 

    IMG_3401.jpg

    Se projeter dans les espaces, dans les interstices d'une autre pensée. Déformater ses habitudes, au profit d'autres envies. Est-ce encore possible ? Dans un monde où la culture défragmente la durée, où les désordres se swipent, il y a pourtant dans leurs looks, leurs attitudes, quelque chose de l'ordre d'une contre-culture, d'une non appartenance à ce monde non choisit. 

    IMG_3403.jpg

    Et si nous dessinions des formes nouvelles ? Et si l'invention passait par l'ailleurs, par la déformation des biais cognitifs ?

    Nous sommes, sans y toucher, dans l'art... Quelque chose se passe, quelque chose se rejette, puis finira sans doute par se rêver ailleurs, autrement... Le temps doit se distordre sans les filtres sociaux. L'oeil écoute, la main interroge, le coeur s'embrouille sur l'envie... Mais sommes-nous seulement encore en vie

    La poésie en grec, c'est le mouvement, le "jaillir","le faire", "la création"... La poésie jaillit même au coeur des machines, au coeur du RER. Dans un train, un avion, un supermarché. Un ouvrier à la chaîne peut être un poète. Les mots seront à la ligne (comme le très beau livre éponyme de Joseph Ponthus). Ils prendront racine dans l'écume du quotidien. 

    IMG_3395.jpg

     Nous avons abandonné les mots, les murs complexes de lassitude de tweet. Nous avons retrouvé les images faciles, les couleurs évidentes ou la garantie de la satisfaction immédiate de l'oeil et de l'esprit. 

    Puis nous avons prolongé la promenade jusqu'aux mots chantant du jardin de Colette, nous pourrions dire. Ce domaine du Palais Royal réserve son flux poétique. De traces en traces résonnent encore les mots de Colette : « Obstinée à mon Palais Royal comme un bigorneau à sa coquille". Elle veille encore sur son palais, les pas ne s'écartent pas de ce chemin rectangulaire où les ombres dessinent des arbres. 

    fondation ricard,art,poésie,envie,philosophie,temps,photographie

    Une danse glorieuse sur l'espace de l'histoire de l'art. Daniel Buren sera heureux de voir que son jeu de perspective fonctionne toujours. Entre la Constitution et le Ministère de la Culture, il n'y a qu'un pas, qu'une perspective cela citoyenne. L'envie est grande ici de crier que la culture est pour tous, partout... et qu'elle devrait être gratuite et accessible sans limite. Jouons donc sur cette envie, cette perspective de renversement. 

    fondation ricard,art,poésie,envie,philosophie,temps,photographie

    Dans ce reflet en coi, c'est Victor Hugo qui sonne en résonance : "D'ailleurs, parce que le vent, comme on dit, n'est pas à la poésie, ce n'est pas un motif pour que la poésie ne prenne pas son envol. Tout au contraire des vaisseaux, les oiseaux ne volent bien que contre le vent. Or la poésie tient de l'oiseau" (cf. Feuilles d'Automne).

    Sans doute, pouvons-nous ramasser un peu de Goethe au passage dans un angle royal : “Qu'est-ce que la poésie ? Une pensée dans une image ”.  De ces chaises parlantes, chantantes, nous jouons à combattre le froid qui s'attarde en cette fin d'hiver. 

    fondation ricard,art,poésie,envie,philosophie,temps,photographie

    Laissons la poésie à Baudelaire, laissons-lui dresser une perspective fragile, un détournement de l'espace. Un contour des mots, des joies, des danses, des expériences.

    Et si je devais résumer l'envie à une image, je choisirais celle-ci : 

    fondation ricard,art,poésie,envie,philosophie,temps,photographie

    Ce personnage a-t-il envie de fuir ce trou ? Ou bien a-t-il envie d'y entrer ? L'envie peut-elle être une curiosité détournée ? N'avons-nous pas toujours envie de savoir ?

  • La folie

    C'est un matin comme les autres ou pas. Un grain de folie s'est glissé au coeur de l'horloge. Rendez-vous pris à l'Esplanade de la Défense, en plein vent, en plein froid, afin de découvrir un parcours constitué de soixante-neuf oeuvres d'art.

    Nous pourrions nous attarder sur le cheminement intérieur qui m'a fait associer la thématique "la folie" à ce lieu aussi complexe qu'étrange qu'est la Défense. Quel(s) lien(s) pouvons-nous faire entre les deux ? 

    Revient en mémoire cette phrase de Michel Foucault : "Jamais la psychologie ne pourra dire sur la folie la vérité, puisque c'est la folie qui détient la vérité de la psychologie"(cf. Maladie mentale et psychologie).

    Dans l'histoire des humanités, la folie est associée à la raison (elle est son opposée). La folie est antérieure à toutes les révélations scientifiques ou tous les écrits psychiatriques. Il y a donc toujours eu des "fous" ! Mais qu'est-ce qu'un fou, si ce n'est celui qui est hors norme ? C'est ce que souligne Serge Carfatan dans sa leçon n°89 intitulée Raison & Folie.  Nous crions souvent "mais tu es fou/folle" ! Et nous désignons ainsi une crainte face à une action, un comportement qui se décale de la norme. 

    Petite liste des folies "répertoriées" : Folie furieuse, Folie circulaire, intermittente, périodique, Folie communicante, communiquée, simultanée, Folie morale, Folie raisonnante, Folie chaude, érotique, mélancolique, mystique, utérine, Folie du doute, des grandeurs, de la persécution, Folie générale, folie collective...

    Et puis, il y a ces folies plus "acceptables" : Folie douce, Folie de son corps, Grain de folie, un brin de folie...

    Dans son ouvrage Histoire de la folie à l'âge classique, Foucault note que la folie est repose sur l'équilibre de deux éléments : un élément tragique et un élément critique. La folie serait-elle le miroir inverse de la normalité ? Selon, l'histoire de la philosophie, le fou ne peut penser. Sa raison est empêchée. Il est donc impossible que la pensée soit folle. La pensée est une certitude puisqu'elle est immédiatement présente à elle-même. La pensée est indubitable. Elle se saisit par elle-même, au moment même ou la raison pense. Le fou devient alors celui qui déraisonne, il ne peut se penser et penser les autres.

    Finalement notre compréhension de la folie a-t-elle changé ? Pas vraiment. Le fou est toujours une figure qui dérange.

    La folie est-elle liée à l'excentricité ? D'un point de vue topographique, s'excentrer c'est quitter le centre. Ici nous sortons de Paris, nous nous excentrons. Mais il y a aussi l'excentricité des comportements... Faut-il s'assoir au milieu de l'esplanade pour en mesurer l'exactitude ?

    art,photographie,philosophie,la défense,folie

    Joan Miró, nous rappelle que nous nous fions trop au principe de réalité. Ses animaux fantastiques nous invitent à nous plonger dans l'au-delà de nos perceptions. Cherchez ici le regard. Décalez-vous...  

    art,photographie,philosophie,la défense,folie

    Quant à Calder, que croyez-vous qu'il apporte avec son araignée rouge ? Pour certains c'est tout sauf une araignée. Qui aurait donc l'idée de décrire une araignée vide et aussi rigide ? 

    art,photographie,philosophie,la défense,folie

    L'araignée se métamorphose, elle tisse sa toile des milliers de personnes qui passent là, chaque jour. Voient-ils encore cette bête dessiner l'horizon ? Qui dans sa folie du quotidien oublie les Olympes ?

    art,photographie,philosophie,la défense,folie

    De construction en déconstruction ou bien l'inverse, où se perd notre humanité ? 

    Pour être dans la norme, faut-il toujours suivre la trace de nos pères, selon l'oeuvre éponyme de Joseph Jankovic ? Et si justement nous nous détachions de cette succession ?

    art,photographie,philosophie,la défense,folie

    “Un peu de folie est nécessaire pour faire un pas de plus ” écrivait Paulo Coelho  (dans son Manuel du guerrier de la lumière). Dans ce froid, ce matin, il a fallu mon sauvetage inespéré par deux de mes étudiants, partageant un peu de leur petit déjeuner. Dans ce froid et cette architecture, on perd vite la notion de couleurs et d'asymétrie. 

    art,photographie,philosophie,la défense,folie

    Dans ses Essais, Montaigne écrit "la plus subtile folie se fait de la plus subtile sagesse ". De cette tour colorée appelée Le Moretti à la sagesse de la danse de Shelomo Selinger, il n'y a qu'un pas. 

    art,photographie,philosophie,la défense,folie

    Et en un renversement de perspective, la monstruosité apparaît.

    art,photographie,philosophie,la défense,folie

    “Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il croit" écrit François de La Rochefoucauld dans ses Maximes. Le Point Growth de Lim Dong-Lak illustre assez bien cette vision. Ce point de croissance, donne-t-il naissance à la perspective ?

    art,photographie,philosophie,la défense,folie

    Comment conclure sur cette thématique de la "folie" ? Certains sont partis dans les galaxies des galléries marchandes où des oeuvres les attendent, d'autres ont exploré l'architecture, les déplacements... Certains ont renvoyé leurs croyances, en dessinant des arts variés, des sculptures imaginaires dans les espaces offerts entre les trottinettes électriques comme abandonnées dans cet immensité. Quelle photographie pour illustrer la folie ? Et bien ce sera la première prise sur place. La plus saisissante, la plus révélatrice aussi de cette dualité de la folie : le tragique et la critique. 

    art,photographie,philosophie,la défense,folie

    "Dans ton oeil (me disait un ami photographe), il y a toujours du rouge". Il a encore une fois raison. Cette  photographie (presque étrange), nous donne les deux aspects de la folie : le tragique de l'illusion (sommes-nous encore capable de sauver notre humanité en mettant l'environnement et son double le social comme priorité(s) ?), la critique (un autre regard est obligatoire pour panser le XXI° siècle). 

    Je terminerai sur les mots de Marguerite Yourcenar (cf. Les yeux ouverts), car ils sont une magnifique bouteille à la mer que l'on peut lancer pour la nouvelle génération : “il faut toujours un coup de folie pour bâtir un destin".  

  • L'illusion

    Premier thème de l'année en "images et photographies", l'illusion. Excellent choix de la part des étudiants de première année de l'ISEG Communication School.

    La question qui demeure est comment photographier une illusion ? 

    Illusion, photographie, philosophie, art, image

    Commençons d'abord par nous poser la question de la définition de l'illusion. 

    Etymologiquement le terme "illusion" vient du latin illudere, "se jouer de ". L'illusion est donc une apparence trompeuse que notre esprit prend pour la réalité. 

    Selon CNRTL : nous devons nous accorder qu'il peut y avoir illusion d'abord à cause d'une erreur dans le domaine sensoriel - "Perception erronée dans la mesure où elle ne correspond pas à la réalité considérée comme objective, et qui peut être normale ou anormale, naturelle ou artificielle." Puis nous devons l'illusion peut également être un principe d'erreur dans le domaine intellectuel et affectif - "Croyance ou conception erronée procédant d'un jugement ou d'un raisonnement faux (dû à l'ignorance ou à l'imagination)". Enfin l'illusion peut être un effet de la création et principe de représentation dans les arts - "Phénomène par lequel un acteur ou un créateur, à l'aide des techniques diverses de son art, reconstruit une certaine réalité qu'il tend à imiter ou qu'il transforme et transpose, et suscite l'adhésion du spectateur, de l'auditeur ou du lecteur en lui donnant le sentiment du vrai. Créer, obtenir, produire l'illusion; détruire l'illusion, nuire à l'illusion; illusion complète, parfaite; l'illusion de la réalité, du réel, du vrai".

    Demandons-nous maintenant comment faire pour illustrer ce sujet, si tout est illusion (rappelons-nous que nous ajustons à chaque instant nos représentations mentales) ? Faut-il prendre l'oeuvre de Joana Vasconcelos exposée ce jour au Bon Marché. Un nuage de parfum qui tombe ou s'élève dans la verrière. Voyez-vous l'odeur ? Sentez-vous la douceur du nuage ? Ressentez-vous les lumières, le flirt des escaliers avec l'apesanteur ?

    Illusion, photographie, philosophie, art, image, ISEG,

    Philosophiquement, nous savons que les illusions des sens ne sont pas le fait des sens. En effet, l'illusion d'optique nous fait bien percevoir comme brisé un bâton droit plongé dans l'eau. Il y a donc bien une perception déformée explicable par les lois de l'optique. Cependant, nous ne pouvons affirmer qu'il s'agit d'une illusion que si nous affirmons haut et fort que ce qui nous paraît comme tel l'est bien réellement. L'illusion provient alors du jugement et non des sens. Ce jugement ne corrige pas nos perceptions erronées. Prendre l'apparence pour la réalité est l'illusion la plus élémentaire, celle que critique Platon au travers du mythe de la caverne, où des prisonniers assistent à un spectacle d'ombres. Au nom de la "vérité", Platon chassait hors de la République, les artistes auteurs d'apparences trompeuses donc faiseurs d'illusions. 

    illusion,photographie,philosophie,art,image,iseg

    Cependant selon Emmanuel Kant une illusion "naturelle et inévitable"  qu'aucune critique ne peut supprimer, c'est "l'illusion transcendantale". Elle nous fait prendre de purs raisonnements pour des réalités objectives... Méfions-nous donc des idées relatives aux croyances (Dieu, l'âme, l'immortalité...).

    Jouons encore un peu avec l'illusion, car si l'erreur peut être corrigée par un effort d'attention, la force de l'illusion vient du plaisir et du réconfort qu'elle procure. Dans ses Pensées, Pascal nous montre que "si l'homme n'est qu'un sujet plein d'erreur naturelle", c'est pour fuir la cruauté de la vie ou la peur de la mort grâce au "divertissement". 

    illusion,photographie,philosophie,art,image,iseg

    L'illusion sert la vanité humaine. C'est ce que Spinoza a, en un sens, cherché à théoriser dans son oeuvre. En critiquant l'illusion de la finalité  qui place l'homme au centre du monde et qui fait de la nature un simple lieu pour servir nos besoins et nos désirs. 

    Ainsi en traversant toute l'histoire de la philosophie, nous pourrions questionner un bon nombre d'illusions (philosophiques comprises). Faut-il dès lors, comme Nietzsche, poser que l'illusion aide à vivre et que "tout ce qui console ment" ?  

    Pour Nietzsche, la vérité même est une illusion. Pour le comprendre, il estime qu'il suffit de poser la distinction entre les "bonnes" illusions au service de la vie (l'art) et les "mauvaises" qui affaiblissent la vie (comme la morale et la religion). 

    Une fois que l'on dit tout cela, j'ai pour ma part, choisi de représenter l'illusion par cette photographie. 

    illusion,photographie,philosophie,art,image,iseg

  • Trace(s) de révolte(s)

    Donner à voir. Dire l'indicible. Tenter de formuler une question. Rompre une soumission. Faire corps. Donner de la voix. Chercher à briser une fatalité. Poser des limites. Demander des droits. DIRE. C'est tout cela à la fois le(s) mouvement(s) des Gilets Jaunes. Une colère plurielle, multiforme qui veut dire la misère, la difficulté des fins de mois, les errances de discours, les résignations, les désignations faciles, les nouvelles formes de totalitarisme(s).

    Comment rendre compte de cette actualité tout en gardant la possibilité de l'examen critique ? Paradoxe que nous devons dépasser pour élaborer une tentative de compréhension. Dans son ouvrage Oppression et liberté, Simone Weil écrit : "on pense aujourd’hui à la révolution, non comme à une solution des problèmes posés par l’actualité, mais comme à un miracle dispensant de résoudre les problèmes". Se révolter c'est hurler au monde, c'est rétablir le rapport de force. La résolution, elle, arrive bien plus tard. 

    Le monde réel n'existe pas. Poser ainsi cette affirmation fait crier, fait taire, fait rire... Le réel (notre réel) est une réorganisation permanente de nos perceptions. Notre cerveau trie, met en forme, détourne, retourne. Première résultante de nos errances perceptives : les biais cognitifs. Nos biais cognitifs sont parfois entretenus par des paroles répétées, des paroles d'autorité, des paroles amicales, médiatiques, familiales, etc..

    Si on vous montre le(s) mouvement(s) des Gilets Jaunes par le biais de la casse, alors vous répèterez cette idée que le mouvement a été mis en place pour casser. Si on vous le montre sous un autre angle comme celui de la pauvreté alors vous serez enclin à vous en détacher en disant que vous n'appartenez pas à cette catégorie. Si on vous montre les violences policières vous allez probablement dire que tout ceci est une injustice. 

    L'ensemble de ces propos sont au coeur des Gilets Jaunes. Nous pourrions y ajouter une part de racisme, une part d'anti-sémitisme, etc. Mais il y a aussi mille autres choses.

    Tous les samedis, je suis venue au coeur de ce mouvement, j'ai pris des clichés (comme souvent décalés) pour montrer, pour décliner autrement cette actualité. Au fil des rues, au fil des cris, au fil des gaz étoilés dans le ciel de Paris, des rebonds de fumée sur les toits, les feux de rues, j'ai suivi les pas usés, j'ai écouté les propos, j'ai pleuré, j'ai eu le coeur serré...

    Un corps doit être situé disais-je dans une réponse à un article de Pascal Engel.  Un corps situé dans le mouvement des gilets jaunes, c'est un corps qui brave le froid, qui se fait prendre entre les avancées des CRS, les souffrances morales des citoyens, les gaz, la pluie... C'est aussi un corps traversé, transpercé des discours médiatiques, des incertitudes des étudiants, des amis, des doutes (sur l'avenir, le temps présent, l'actualité).

    Cette carcasse, qui est mon corps depuis des années, a décidé de donner à voir. Juste montrer, à chaque instant saisi, tout ce qui trouve devant mes yeux (partie infime de mon corps situé, pris dans toutes les contradictions de l'instant). Certains me reprochent de ne pas faire de vidéo.

    Nous n'avons pas besoin de mes vidéos, nous avons besoin d'images fixes, d'images suspendues à notre réflexion, à notre respiration, à notre recherche de sens. Les réseaux sociaux débordent de vidéos, de témoignages directs. Ma recherche re-stitue, suspend le flux de l'actualité. Prendre le temps, le distordre pour en saisir les flux permanents. Donner à voir encore. Donner à regarder. Donner du temps à l'urgence. Sortir des ghettos, des partis, regarder au plus près notre malheur commun. 

    gilets jaunes,gilet jaune,manifestation,actualité,révolte,révolution,philosophie

    Aujourd'hui j'ajoute les traces des luttes tantôt imperceptibles (presque poétiques) et les rages en mots (ou les maux en mots) surexposées. Des restes de grenade entre les feuilles, des verres éclatés, des vitrines brisées, des tags, des pavés abandonnés au pied d'une église. 

    gilets jaunes,gilet jaune,manifestation,actualité,révolte,révolution,philosophie

    gilets jaunes,gilet jaune,manifestation,actualité,révolte,révolution,philosophie

    Dans Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, Simone Weil écrit "le mot de révolution est un mot pour lequel on tue, pour lequel on meurt, pour lequel on envoie les masses populaires à la mort, mais qui n'a aucun contenu". Aucun contenu ou bien tous les contenus en même temps ? La révolution vient de toutes les contradictions qui ne peuvent plus être silencieuses.

    gilets jaunes,gilet jaune,manifestation,actualité,révolte,révolution,philosophie

    Dire l'urgence pour rétablir le rapport de force entre deux camps invariablement toujours les mêmes : opprimés & oppresseurs.

    L'État, par définition, est une structure hiérarchique, il est donc nécessairement celui qui opprime. C'est sa structure fondamentale, il exerce le pouvoir en ordonnant, en soumettant la population à ses ordres. De l'autre côté, la population qui doit être aux ordres, est structurellement (à l'heure où nous parlons) dans la partie adverse : elle est opprimée. Mais ce n'est pas parce que ceci est vieux depuis des millénaires que cela ne peut pas changer. Nous n'allons pas vers plus ou moins de barbaries. Nous sommes des barbares. 

    Dans Réflexions sur la barbarie, Simone Weil  écrit :"Bien des gens aujourd'hui, émus par les horreurs de toute espèce que notre époque apporte avec une profusion accablante pour les tempéraments un peu sensibles, croient que, par l'effet d'une trop grande puissance technique, ou d'une espèce de décadence morale, ou pour toute autre cause, nous entrons dans une période de plus grande barbarie que les siècles traversés par l'humanité au cours de son histoire. Il n'en est rien. Il suffit pour s'en convaincre, d'ouvrir n'importe quel texte antique, la Bible, Homère, César Plutarque". 

    gilets jaunes,gilet jaune,manifestation,actualité,révolte,révolution,philosophie

    Ce tag est particulièrement frappant. Il nous rappelle plusieurs choses. La première est la dimension géopolitique de la question sociale qui nous est posée. Sur ce point, revoir ou voir le documentaire de Manon Loizeau États-Unis : à la conquête de l'Est (vous y trouverez des similitudes et des différences avec ce que nous pensons être un mouvement uniquement franco-français). Nous pourrions nous questionner sur le nouveau embargo sur l'Iran et ses suites... Nous pourrions également soulever la question suivante : qui profiterait le plus du démantèlement du marché européen ? Autant de questions indirectes, invisibles et pourtant bien palpables. 

    La seconde chose que nous rappelle ce tag, c'est tout le travail psychologique à l'oeuvre dans une foule. Une somme d'individus, c'est une somme de multiples expériences et de discours. L'échauffement des esprits ne signifie pas qu'il n'y ait aucune pensée derrière. Relire absolument la Psychologie des foules de Gustave Le Bon. Il y écrit "Les grands bouleversements qui précèdent les changements de civilisation semblent, au premier abord, déterminés par des transformations politiques considérables : invasions de peuples ou renversements de dynasties. Mais une étude attentive de ces événements découvre le plus souvent, comme cause réelle, derrière leurs causes apparentes, une modification profonde dans les idées des peuples."

    D'où vient la modification profonde, si ce n'est ici de l'usage du tout technologie, de la mutation permanente de notre être, de notre subjectivité ? De là résulte la confrontation permanente entre une identité profonde et des désirs furtifs renouvelés... mais comme le souligne Zygmunt Bauman dans ce Présent liquide impossible de se construire sans s'auto-détruire en permanence. "La modernité liquide ne se fixe aucun objectif et ne trace aucune ligne d’arrivée ; plus précisément, elle n’attribue la qualité de la permanence qu’à l’état d’éphémère. Le temps s’écoule, il n’avance plus". Il n'y voyait pas de solution. Nous devons voir au-delà de ses craintes. Nous devons aller plus loin et retrouver le fil du temps, de la durée de notre humanité.

    Le(s) mouvement(s) des Gilets Jaunes nous mettent face à notre propre contradiction :  nous devons avancer mais nous sommes englués dans nos biais cognitifs répétés (conditionnés à nos habitudes dirait Bergson). Avancer signifie aujourd'hui opérer un changement de nos infrastructures économiques, sociales, collaboratives, ordonnatrices, etc. Mais cela ne doit pas rimer avec l'établissement définitif du totalitarisme (ou une réduction de la démocratie). C'est avant tout de démocratie dont l'humanité a besoin.

    gilets jaunes,gilet jaune,manifestation,actualité,révolte,révolution,philosophie

     

    Le cri collectif est celui-là. Pour vivre nous avons besoin de plus de démocratie, de plus de représentations, d'échanges, de participations. La démocratie doit évoluer, prendre un nouveau visage. Poursuivons le fil sur lequel notre compréhension humaine est structurée. Culturellement nous n'avons pas encore opéré un changement de perspective(s). Ce n'est pas parce que l'état est encore une figure hiérarchique et autoritaire qu'elle ne peut pas se métamorphoser en une figure coopérative.

    C'est dans un effort commun, que nous pourrons lancer les bases d'une démocratie représentative. Dans le rang des Gilets Jaunes on voit apparaître des slogans en faveur du RIC (référendum d'initiative citoyenne). C'est une étape. 

    gilets jaunes,gilet jaune,manifestation,actualité,révolte,révolution,philosophie

    Une étape qui doit nous mener vers une démocratie que je qualifie de liquide. Une démocratie dans laquelle les lignes hiérarchiques sont remplacées par des lignes égalitaires. Où le consentement éclairé doit prendre la place de la soumission (ou du marketing de la permission). Tant que nous prendrons pas le temps d'établir ce nouveau mode de fonctionnement, tant que nous restons soumis à l'ordre hiérarchique (tant confortable à certaines de nos habitudes), nous ne pourrons rendre à l'humain sa place réelle dans l'écosystème de l'humanité. Nous resterons au bord du chemin. Ne l'oublions pas, au milieu de tous les discours médiatiques faussement contradictoires entre experts (hors sol soit hors des réalités - voir le fantastique travail de l'ACRIMED sur ce sujet) : la première violence est celle économique.

    gilets jaunes,gilet jaune,manifestation,actualité,révolte,révolution,philosophie