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philosophie - Page 5

  • Jacques Flament

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    Ce matin, le monde a connu un séisme. Vous ne l'avez pas ressenti et pourtant le soleil ne brillera plus de la même façon, les mots ont tourné court. Ils ont craqué l'allumette des désordres. Ils se sont désengagés du monde. 

    Le séisme c'est la fin d'une aventure éditoriale, d'un engagement sincère et solitaire de la Bretagne aux Ardennes en passant par tous les territoires de l'imaginaire. Jacques Flament a décidé (après de nombreux combats éditoriaux, de nombreux cris politiques, de nouvelles tentatives littéraires et artistiques) de fermer la boutique à mots, la boutique joyeuse des confrontations d'idées.  

    Ainsi en plein démarrage des Jeux Olympiques d'hiver, la clarté sombre des réverbères a décidé de ne plus porter sa flamme. Je sais que Jacques Flament a choisi ce moment pour dire au monde "j'ai tout essayé, l'indépendance des mots, des idées... mais face aux géants aux idées de supermarché, je ne peux rien"... En 7 ans, 360 livres publiés... des kilomètres parcourus et toujours l'audace de pousser ses auteurs plus loin. 

    Le goût des mots, des images, des sports extrêmes nous avons cela en commun, Monsieur Jacques Flament... C'est lui qui le premier m'a poussé à sortir des blogs, des récits de mes carnets papiers. Le premier fut une audace : revenir sur ma première translation, ma rencontre avec la Chine après huit jours de train. Paris-Moscou-Pékin. Un train, une délibération, un kilomètre puis deux, les blessures se soignent-elles avec l'espace ? Que de kilomètres solitaires et lointains parcours ? Combien de mots en attente, en découvertes, en joies et en tristesse ? Jacques Flament est le dénicheur de ceux qui en ont assez des lourdeurs d'un monde qui publie toujours la même chose... Ne soyons plus très polis "la même merde partout et toujours"... Cette merde qui endoctrine et pourrit toute idée de révolte. 

    Au coeur des perditions de paille, nous avons l'art en commun, au milieu des mots et des désordres, il m'a poussé à écrire sur Java, à raconter cette île et ses fantômes. Des couleurs créatives à un monde vivant autrement le temps, l'espace et ses mythes. 

    En parallèle des voyages, des aventures (in)humaines, il m'a tendu la perche pour mes recherches, les mots philosophiques, les mots barbares, les mots oubliés, les mots percutés et percutants (sur Julien Friedler, mais aussi et surtout sur Samuel Beckett). Et évidemment l'Himalaya et mes retours incessants au Tibet pour comprendre que le monde n'est pas ce que nous voyons mais bien ce en quoi nous voulons croire. Raconter ces histoires de sommets, partir (au Népal), partir (au Xinjiang), partir (au Gansu) et revenir aux mots, à la langue, voilà ce que Jacques Flament m'a permis. Revenir au sens des mots, aux désordres de nos pensées...

    Marteler l'écart entre ce que nous pensons voir et ce que nous refusons de voir réellement : un endoctrinement indolore, massif et collectif. Peu à peu au fur et à mesure des kilomètres et des pages, il y a la certitude ce travail : l'influence. La compréhension des nouveaux publics se joue de la philosophie, de la psychologie, de la sociologie... Nous devons frapper à grand coup d'éthique, de réveil des sens, de réflexion sur le bonheur, la joie. 

    Sans sa maison d'édition, nous sommes tous orphelins. Abandonnés face aux incessants combats. Mais je sais que certains vont continuer, trouverons l'élan pour reprendre le flambeau.

    À mon modeste niveau, je vais essayer avec la Route de la Soie-Éditions. Tentative fragile pour mettre de l'ordre dans un monde fissuré, où l'engagement d'un homme nous manquera. Pour moi, en dehors de mes publications, Jacques Flament cela aura été 7 années de combats éclairés, de réflexions partagées.

    Pour toi Jacques, pour tes nouveaux combats, pour les futurs kilomètres que tu vas avaler dans un coin ou l'autre de la planète, je retrouve ce matin les vers de René Char  (dans commune présence, in Le Marteau sans maître 1934-1935 - éditions Corti José) :

    "hâte-toi
    hâte-toi de transmettre
    ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
    effectivement tu es en retard sur la vie
    la vie inexprimable
    la seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir
    celle qui t'es refusée chaque jour par les êtres et par les choses
    dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
    au bout de combats sans merci"

     

    Pour tout cela Jacques, un grand merci. Le combat continue en mots, en kilomètres, en images, en publications nouvelles, en transmission...

     

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  • Data Philosopher

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    Comment résumer un métier qui n'a pas encore d'existence officielle ? Comment expliquer ce que vous faites au quotidien aux nouvelles générations et se faire comprendre en peu de mots des autres générations ? Je me suis pliée à ce jeu matinal...

    Mais à quoi peut bien servir un Data Philosopher ? Et bien pour faire simple c'est une personne qui pense votre système d'exploitation de données numériques, lui confère un sens, vous propose une orientation éthique... en vous projetant dans le futur...

    Une Data-Philosophie à quoi ça sert ?

    La Philosophie ne change pas ici d'objectif, elle est toujours la même. Elle éclaire le chemin de notre humanité. Elle dépose des concepts, jalons de nos comportements... Elle encadre et recadre les commentaires instantanés pour leur donner de la profondeur ou les balayer d'un revers de main. 

    Proposer une Data-Philosophie c'est se préparer à la grande guerre des éthiques... Humanité contre humanité...  

    C'est tenter de proposer une verticalité dans une société liquide. C'est tenter de redonner du souffle à des auteurs, de montrer leur pertinence. C'est aussi remanier l'éducation, c'est revenir aux longues promenades poétiques avant que la société de contrôle ne se mute en une dictature numérique de la bonne conduite... 

    C'est sortir du "fun", du "seriously funny", des "business games" pour réveiller ce qui sommeil en nous : de fabuleuses capacités collectives. De la créativité, de l'imagination. Bref la Data peut être tout cela aussi... mais il faut la  penser en ce sens.

  • Et si on pensait éthique ?

    Tout va bien dans le meilleur des mondes, la "confiance" est là. "En France nous sommes protégés par la loi quant à l'usage des données numériques"... Qui veut rire avec moi ? 

    Connaissez-vous Dataklab ? Dixit eux-mêmes, "Datakalab est le premier laboratoire conseil en neuromarketing qui mesure les émotions des consommateurs à l’aide d’outils issus des neurosciences pour nourrir les stratégies de transformation et d’innovation"... 

    Bref tout va bien dans le meilleur des mondes, on étudie vos émotions, on dicte même votre comportement à partir de celles-ci. Vous souvenez-vous de l'équation OCEAN évoquée lors de l'article sur Cambridge Analytica ? 

    Donc avant de revenir sur ce sujet en faisant un article bien plus long avec des mots tranchés avec l'envie d'en découdre et de semer la zizanie...

    Je vous laisse avec les propos tenus lors de la conférence "Éthique et Numérique" à Saint-Herblain lors de la #DigitalWeek. 

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  • Roger-Pol Droit

    « Montre-moi comment tu marches, je te dirai comment tu penses ! »

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    Cher Roger-Pol Droit, 

    Je tenais ici à vous écrire une lettre. Une volute de mots en pas raisonnés. Une scansion de respirations sur le rythme du coeur... 

    Cela fait si longtemps que j'attendais un livre comme le vôtre que je m'étonne encore du hasard qui m'a conduit à sa rencontre. Une promenade, ou plus exactement une courte errance entre deux rendez-vous.

    Le ciel grondait un peu. Le bruit et la fureur étaient trop vifs. Tout sonnait comme une précipitation avant Noël. J'avais dans ce tumulte besoin d'une halte. D'une respiration. Après une heure de marche, j'avais envie de calme. D'une tendresse qui s'enveloppe, s'enroule autour de soi comme une douce écharpe ou une lumière printanière. Les mots sont souvent ce refuge. Mais encore faut-il trouver les bons. Arrivée à Duroc, la librairie me tendait les bras. Un refuge nécessaire.

    Cela faisait longtemps que je n'étais pas venue là. Au moins deux ans. J'étais heureuse, comme lorsque l'on retrouve une vielle camarade de faculté. Le temps a passé, mais les repères sont les mêmes. Le coin "philosophie" est ici réduit à une colonne simple. La sélection y est rude.

    A cette heure, ce coin était même caché par un tas de paquets cadeaux, de commandes diverses. En une demi seconde, j'ai pris votre livre, je l'ai ouvert sur le chapitre 22 "Le Hongrois qui marcha jusqu'au Tibet". A cet instant, j'ai compris qu'il me fallait vous lire.

    J'ai lu et relu l'ensemble de votre travail plusieurs fois, me délectant de retrouver mon goût pour Aristote, Platon et tant d'autres. Vous avez, pour eux, une infinie tendresse. J'ai adoré votre vision des trois "H" de la pensée, Hegel, Husserl, Heidegger. Vous dites qu'ils "ont employé la même formule pour parler de la naissance et du développement de la philosophie "Nur bei den Grieschen", "chez les grecs seulement". (cf. p.81)" Oui c'est une "erreur" toute kantienne cette délimitation géographique, sans doute pour se faire accepter à l'université... Bref, l'enseignement n'a pas tellement changé. J'ai toujours eu cette annotation "irrévérencieuse envers l'académisme du savoir"... Normal, j'allais chercher d'autres textes pour éclairer ceux que nous devions apprendre. 

    J'ai pris très au sérieux, le travail de Bergson, sur la mémoire du corps. L'ancrage de nos habitudes, de nos pas...

    A chaque page, j'ai aimé vos haltes, le rythme, la scansion de cette promenade. J'y ai retrouvé le goût Jardin du Luxembourg dont j'ai arpenté les allées pendant tant d'années jusqu'à en connaître les habitudes de chacun, des amants, des coïncidences, des trahisons, les goûts d'eau et de cailloux aux yeux des sculptures immobiles. 

    La marche est un principe de déséquilibre merci Aristote. Un instant de fragilité, de suspension. Dans un coin de ce jardin, au moment d'un mouvement de pièce d'un joueur d'échecs, à cet instant où les mouettes, sans doute, chahutaient les canards, où un enfant a couru à bout de souffle, j'ai eu l'audace de lancer une marche en direction de l'est. 

    Quelque mois plus tôt, j'avais obtenu mon doctorat de philosophie et d'épistémologie. J'ai pris mon sac, j'y ai glissé une veste, un pull, une broutille ou deux, deux livres, un appareil photographique, un stylo, un carnet. Direction Moscou, puis un train direction Pékin. Sept jours, sept nuit... Et le renversement de tout ce que je venais d'apprendre s'est opéré. On ne revient jamais véritablement de tous ces périples. Evidemment, je suis repartie, revenue, repartie. Et à nouveau, je repars toujours vers la Chine, toujours vers le Népal, l'Inde, l'Indonésie. Monter, descendre, traverser à nouveau le plateau himalayen. Et dans cette errance, continuer la recherche, la compréhension, la rencontre avec ceux que l'on dit "penseurs".

    Si je parle ainsi de moi, ce qui est rare, et même très troublant... c'est parce que dans la philosophie il y a deux grands oublis volontaires : les autres pensées (venues d'ailleurs) mais également les femmes. C'est le seul défaut que je trouve à votre livre. Pas une seule femme philosophe dans votre texte. Quid d'Hannah Arendt ? Quid Louise Weil, de Edith Stein, de Hypatie d'Alexandrie, de Théano, de María Zambrano Alarcón ?  Et je suis sûre qu'en cherchant un peu plus loin, nous pourrions trouver une quantité de femmes. 

    Les femmes pensent, les femmes marchent, les femmes crachent, elles mettent des pantalons, elles tombent dans la boue. Elles ne sont pas seulement des mystiques. Même les grandes exploratrices ont quelques caractéristiques philosophiques. On pourrait citer Ella Maillart, Annemarie Schwarzenbach... 

    Elles ont marqué le monde, et sa marche. Elles sont allées au-delà. Finalement, la marche du monde ne dépend-elle pas de la marche des femmes ? J'ai toujours marché, tous les jours, je parcours quelques dix kilomètres. Dans Paris, j'ai toujours un prétexte me rendre dans une école, faire des courses... Tout ce qui est à moins de vingt stations de métro est accessible directement à pieds. Parfois même je fais plus. C'est ainsi... 

    Comme vous, je constate que les humains ne marchent plus... Une vie numérique est une vie paradoxalement dite nomade. Elle est immobile. Elle se meut dans la réalité virtuelle. Nous pourrions ici définir de nouveaux cadres de marche, et nous devrions prendre conscience que nous serions proche, très proche, des textes de Platon.

    "Marcher en philosophe" c'est prendre conscience de notre place dans le flux de l'humanité. Sur ce point nous sommes d'accord. Cependant je crois que la philosophie est avant tout créativité. Elle doit interroger, construire, bâtir, défendre, supporter, casser, reconstruire... Elle est le liquide de l'être. Elle doit s'adapter, s'émerveiller et ne plus s'endoctriner. 

    Cher Roger-Pol Droit, j'ai aimé me promener au coeur de vos mots, au coeur de votre musique. Evidemment, j'aurais aimé y croiser plus de femmes. Cependant comme vous le soulignez en évoquant la doctrine de Bouddha "l'humanité exige donc un ajustement interminable" (cf. p.95). 

    Cependant je ne considère pas les femmes comme une variable d'ajustement, car nous le savons fort bien, tous les deux, jamais l'immense oeuvre de Husserl aurait pu voir le jour sans Edith Stein. Les femmes ont toujours été là, elles vont sur le chemin de la sagesse. Elles aussi connaissent les déséquilibres. Elles aussi inventent, rêvent le monde et surtout l'éclairent de leur lucidité foudroyante (je pense ici à Hannah Arendt et notamment à sa théorie des bourreaux). 

    Cher Roger-Pol Droit, en ce début 2017, évidemment je vous adresse tous mes voeux et je vous souhaite de très belles promenades. Encore et encore de somptueuses recherches et des mots bien choisis.