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Discours

  • Un « gouvernement d’intérêt général » : solution ou piège pour la démocratie française ?

    Dans la soirée du 4 décembre 2024, la motion de censure a été votée à l'Assemblée nationale, faisant de facto tomber le gouvernement sous la direction du Premier ministre Michel Barnier. En réponse à cette agitation politique, le Président Emmanuel Macron a pris la parole le jeudi 5 décembre à 20h. Comme on peut le voir sur le site officiel de l’Elysée, il s’agit d’une « adresse aux Français ». Face à une Assemblée nationale sans majorité et la censure inédite du gouvernement, le président appelle à la formation d’un « gouvernement d’intérêt général ». Si cette idée se veut une réponse pragmatique à la crise, elle soulève des questions fondamentales sur le fonctionnement démocratique de la Cinquième République.

    Comme cela fait longtemps que je ne me suis pas prêtée à l’analyse des discours d’Emmanuel Macron, il me semble important de le faire aujourd’hui afin de poser clairement la question de la signification de l’expression de « gouvernement d’intérêt général ».


    Une rhétorique de l’urgence et de l’unité

    Le discours s’ouvre sur une situation exceptionnelle : la censure du gouvernement Barnier et l’impossibilité de dégager une majorité parlementaire claire. Macron mobilise une rhétorique de l’urgence pour justifier la nécessité d’une solution rapide. En présentant les oppositions comme un « front anti-républicain », il se positionne en garant de l’unité nationale et de la stabilité institutionnelle.

    Ce qui, comme le souligne Clément Viktorovitch, est factuellement faux, et qui le positionne comme le seul sauveur. Cette rhétorique disqualifie tout contre-pouvoir. Elle renvoie dos à dos les extrêmes, marginalise les critiques légitimes et ignore le rôle de l’opposition dans une démocratie pluraliste. Comme l’a montré Chantal Mouffe (The Democratic Paradox), un consensus total est une illusion qui masque souvent la suppression des conflits légitimes.

    Le recours au pathos est également frappant. Macron évoque les fêtes de Noël pour accentuer la responsabilité supposée des oppositions dans la crise. Cette stratégie émotionnelle sert à polariser le discours, renforçant son positionnement de « père de la Nation ». Toutefois, en établissant cette dualité simpliste entre « ordre » et « chaos », il empêche une véritable délibération publique.

     

    Le « gouvernement d’intérêt général » : une idée constitutionnellement fragile

    Le concept n’a pas de fondement explicite dans le droit constitutionnel français. La Constitution de 1958, pensée pour assurer la stabilité, repose sur la séparation des pouvoirs et le jeu des majorités parlementaires. Si l’article 49 permet de contourner les blocages, il ne saurait être un outil systématique pour gouverner. L’appel à un « gouvernement d’intérêt général » repose donc davantage sur une interprétation politique que sur une base juridique solide.

    Un tel gouvernement, en prétendant représenter toutes les forces politiques, pourrait affaiblir l’opposition et concentrer le pouvoir dans les mains de l’exécutif. Cette dynamique peut mener à ce que Pierre Rosanvallon appelle une « démocratie d’évitement », où les mécanismes de délibération collective sont contournés au profit d’une gestion technocratique (Le Bon Gouvernement).

    La fragilité institutionnelle de ce concept est également à replacer dans le contexte international. Contrairement à des pays comme l’Allemagne où les coalitions sont courantes, la Cinquième République française repose sur un fonctionnement binaire : majorité et opposition. Forcer un consensus artificiel pourrait créer davantage de tensions que de stabilité.

     

    Une illusion dangereuse : entre autoritarisme et désengagement populaire

    Le projet d’unité nationale masque les tensions inhérentes à toute démocratie. Comme le souligne Claude Lefort (Essais sur le politique), la démocratie vit de ses divisions et de ses conflits. Chercher à les effacer revient à nier le pluralisme, socle de toute société libre.

    Le risque est celui d’un glissement vers un pouvoir technocratique ou autoritaire. En neutralisant les clivages politiques, le gouvernement pourrait être tenté d’agir sans réel contre-pouvoir, affaiblissant le rôle du Parlement. Hannah Arendt rappelle que de telles situations peuvent conduire à une érosion progressive des libertés (Les Origines du Totalitarisme).

    Un gouvernement d’intérêt général peut également renforcer la défiance envers les institutions. Déjà en crise, la représentation politique risque de s’éloigner davantage des citoyens, laissant place à un cynisme dangereux. La philosophie politique contemporaine, notamment Habermas (Droit et démocratie), insiste sur l’importance de la participation citoyenne et du débat public pour légitimer les décisions.

    Dans ce contexte, les médias jouent un rôle crucial. En reprenant la rhétorique d’urgence sans la nuancer, ils risquent d’accentuer la perception d’un éloignement entre gouvernants et gouvernés. Cela soulève des questions sur leur responsabilité dans l’érosion de la confiance publique.



    Quels choix pour l’avenir démocratique ?

    Le discours présidentiel pose une question essentielle : comment gouverner dans un contexte de fragmentation politique ? Si le « gouvernement d’intérêt général » peut sembler une réponse pragmatique, il ne saurait être une solution pérenne.

    La crise actuelle révèle les limites de la Cinquième République. Une réforme institutionnelle pourrait renforcer la proportionnalité des élections législatives, favorisant une meilleure représentation des forces politiques. Une réflexion sur l’instauration d’un régime parlementaire plus équilibré semble également nécessaire.

    Face à la défiance croissante, il est urgent de restaurer la confiance des citoyens dans les institutions. Cela passe par une démocratisation des processus décisionnels et une plus grande transparence. Inspirons-nous des expériences participatives réussies, comme les assemblées citoyennes, qui permettent d’inclure les citoyens dans l’élaboration des politiques publiques.

    Dans cette perspective, Dominique Motte propose un modèle de démocratie directe qui mériterait une exploration approfondie pour répondre à la crise actuelle.



    L’unité, un leurre ou une ambition ?

    Si l’idée d’un « gouvernement d’intérêt général » semble répondre aux blocages institutionnels, elle cache des dangers profonds pour la démocratie. En niant les conflits inhérents au politique, elle risque de renforcer les dynamiques autoritaires et de creuser la fracture entre gouvernants et gouvernés.

    La France ne peut se contenter de solutions provisoires. Elle doit repenser ses institutions et réaffirmer le rôle central du citoyen dans la construction démocratique. Comme l’écrivait Rousseau, « la force publique est composée des forces privées : si elle est mal dirigée, elle détruit l’égalité ». Gardons cela à l’esprit en ces temps troublés.

    Et, comme le souligne Hannah Arendt, « L’action, par définition, ne peut se produire dans l’isolement. Elle a besoin des autres pour se manifester » (Condition de l’homme moderne). Plutôt que de chercher à éviter les conflits, assumons-les pour les transformer en moteur de notre avenir collectif.



  • de la théorie du cadrage

    @soniabressler Le cadrage ou Framing Theory #foryou #fyp #pourtoi #analysedudiscours #communication #tiktokacademie #influence #manipulation ♬ Sunset Lover - Petit Biscuit

  • L'égalité en question... (interview d'Emmanuel Macron du 14 juillet 2020)

    Cela fait trop longtemps que je ne suis pas venue ici, évoquer un peu le langage médiatique et étatique actuel... Nous sommes le 14 juillet 2020, c'est un excellent jour pour pointer quelques travers de nos actualités.

    Il est 13h10, sans doute un peu plus, et nous allons "tou.te.s" assister à l'interview présidentielle, qui comme le souligne Léa Salamé n'aurait pas dû avoir lieu, car Emmanuel Macron avait annoncé mettre fin à cette tradition. Mais nous sommes dans le "monde d'après". Je plaisante, mais vous reconnaissez l'importance du rôle du langage et des expressions vides de sens pour paralyser la réflexion et jouer sur l'émotion.

    Je reprends.

    Pourquoi ce 14 juillet ? "Ce 14 Juillet est un peu particulier". C'est quoi un 14 juillet "un peu particulier" ? Je vous cite, sinon ce ne serait pas drôle "C'est un 14 Juillet qui consacre la fierté d'être Français. Notre fête nationale où nous célébrerons nos armées, auxquelles nous devons tant, leurs familles, leurs blessés".

    Attention, c'est quoi être français aujourd'hui dans un monde qui bouge ? Dans un monde qui se dérobe où l'on impose des sanctions, des distanciations physiques ? Nous fêtons les blessés, pas les morts ?

    "Nous étions émus ce matin face aux soignants, aux familles des victimes. Notre pays est dans un moment particulier de son histoire, nous devons en mesurer la gravité"

    C'est donc la gravité qui va mener la danse de cette interview. Mais est-elle là quand on évoque la nomination du Ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin ? Il est 13h41.

    "Je respecte toujours l'émoi des causes justes. La colère féministe, je la partage. Nous avons fait voter des lois importantes". Cette juxtaposition de trois phrases courtes, de trois idées différentes est littéralement passionnante.

    En tout premier lieu, je m'attendais à une réponse journalistique du type "de quelles lois s'agit-il ?" ou encore "pouvez-vous nous citer les lois auxquelles vous faites références?"... De façon personnelle, je ne les vois pas. Mais sans doute, suis-je mal informée. Ce serait vraiment dommage en tant que présidente de l'AFFDU, association centenaire en septembre prochain, qui défend l'égalité des droits, l'accès des femmes à l'éducation...

    Reprenons le début de cette succession: "je respecte l'émoi des causes justes". Première phrase très intéressante, quand on regarde les mouvements sociaux en France depuis votre élection. Cela signifie-t-il que tous les émois précédents ne soient pas justes, ni justifiés ? Pour avoir suivi, photographié les manifestations (Gilets Jaunes, retraite, soignant...) pendant tous ces mois devenus années, j'ai comme l'impression que cela revient à dire que ces émois ne représentaient pas des causes justes ? C'est étrange, quand même, quand on voit qu'il s'agit de mouvements pour défendre le socle commun de notre société par exemple : l'accès aux soins gratuits, la retraite, ou encore une école gratuite, ouverte à tous...

    Deuxième phrase, deuxième idée. "La colère féministe, je la partage". Qu'est-ce que la colère féministe ? Pourquoi seules les femmes et les mouvements féministes seraient en colère ? Les mouvements Black Lives Matters (en France) et/ou contre les violences policières (en France) ne sont-ils pas en colère ? Je pense qu'il me faudra un autre article pour comprendre et interroger d'où vient cette association permanente de la notion de "colère" et de "féministe".

    Parlons de l'objet de cette "colère féministe". Cette "colère" du moment touche-t-elle autre chose que l'égalité des droits, des chances pour tou.te.s ? Évidemment non, mais son facteur déclencheur, la chose qui a mis le feu aux poudres, c'est la nomination d'un homme au poste de ministre de l'intérieur tandis que ce dernier a une plainte pour viol qui le suit. C'est étrange, non ?

    "Un responsable politique a fait l'objet d'une accusation grave. Cette affaire a fait l'objet de plusieurs enquêtes, qui ont donné lieu à une absence de suite. Il ne m'appartient pas d'en juger. Aucune cause n'est défendue justement si on le fait en bafouant les principes de notre démocratie. Je suis le garant de la présomption d'innocence".

    Je partage l'idée de la présomption d'innocence. Mais ce n'est pas pour autant que je nomme les personnes suspectées de viol à un ministère (particulièrement à l'intérieur)... Imaginons un seul instant, la difficulté pour une femme d'aller à un poste de police pour porter plainte pour viol. Elle doit non seulement apporter des preuves de ce qu'elle a subi, et en plus faire face à des personnes qui vont mettre en cause son récit avec des phrases du type "enfin vous l'avez bien un peu cherché, un peu provoqué..." ou encore "avec votre tenue, c'est de la provocation"... (cf. notamment cette émission de France Culture : le viol, aspect sociologique d'un crime). Maintenant concluons sur ce qu'une femme pourrait entendre à l'avenir "c'est bien d'être venue nous voir, d'avoir raconté ce que vous avez subi, mais vous savez le chef de mon chef, un violeur notoire, classera votre plainte sans suite...." Est-ce cela que vous entendez par "La colère féministe, je la partage" ? Que partagez-vous quand vous concluez de la façon suivante : "J'ai eu une discussion avec Gérald Darmanin. Il y a aussi une relation de confiance."

    Ne sommes-nous pas dans une contradiction constante ? Vous indiquez être dans une relation de confiance avec un ministre (donc vous reconnaissez indirectement être soumis, comme nous tous, au biais de confirmation). La suite de la réflexion est bien plus inquiétante je vous cite : "Je refuse de céder à l'émotion constante". C'est étrange car vous avez précisément dit le contraire avant "je respecte l'émoi des causes justes" ce à quoi vous avez ajouté "la colère féministe je la partage". En d'autres termes, au début de votre raisonnement, vous donniez raison à "l'émoi féministe", c'est une "cause juste"... mais au final non. Il ne faut pas céder...

    Remarquable parade rhétorique pour balayer d'un revers de verbe(s) le sujet de l'égalité des droits !

    Pour ceux qui seraient intéressés par l'égalité des droits, je rappelle que Anne Nègre a fait un travail colossal pour dénoncer le non respect par les pays européens dont la France (en tout premier lieu) de la Charte Sociale Européenne qui précise bien l'égalité des droits et donc par exemple des salaires. Elle a déposé des réclamations collectives. Et c'est amusant, le 29 juin 2020, le Comité européen des droits sociaux reconnaît les violations dans quatorze pays

    Nous pouvons donc affirmer avec vous que ce "14 juillet est un peu particulier" il confirme le non respect de l'égalité et donc des droits humains... Et encore, j'ai décidé de ne m'arrêter que sur ce passage... Mais il y a fort à dire sur celui des discriminations.... N'oublions pas "tout langage est écart de langage" (S. Beckett).

     

  • Du China bashing médiatique à la guerre qui s'annonce

    Dans le contexte où nous nous trouvons, il est urgent de démêler les discours, de ne pas croire tout ce que nous entendons. J'ai donc passé ma première semaine à lire la presse, à "écouter" le récit médiatique français. Il est urgent de penser à la collaboration et non au bashing.... Donc je vous invite à découvrir l'intégralité de cette analyse en cliquant ici !

     

    Voici l'introduction....

    "Nous sommes le 18 mars 2020. Nous sommes à Paris. C’est officiellement le deuxième jour de confinement. Peu de promeneurs dans les rues, des magasins dévalisés, des files d’attente organisées avec des espaces d’un mètre entre les personnes. Des visages masqués. Des corps un peu perdus. Des lieux de vie fermés. Adieu les terrasses parisiennes, les parcs et jardins. Paris laisse place aux doux chants des oiseaux. Il y a comme un air de printemps. Un printemps qui semble si lointain. Un printemps qui n’aura pas lieu à Paris. Un printemps saccagé. Depuis la Chine, les messages d’amitié et de conseils affluent. La Chine qui sort progressivement de son confinement, en confiance. Quel magnifique mouvement de balancier. La Chine montrée du doigt dans les médias français en janvier dernier, devient le premier pays à se sortir d’une situation extrêmement complexe.
    Par la fenêtre de mon bureau, un étrange silence peu habituel s’empare de la capitale française. C’est le moment idéal pour interroger, questionner les semaines passées et débuter un travail de résilience par l’écriture. Il m’aura fallu du temps pour intervenir sur ce sujet de préoccupation majeure. Mais ce temps était nécessaire à la mise au point, à la prise de recul, à la mise à distance des messages informationnels contradictoires. Nous vivons une époque de sur-informations qui coïncident également avec une sous-information. D’un côté nous recevons trop d’informations (éparpillant notre attention) et de l’autre nous sommes sous-informés car noyer par l’infoébéisté. Nous avons tous, du mal à chercher les sources d’informations correctes.
    Dans ce contexte, j’ai décidé de remonter le temps et de partir de la deuxième allocution présidentielle de Emmanuel Macron (du lundi 16 mars 2020). Dans son discours, il emploie six fois l’expression « nous sommes en guerre »"

     

    Du China bashing médiatique à la guerre qui s'annonce