Depuis que j'ai commencé à travailler sur le langage, il y a bien longtemps en arborant fièrement un t-shirt avec des phrases de Samuel Beckett en seconde année de fac, ou encore dès le lycée en écoutant les conneries de mes camarades. Bref, j'ai attendu bien longtemps un livre comme celui-là.
Après le livre d'Ingrid Riocreux, je suis dans mon mois de lectures chanceuses. C'est vrai ! Enfin tout le monde s'y met, l'armure de la médiation se craquelle, les langues se délient.
Et si concernant l'essai d'Ingrid Riocreux je partage bon nombre d'analyse, je dois faire remarquer que le consentement ne se fabrique plus. Il s'entretient. C'est fini, l'accès au mass média, à la culture de masse qui redemande des "ça pleut" ou des "télé-réalités où Nelson Mandela se confond avec un acteur américain", prolongent le consentement. On ne se demande plus "si on doit accepter les conditions d'utilisation de son smartphone". Cela commence là...
Bref, revenons au livre fabuleux de Laurent Mauduit. Hier, je ne l'ai pas lâché, je l'ai lu d'une phrase à l'autre en soulignant les passages truculents... Et il y en a tellement que j'ai eu la nausée. La nausée de ce monde que j'ai vu arriver, contre lequel je bataillais avec mes mots, choisissant constamment l'indépendance et son prix à payer : la précarité.
Qui détient les lignes téléphoniques, détient l'information ! En cours j'ai toujours dit aux étudiants qui détient l'information est le roi... Cela signifie aujourd'hui, comme évoqué dans l'article sur l'indépendance des médias, que tout média est possédé. Le terme possédé est ici très intéressant.
Qui possède le média, dénonce sa ligne éditoriale, change les équipes, balance des bons mots sur des livres à défendre (normal, ils appartiennent au même groupe)...
Laurent Maudit me livre ici le complément d'information qu'il me manquait. L'ancrage dans l'histoire de la finance. Comme il le souligne à propos de Patrick Drahi (SFR) "Mais quiconque cherche à démêler l'invraisemblable lacis de holdings, groupes, sociétés, filiales ou sous-filiales de l'empire Drahi se perd dans un organigramme d'une infinie complexité, qui passe par d'innombrables pays et paradis fiscaux, et qui fait l'objet d'incessantes modifications" (Cf. p. 117).
Pour moi c'est exactement cela, mais je n'ai jamais regardé à quel point tout n'est qu'entrelacs. Pourtant, j'aurais dû m'y pencher dès que j'ai mis un pied au secrétariat de la rédaction de l'Humanité. Simple remplaçante, mais tout était déjà visible. Le jeu des cartes déjà abattues. J'avais mis cela sur le compte de mon idéalisme, de ma jeunesse "rebelle"...
Mais que dire de Pierre Bergé au Monde ? "Tout le naufrage d journal est contenu dans ce pied de nez de l'histoire : Le Monde croqué par celui dont il a révélé jadis les manigances financières"(Cf. 240).
Un peu plus loin Laurent Mauduit nous révèle les jeux d'influence de Matthieu Pigasse, Alain Minc, DSK, Xavier Niel et de tout ce petit monde de Euro-RSCG (Havas)... N'oublions pas Anne Hommel au milieu de cet univers. N'oublions pas non plus que souvent leur plume est Gilles Finchelstein (directeur de la Fondation Jean-Jaurès - dont le but consiste à « favoriser l’étude du mouvement ouvrier et du socialisme international, de promouvoir les idéaux démocratiques et humanistes par le débat d’idées et la recherche, de contribuer à la connaissance de l’homme et de son environnement, de mener des actions de coopération économique, culturelle et politique concourant à l’essor du pluralisme et de la démocratie dans le monde »).
Cette bonne blague !
Et puis, évidemment, arrive dans quelques pages le chouchou des médias. Le "jeune loup", vous ne voyez toujours pas, attention, il porte rarement des cravates et est "en marche"... Et oui tout ne serait pas parfait sans cet autre banquier : Emmanuel Macron.
Le livre de Laurent Mauduit est plein de belles histoires nauséabondes à souhait. Mais son travail ne serait pas parfait s'il ne citait pas des auteurs qui ont fait l'histoire. De Hugo, à Blum en passant par Jaurès et cette phrase de Mirabeau "mais je soutiens que l'existence d'un bon livre ne doit pas plus être compromise que celle d'un bon citoyen ; l'une est aussi respectable que l'autre ; et l'on doit craindre également d'y attenter. Tuer un homme, c'est détruire une créature raisonnable, mais étouffer un bon livre, c'est tuer la raison elle-même" (Cf. p. 310).
Il nous rappelle un peu plus loin que le même Robespierre (qui avait déclaré "la Liberté de la presse doit être entière et indéfinie, ou elle n'existe pas. Je ne vois que deux moyens de la modifier : l'un d'en assujettir l'usage à de certaines restrictions et à de certaines formalités, l'autre d'en réprimer l'abus par des lois pénales ; l'un et l'autre de ces deux objets exigent la plus sérieuse attention" (Cf. p. 316)) amende ses propres convictions le 19 avril 1793 en rétablissant la censure...
Une respiration avec cette citation de Victor Hugo "permettez-moi, messieurs, en terminant ce peu de paroles, de déposer dans vos consciences une pensée qui, je le déclare, devrait selon moi dominer cette discussion : c'est que le principe de la liberté de la presse n'est pas moins essentiel, n'est pas moins sacré que le principe du suffrage universel" (Cf. p.319).
Cet document fera date, c'est un travail minutieux. Je ne partage malheureusement pas sa conclusion optimiste, les rassemblements de journalistes, les nouvelles formes de résistances... Non... L'heure est malheureusement à l'écrasement des consciences, à l'oppression encore plus grande, au prolongement du consentement... Avant la refonte des médias, avant le réveil des plumes engagées, il y aura un long moment d'asservissement moderne. Un esclavage qui ne dit pas non nom : celui des esprits.