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  • Le corps situé en réponse à Pascal Engel

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    Une fois n'est pas coutume, je vais répondre "à chaud" à un article... Pas n'importe lequel, celui de Pascal Engel paru sur le site de Libération le 6 novembre à 16h41, intitulé "le fantôme d'une philosophe". 

    Où étais-je donc à cette heure, ce jour ? Sans doute au coeur d'une salle de classe pour narrer une problématique bien particulière à des étudiants médusés : "qu'est-ce que la violence ?"

    En faisant des recherches, il n'est pas difficile de tomber sur la définition donnée par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de la violence. Elle se définit comme "l'utilisation intentionnelle de la force physique, de menaces à l’encontre des autres ou de soi-même, contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d'entraîner un traumatisme, des dommages psychologiques, des problèmes de développement ou un décès". Là, il n'est fait mention que de "force physique". 

    Poursuivons, selon l’Article 1112 du Code civil : « Il y a violence, lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent ».

    Ici dans ce qui constitue "notre" Code Civil (soit le ciment de notre société), il est bien mentionné "qu'il y a violence lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable"

    Pourquoi faire un si un grand détour avant de considérer votre texte en lui-même ? Sans doute parce que je suis pour la "pensée située". Une pensée située ne se résume pas à une géographie ou une cartographie dessinable et/ou dessinante. Elle part d'un corps (mince celui-ci est rattaché à un sexe, mais en même temps bien que de sexe féminin, je peux me considérer comme un homme, mince encore, nous pouvons parler d'identité glissante - certains parlent encore de "genre" - mais c'est dépassé tout cela - notamment avec les progrès technologiques).

    Donc à loisir j'écris, je pense à partir de ce corps qui peut être un tremplin mais aussi et  souvent un empêchement (la contrainte de la fatigue, par exemple). Mon écriture est située dans mon rapport au monde (Merleau-Ponty). Elle est même prise dans ses habitudes (Bergson).

    Le point aveugle, dont parle si bien Merleau-Ponty, ne serait-il pas justement le corps, ou encore plus précisément, le sexe des philosophes ? Ne répétons-nous pas à loisir que Simone de Beauvoir est arrivée seconde à l'agrégation de philosophie derrière Jean-Paul Sartre ? Pourquoi donc cette précision ? Ne serait-ce pas parce qu'il s'agit d'une femme ?

    Revenons à la notion de violence. Selon Aristote, il y a violence quand on contrarie la force naturelle d’une chose. Si donc nous admettons qu’il est naturel à l’humain de se déterminer lui-même, il y a violence dès qu’on use de contrainte sur autrui pour infléchir sa volonté. Voyez-vous où je veux en venir ?

    Non ? Je vais vous aider en vous citant "j’étais heureux de retourner à Cambridge. J’aurais aimé loger à Trinity, mais on ne m’avait trouvé de chambre qu’à Girton College, le premier collège, en 1871, à avoir accueilli des femmes". En théorie de la communication, nous dirions que vous plantez ainsi le décor de votre crédibilité. Je traduis : "je suis un homme" " je suis invité à Cambridge" (soit pas n'importe où) "je suis donc important", et en plus je vais vous parler "histoire des femmes"... Cependant ici je vous remémore Samuel Beckett "tout langage est écart de langage"... La crédibilité dans la communication est parfaitement réversible. N'oubliez pas la rétroaction de Norbert Wiener (dont l'enjeu consiste à justement piloter les esprits). 

    Vous dites "Ma chambre était un peu vétuste, mais confortable. Vers minuit, les boiseries se mirent à craquer, et j’entendis des pas. Or j’étais ce soir-là, censément, le seul hôte". Là cela me remémore les contes fantastiques de Théophile Gautier, où un petit grincement nous fait entrer dans un décor où le fantastique vient rencontrer le réel du lecteur. 

    Vous écrivez : "une forme blanchâtre se profila. Une dame très digne, imposante, parut. «Je suis Susan Stebbing, dit-elle. Je suis morte en 1943. J’ai fait mes études dans ce collège.» Auriez-vous ici l'amabilité de me dire ce que signifie pour vous "une dame très digne, imposante" ? Voulez-vous parler du physique de Susan Stebbing ? L'auriez-vous fait pour le fantôme de Charles Sanders Peirce ? Faisons une traduction "un homme très digne, imposant, avec sa grande barbe"....

    Vous êtes-vous demandé, un seul instant, pourquoi avoir eu besoin de faire parler le fantôme d'une philosophe en lieu et place de votre argumentation personnelle ? 

    Enfin vous dites "Contrôlant mon effroi face à ce visage qui portait des ans l’irréparable outrage, je posai une question stupide : «Mais pourquoi revenir ?» - «Je serais mieux dans ma tombe, en effet, mais tant qu’on ne m’aura pas rendu justice, je serai là.» 

    N'est-ce pas l'inverse, êtes-vous sûr de contrôler votre "effroi" ? La tournure théâtrale de votre phrase, laisse à entendre que vous n'êtes pas sûr de vous sur ce point. Qui le serait face à un fantôme ? Mais ne s'agit-il pas davantage de l'effroi d'un philosophe face à une tribune de femmes philosophes ? Face à des femmes qui rappellent que le "langage" (le logos) est essentiellement dominé par les hommes depuis la nuit des temps. Nul besoin de relire l'histoire de la philosophie pour le comprendre. Partons de Platon, Aristote... et jouons à mots cachés, couverts, dressons ensemble des arbres de vérité pour nous amuser de la logique située de la philosophie. Relisez Marija Gimbutas juste pour le plaisir !  

    Combien de femmes étudiées tout au long de mon cursus ? Aucune ! Paradoxalement j'ai eu les plus grandes professeures de philosophie devant moi pendant des années ! Dans leurs notices bibliographiques, elles ne mentionnaient même pas leurs propres ouvrages. En avaient-elles conscience ? Je ne pense pas.

    "Avoir conscience" signifie justement avoir la possibilité d'un regard épistémique. Nous avons donc bien besoin du temps (dans sa durée et non son instantanéité) et de l'histoire pour, dans l'épaisseur du monde, réapprendre à nous situer. À bien y regarder, je me remémore le fait qu'aucune d'elles ne se définissaient publiquement comme "philosophe" mais bien comme "historienne de la philosophie".  

    Vous allez me dire quel lien avec la violence ? N'est-ce pas là la plus grande violence que ne de pas être capable de questionner ce point aveugle de la philosophie ? Pour vous poser cette question, nul besoin de faire appel au fantôme du grand logicien Jean Largeaut. L'effacement est une violence. 

    D'où s'origine la violence ? Dans un instinct d’agressivité d’essence animale (selon Konrad Lorenz), dans des conflits d’intérêts économiques (selon Marx), dans l’extériorisation d’une pulsion de mort (selon Freud). De fait, la violence oblige à une double réflexion à la fois politique & philosophique.

    Mais je m'écarte de vos propos, vous citez ensuite les mots de Susan Stebbing «Mais comment peut-on penser "en tant qu’homme" ou, en la circonstance, en tant que femme ? Jamais, de toute ma vie, je n’ai écrit en tant que femme. J’ai fait de la logique, discipline certes pratiquée avant moi presque exclusivement par des hommes, mais jamais il ne me serait venu à l’esprit que je devrais penser ou raisonner en tant que femme, pas plus que si j’étais venue d’un milieu ouvrier ou paysan, je ne me serais sentie tenue de penser comme ouvrière ou paysanne. C’est non seulement confondre la nature de la pensée avec les origines des personnes qui la pratiquent, une forme de sophisme génétique, mais c’est aussi confondre l’intellectuel et le social : si l’on m’a refusé un poste à Cambridge, c’est sans doute une injustice envers mon sexe, peut-être une injustice sociale, et même une faute morale, mais cela n’est pas une injustice épistémique. " 

    Comme dit, plus haut, pour être capable de dire qu'il ne s'agit pas d'une "injustice épistémique", il faut se situer dans la même temporalité que Susan Stebbing. Mais au regard de notre époque, nous pouvons mesurer ce qu'elle a enduré comme critiques ou comme choix philosophiques imposés. Une femme rappelons-le, à l'époque ne doit pas parler de la polis (de la cité - soit de la politique), elle doit s'efforcer à l'exercice de l'abstraction soit la logique. S'abstraire, n'est-ce pas s'effacer ? N'est-ce pas là, sans doute, se retirer d'une pensée située ? Notons que la philosophe Edith Stein a choisi de faire l'inverse d'où sa souffrance... 

    Pour conclure votre article, vous citez un passage de Thinking to Some Purpose (1939). "La tolérance n’est pas l’indifférence, et elle est incompatible avec l’ignorance. Je suis raisonnablement parvenue à mes conclusions pour autant que j’aie été capable d’échapper à mes préjugés, d’admettre les effets déformants des vôtres, de rassembler les preuves pertinentes et de les peser en accord avec les principes logiques".

    Je citerai un autre passage dans sa version originale : "My ignorance made me unfree. To feel thus unfree is not pleasant. Out of this feeling may arise the temptation to give up thinking about the problem or to delude oneself into the belief that it is settled as soon as we can talk about the problem in terms of vague and unidentified abstractions…He alone is capable of being tolerant whose conclusions have been thought out and are recognized to be inconsistent with the beliefs of other persons."

    Croyez-vous donc que le problème soit réglé ?

     

  • L'égalité en panne

    Des réclamations collectives ont été déposées contre les quinze États Membres du Conseil de l’Europe qui les acceptent par le Groupe Européen des Femmes Diplômées des Universités, GEFDU / University Women of Europe, UWE, à l’initiative d'Anne Nègre, avocate au barreau de Versailles, France , pour violation de la Charte Sociale Européenne en matière de salaire égal pour un travail égal entre les femmes et les hommes. C’est une première historique !

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    Ni la France, ni l'Allemagne ni les autres ne respectent les lois en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes. La justice européenne a été saisie, mais bizarrement rien n'avance.

    Pour faire le point sur ce sujet, j'ai souhaité donner la parole à Anne Nègre afin qu'elle nous explique les enjeux de ces réclamations passées sous silence. 

    Vous avez passé 2 ans à monter ces réclamations collectives pour violation de la Charte Sociale, Pourquoi ? Quel est le but ?

    Anne Nègre : La Charte Sociale Européenne est en quelque sorte la Constitution Sociale de l’Europe, la Grande Europe celle du Conseil de l’Europe, car c’est un Traité du Conseil de l’Europe, de 1961. Depuis 1995 ces réclamations collectives sont aussi ouvertes à des organisations internationales non gouvernementales habilitées par le Conseil de l’Europe et 15 Etats Membres les acceptent, ils sont également des Etats Membres de l’Union Européenne. Il est clair qu’aucun pays en Europe ne respecte le salaire égal pour un travail égal entre les femmes et les hommes, ce faisant ils violent les dispositions de la Charte Sociale Européenne. Il s’avère qu’aucune réclamation collective n’avait, à ce jour, été déposée contre cette violation particulièrement grave et injuste qui touche toutes les femmes qui travaillent, quelque que soit leur niveau de qualification. L'une des premières conséquences, c'est que les femmes travaillent gratuitement en moyenne 2,5 mois par an. 

    Pensez-vous que l'égalité puisse arriver ? Est-ce là votre conviction ?  

    Anne Nègre : Oui si les citoyennes et les citoyens se mobilisent. Ce problème de l'égalité des saalires est crucial. Il doit être traité comme il se doit par les politiques, en mettant en place des structures juridiques et de contrôle efficaces. L'égalité est faisable si les preuves sont accessibles, si les juridictions saisies réagissent dans le bon sens, si les entreprises respectent les lois.

    Quels sont les états incriminés ? Pouvez-vous citer un ou deux exemples concrets ? 

    Anne Nègre : Les états vous avez la France, l'Allemagne, la Belgique, le Portugal, la Bulgarie, etc. Après, prenons l'exemple d'une femme qui travaille depuis 20 ans dans une entreprise. Elle constate que les hommes, engagés en même temps qu’elle, ont tous eu des promotions (ils ont des responsabilités reconnues) et donc des salaires correspondants. Dans les faits il ont fait la même chose. Ils ont le même job, mais on contourne l’égalité salariale en donnant des primes particulières uniquement aux hommes, justifiés par des horaires un peu différent. 

    Pensez-vous que les états vont vous laisser faire ?

    Anne Nègre : Non. Dans le cadre de ces 15 procédures, les états se sont concertés pour contester la recevabilité de Université Women of Europe (GEFDU/UWE) l'association avec laquelle j'ai déposé ses réclamations. Cette fédération regroupe des associations de femmes de divers pays européens qui pour certaines ont près de 100 ans. Elles ont toutes été à la pointe de tous les combats des droits des femmes. Toutes sont également membres de Graduate Women International qui a été créée en 1919. On est étonné de voir que les Etats estiment que UWE habilitée par le Conseil de l’Europe a déposé des réclamations collectives ne serait pas recevable. Dans ce cas aucune OING de femmes ne l’est. Ce qui est ridicule. Pourquoi donne-t-on des droits d’exercer des réclamations collectives pour après refuser les critiques inhérentes à ce type de procédure ? 

    Pensez vous qu’il y a des pressions pour que ces réclamations collectives n’aboutissent pas ?  

    Anne Nègre : On peut se poser des questions en lisant d’une part les observations des Pays-Bas qui indiquent la concertation des Etats. Notons, cependant que le Portugal, la Suède ou même la France ne critiquent pas la recevabilité d’UWE. La Grèce estime quant à elle que lancer des telles réclamations contre les 15 Etats qui les acceptent, met en péril le système lui même. En d'autres termes, on peut émettre des critiques mais surtout ne rien changer ! Refuser de payer à égalité les femmes et les hommes pour un travail égal est un scandale qui perdure. je pense, qu'au contraire, ce combat devrait mobiliser les forces vives pour renforcer la démocratie.

    Est-il possible d'accéder à vos réclamations ?

    Anne Nègre : Oui elles sont sur mon site mais aussi sur celui du Conseil de l'Europe.

    Pensez-vous que les états aient la possibilité de gagner face à ces réclamations ?

    Anne Nègre : Oui, malheureusement. Ils peuvent exercer tous types de pression. 

    Est-ce encore une affaire financière ?

    Anne Nègre : Bien sur, cela serait couteux pour les entreprises et les Etats de payer au juste salaire les femmes, de mettre en place un système efficace de lois, de contrôle des lois. Les inspections du travail ne recherchent guère ces défaillances. Les exigences de preuve sont telles que généralement ils reposent sur la salariée. Si elle commence à s’interroger, à poser des questions, elle risque de perdre sont travail avant même d’aller en justice. Et comment aller en justice sans preuve ? Et pourquoi les frais d’un procès doivent reposer sur une salariée souvent modeste ? Il y a peu de succès judiciaire en la matière en Europe. Les juges ne sont pas curieux, ils pourraient exiger la production de documents sur les salaries comparés dans les entreprises, ils pourraient décider d’expertises internes aux entreprises à défaut de réponse.

    Pourquoi avoir attendu avant d'accepter de répondre à cette interview ?

    Anne Nègre  : je suis étonnée par le silence des médias. Je ne comprends pas. L'égalité ce n'est pas simplement une journée "le 8 mars" qu'il faut s'en soucier. C'est toute l'année. Il faut que nous nous mobilisions.