Invitée d’honneur de la trentième édition du Festival international de films de femmes, Josiane Balasko évoque son parcours et ses engagements.
Difficile, voire impossible de résumer en une phrase lapidaire la vie de Josiane Balasko. Son père décède alors qu’elle est adolescente, Josiane Balasko est élevée par sa mère et sa grand-mère. Dès son plus jeune âge, elle a rêvé d’embrasser une carrière artistique : après s’être essayée au dessin en intégrant une école de graphisme, et à l’écriture en rédigeant des nouvelles de science-fiction, elle opte pour la comédie et suit les cours de théâtre de Tania Balachova. Sa filmographie démarre fort avec son apparition très remarquée dans Le Locataire de Roman Polanski. Au milieu des années 70, Josiane Balasko rejoint l’équipe du Splendid, alors à la recherche d’une remplaçante pour Valérie Mairesse, partie faire du cinéma. Parallèlement, elle monte ses propres spectacles et incarne Ginette Lacaze dans une pièce écrite par Coluche. Elle apparaît à l’écran en 1973 dans L’An 01 et trouve son premier rôle "d’envergure" dans Les Petits Câlins de Jean-Marie Poiré (1978). Jouant de son image d’anti-sex-symbol, Josiane Balasko accède à la notoriété en même temps que ses camarades du Splendid, grâce aux succès des comédies Les Bronzés (1978) puis Les Bronzés font du ski, sans oublier Le Père Noël est une ordure (1982). A travers des films comme La Smala ou Nuit d’ivresse (1986), Josiane Balasko impose une nouvelle image d’elle et des femmes. Elle incarne une femme ordinaire à laquelle arrive l’extraordinaire. En 1989, grâce à Blier dans Trop belle pour toi, elle est la secrétaire pour qui Depardieu quitte Carole Bouquet. Elle multiplie les rôles de composition : militante exaltée dans Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes (1993) ou alcoolique pathétique dans Un crime au paradis, elle nous surprend en incarnant en 2003 un flic à la dérive dans le polar Cette femme-là de Guillaume Nicloux, puis elle incarne Marguerite Duras dans J’ai vu tuer Ben Barka. Josianne Balasko reste fidèle à la troupe du Splendid, participant donc au retour des Bronzés en 2006, puis à L’Auberge rouge de Gérard Kramczyck. En 2007, elle retrouve Guillaume Nicloux dans La Clef.
Mais ne parler que de sa carrière d’actrice c’est oublier que Josiane Balasko, c’est aussi une réalisatrice engagée et lucide ! Dès le milieu des années 80, elle révèle cet autre talent. Elle dévoile ainsi son anticonformisme avec Sac de noeuds (1985) et Les Keufs (1989). Pourtant ce n’est qu’avec Gazon maudit, qu’elle obtient les éloges du public et de la critique (emportant le César du Meilleur scénario en 1995). En 1998, elle porte à l’écran sa première de théâtre à succès Un grand cri d’amour, récidive avec L’Ex-femme de ma vie (en 2005), puis son livre Cliente (en 2008). Comme personnalité, à l’honneur, de cette trentième édition, elle a accepté de nous parler de sa carrière, de son engagement, de sa volonté.
Comment en êtes-vous venue à une carrière théâtrale ?
Josiane Balasko : Au départ, je dessinais. Dès 8 ans, je peignais, mais ce n’était pas très convaincant. J’ai arrêté mes études, j’étais très en retard et j’ai dit à ma mère que je voulais faire du dessin. C’était plus l’idée d’une carrière artistique que j’avais en tête. Ma mère s’est saignée aux quatre veines pour m’envoyer dans une école qui existe toujours Penninghen. Je me disais que j’allais peut-être entrer aux Beaux-Arts ou aux Arts Déco. J’ai fait une année de préparation, qui me sert toujours pour composer mes affiches. Dans les années 69/70, j’ai été recalée au concours des Arts Déco et je me suis dit : « mais qu’est-ce que je peux faire ? » J’avais une amie d’enfance, Laura Laufer qui était une fan de cinéma, une cinéphile, et qui prenait des cours de théâtre chez Tania Balachova. Elle m’a demandé : « pourquoi tu ne viens pas me voir ? ».
Cela a-t-il été une révélation, ou bien avez-vous découvert un métier ? Josiane Balasko : A l’époque, ces endroits n’étaient pas des usines. Les élèves payaient quand ils pouvaient. Donc je suis restée à regarder ses cours. Je trouvais ça intéressant. L’ambiance était bonne, il y avait des copains, des copines... Un jour, on m’a demandé de donner la réplique. C’était une pièce très rigolote d’Obaldia : Le Cosmonaute agricole. J’ai donné la réplique, et tout le monde s’est mis à rire. A partir de là, j’ai compris que j’avais une fibre comique et j’ai commencé à travailler dans ce sens. C’est donc venu un peu par hasard et je n’ai pas vraiment décidé de devenir actrice.
Dès votre première apparition au cinéma, dans Le Locataire de Roman Polanski, vous jouez sur vos différences physiques ? Vous semblez même en avoir fait un point fort...
Josiane Balasko : Si on commence une carrière sur un physique c’est très dur de s’en défaire, car l’on vous sollicite pour cela. Je ne connais que Simone Signoret qui ait résolument cassé son image. La beauté extrême qu’elle pouvait avoir dans Casque d’or elle l’a cassée dans ses rôles ultérieurs, comme dans La Veuve Courderc (Pierre Granier-Deferre, 1971) par exemple.
En parlant de transformation et d’images, il semble que vous ayez le goût de la métamorphose à chacun de vos personnages ?
Josiane Balasko : oui, j’adore cela, c’est une manière encore plus forte de donner vie à un personnage, de l’incarner. Dans Un crime au paradis de Jean Becker (2001), j’étais une mégère incroyable. Il y avait Suzanne Flon sur le film, qui comprenait très bien ce choix. Je préfère être un poireau dans un film, plutôt que dans la vie réelle ! (rires) Ca m’amuse toujours de me déguiser. Un acteur se déguise sans cesse. C’est le plaisir du jeu de se transformer. J’ai commencé avec Les Hommes préfèrent les grosses (Jean-Marie Poiré, 1981) et bien sûr je n’étais pas à mon avantage, mais ce n’était pas grave. Dans le fond, j’ai toujours eu des modèles masculins, car il y avait peu de modèles féminins à part les excentriques comme Pauline Carton. Elle est formidable, mais a toujours été cantonnée aux rôles de concierge, de vieille fille, de pharmacienne aigrie... Les jeunes filles séduisantes jouaient assez vite des rôles de mères. Mes modèles étaient donc masculins et je m’étais dit : « J’ai envie de faire un tandem, comme Jerry Lee Lewis et Dean Martin. » (rires). C’est comme cela qu’est né Les Hommes préfèrent les grosses. Un de mes premiers spectacles qui s’appelait : La Pipelette ne pipa plus. Les critiques, même féminines, étaient féroces. On disait « dis-donc, elle a des cuisses avec de la cellulite et elle ose porter une mini-jupe ! » C’est un exemple de réaction qui prouve que parfois les femmes sont les premières gardiennes de la tradition machiste. Ca leur renvoyait une image inacceptable. J’ai eu la même réaction à la lecture de Cliente, auprès de femmes qui s’occupaient de programmation ou de distribution pour les chaînes de TV. Elles ne toléraient pas le scénario : une femme de 50 ans qui va avec des mecs. Elles ne lisaient pas un scénario, mais se projetaient personnellement dans l’histoire. C’est très fréquent ces deux niveaux, il y a les canons de la société d’une part, et l’autocensure des femmes contre elles-mêmes, d’autre part.
Vous allez constamment au-delà des critiques, vous aimez tendre un miroir à la société pour en montrer les imperfections. On vous voit d’ailleurs de plus en plus dans des engagements différents. Est-ce une des raisons qui vous a conduit aujourd’hui à accepter l’invitation du Festival ?
Josiane Balasko : Les combats féministes ont changé des choses importantes dans la vie des femmes. Pour le cinéma, cela a certainement permis à des réalisatrices de travailler. Moi, à l’époque, je m’en foutais un peu. Il n’y a que depuis quelques années que je m’intéresse à la chose publique. Pour les sans-papier, je peux comprendre que l’on ait des quotas d’entrées, que des gens qui sont là depuis six mois illégalement soient renvoyés à la frontière... mais le drame actuel concerne des gens qui sont là depuis cinq ans, depuis dix ans, qui ont des enfants, qui travaillent. C’est ça le problème. Beaucoup de gens expulsés sont des gens intégrés, qui ont des attaches. Donc cette loi c’est pour faire du chiffre et plaire aux électeurs d’extrême droite. Ca ne résout pas les problèmes et on a besoin des immigrés. Quand on a la chance d’être privilégié, c’est normal de s’intéresser aux autres. Pour moi militer, c’était de faire ce que je faisais. D’une certaine façon, porter une mini-jupe et montrer mon cul aux gens, c’était un acte féministe (rires). C’était pas forcément perçu comme ça, mais c’était tout de même aller contre des stéréotypes. J’ai remarqué que même les grandes causes comme l’Unesco, l’Unicef... utilisent des images de femmes « glamour » pour vendre leurs idées. Au début j’étais très énervée parce que je ne faisais jamais les couvertures, mais maintenant je m’en fous complètement.
Pour en revenir au cinéma, vos choix d’actrice puis de réalisatrice montrent combien vous êtes en prise avec le réel.
Josiane Balasko : Oui en effet, j’aime partir du quotidien. Par exemple, Les Keufs (1987) était une commande que j’ai réécrite entièrement. Un producteur m’avait demandé de faire un polar et, dans les années 80, j’avais rencontré une jeune femme-flic très mignonne, qui, dans le cadre de son boulot, devait s’infiltrer chez les dealers. Elle m’a raconté des choses hallucinantes. Elle était de Marseille et avait passé les concours pour entrer chez les flics. Très vite elle a été mutée à Paris, dans un milieu très macho. Les premiers jours, elle arrivait en petit tailleur et on lui disait : « Viens, y a un type qui s’est pendu, on y va ». Arrivée sur les lieux, on lui dit de le dépendre. Et là, évidemment, elle ne pouvait pas le savoir, mais le type se vide complètement sur elle. Elle en avait partout. C’était vraiment un bizutage assez dur. Après elle leur disait « Salut les couilles ! » et j’ai repris cette expression dans mon film. Il y a un autre épisode dans le film qu’elle m’a raconté également. Elle avait des billets pour l’Opéra, donc là encore elle s’était bien habillée. Elle était toute seule. Elle revient de l’Opéra assez tard, en métro, et des mecs commencent à la regarder et à l’emmerder. Tout à coup, elle sort un flingue de son sac, elle, une petite bonne femme très chic. On imagine la tête des types (rires).
Comment Bertrand Blier a eu l’idée de vous proposer Trop belle pour toi ?
Josiane Balasko : Bertrand nous connaissait toute l’équipe du Splendid. Il était venu nous voir au Café Théâtre, il a donné des petits rôles à Jugnot et Lhermitte dans Les Valseuses. Il m’avait proposé un tout petit rôle, mais je n’avais pas pu le faire à l’époque à mon grand désespoir car je devais assurer une tournée de spectacle pour enfants. Plus tard, il m’avait parlé du personnage de Miou-Miou dans Tenue de soirée, mais il a tout de suite oublié. Il trouvait que ce n’était pas moi. Et il a eu bien raison de prendre Miou-Miou. Ensuite, il a pris Michel Blanc. Donc il est assez fidèle à nous. Dans Les Acteurs, j’ai joué avec André Dussollier. Pour Trop belle pour toi, je crois que c’est le seul réalisateur à qui j’ai demandé de travailler avec. Un jour, il m’a appelé et m’a proposé cette idée. Bertrand a besoin de penser à des acteurs précis pour écrire ses personnages. Il a besoin de têtes.
Avec Trop belle pour toi, vous commencez à quitter le registre comique pour aller vers des rôles plus dramatiques et incarner cette Femme-là de Guillaume Nicloux...
Josiane Balasko : Dans Les Hommes préfèrent les grosses, on ne parle que de cul. Pas d’une manière grasse, mais d’une manière obsessionnelle. J’ai revu récemment Viens chez moi j’habite chez une copine, à peu près de la même époque, et c’est pareil. Tout est basé sur les ouvertures, sur l’écoute, sur ce que l’on peut avoir rapidement... C’était quand même ça le fond de ces histoires. Il a fallu que j’attende Trop belle pour toi (1989) et surtout Cette femme-là (2002) pour aborder un registre dramatique. C’est Thierry Lhermitte qui m’appelle un jour, en me disant « Il faut que tu vois Guillaume Nicloux, c’est un garçon formidable ». On s’est vus, on a discuté, et une alchimie est passée, comme avec Jean-Marie Poiré. Il avait envie d’écrire un film noir, avec un personnage sombre et j’ai dit OK. C’est l’histoire d’une femme-flic qui a des névroses car son fils, quatre ans auparavant, est mort dans un accident de voiture dont elle est responsable. Elle voit un psy, et va être entraînée dans une affaire policière extrêmement violente. C’est un jeu totalement intérieur, pas du tout expressif, à l’opposé de mes rôles habituels, et j’ai beaucoup aimé jouer ce personnage.
Le bonheur d’être actrice vous a également conduit vers la réalisation. Mais réaliser est-ce encore jouer ?
Josiane Balasko : Sac de nœuds (1985), c’est le premier film que j’ai réalisé, mais je ne voulais pas le faire. Je voulais jouer et écrire, mais pas réaliser. C’est comme si on m’avait dit : « Maintenant tu vas servir la messe, tu vas passer de l’autre côté... J’suis pas curé ! » (rires). Et puis j’ai écrit le sujet avec Jacques Audiard, on avait un producteur et j’ai cherché un metteur en scène, mais on n’en a pas trouvé. C’est un film tellement particulier, tellement personnel que c’était pas évident de trouver quelqu’un. Jugnot avait fait un carton avec Pinot Simple flic et Blanc avec Marche à l’ombre alors le producteur m’a dit : « T’as qu’à le faire ! » Pour Gazon maudit (1994), la production de Claude Berri avait les moyens. On a planté le décor entre Apt et Avignon. On se retrouvait les uns chez les autres. C’était très familial. Tout le monde avait emmené ses enfants, Victoria, Alain Chabat... C’était un peu une fête. Ma fille était avec moi. A la fin du tournage elle me dit « Quand est-ce que je pourrais voir le film ? » Et moi je lui réponds : « C’est pas vraiment pour les enfants, quand tu auras 12 ans ». Le film est sorti quand elle a eu 12 ans et je me disais « Pourvu que de voir sa mère avoir des scènes d’amour avec Victoria Abril ne la traumatise pas ! » (rires). Finalement elle m’a dit « Maman, t’as fait du bon boulot ! ». Après, à l’école, on a dû lui dire que sa mère était une gouine et elle a dû en chier... mais bon. Avoir des enfants pour les couples de lesbiennes, cela me semble normal et logique. Sans même recourir à l’insémination artificielle je pense qu’il y a des couples qui font appel à des amis.
A travers votre fabuleuse carrière, il semble que vous fassiez tout en restant vous-même. Est-ce là votre philosophie ?
Josiane Balasko : J’ai la grande chance de faire les films que j’ai envie de faire. Pour un metteur en scène quand il ne travaille pas, c’est très dur. Moi, je suis un peu dilettante. J’écris un livre, je fais une pièce comme actrice... Je ne suis pas là à me dire : « Il faut trouver un sujet, sinon je vais mourir ». Je n’ai pas non plus besoin de faire des publicités pour vivre. C’est un immense avantage de pouvoir faire mille choses, car quand une actrice reste dans l’attente d’un coup de fil, c’est terrible. Tous les acteurs ont des périodes creuses. DansCliente au départ j’avais écrit le rôle pour moi. Ensuite, je suis passée au livre en me disant : « Si j’étais metteur en scène qui je prendrais comme actrice ? ». J’ai fait lire le bouquin à Nathalie Baye et elle m’a rappelée immédiatement en me disant : « Ecoute Josiane, si jamais tu fais le film, je veux le rôle ». Et l’an passé son agent m’a dit : « C’est la première fois de sa vie qu’elle appelle un metteur en scène pour avoir un rôle ». Et elle est formidable. Elle représente la Française, un peu comme Danielle Darrieux à son époque, ou dans un autre style Catherine Deneuve. La beauté française qui n’est pas tapageuse, qui a beaucoup de charme, et à laquelle on peut s’identifier.