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Rebelle - Page 27

  • Internet : la nouvelle zone de guerre

    Je vais ici, à nouveau, reprendre un de mes articles publiés par Jacques Flament, dans son magazine l'Impératif n°4. Pourquoi ? Simplement afin de poursuivre la tâche qui est la mienne : la transmission. Transmettre c'est aussi donner de l'accès à de l'information. Nous vivons dans un monde complexe où les nouvelles générations doivent trouver des outils pour avancer, pour créer leurs utopies. Ce n'est pas "Google" qui va leur proposer cet accès... Mais nous pouvons jouer des algorithmes en ce sens.

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    Nous allons commencer par le plus simple : résumer sans doute la fin de ce qui aura été une très belle expérience. Collaborer à L'Impératif. Pourquoi ? D'abord parce qu'il s'agit de la démonstration flagrante de la fin de l'indépendance des médias. Mais pourquoi les médias devraient-ils être indépendants ? La réponse lapidaire, la plus simple, serait de vous dire parce que cela nous rendrait tous plus intelligents. Nous serions obligés de sortir des opinions préfabriquées et de la dictature du commentaire, ou de la petite phrase, du coup de gueule, etc. Enfin, vous avez raison, il est toujours plus facile de dormir.

    Reprenons donc.

    Jacques Flament, un matin, m’appelle et me dit : « Je vais faire une folie, mais ce serait bien, tu vois, un magazine culturel différent. » Ma réponse est que c’est, en effet, une pure folie mais que cela vaut le combat. Il a retroussé ses manches, travaillé double. Et L’Impératif est né. Rien que le titre. L’Impératif comme une volonté de dire au monde : « Réveillez-vous ! » Tout s’effondre et vos yeux rivés sur vos écrans vous ne voyez donc rien. Mais que se passe-t-il ? Et dans le fond, se passe-t-il quelque chose ?

    C’est cela que pointe Jacques Flament, il ne se passe rien et pourtant le monde grouille d’initiatives géniales, d’auteurs qui ont de  l’audace, etc. Et finalement, quand on a cherché à Paris, dans les kiosques indiqués, où était disposé le magazine, nous n’avions que nos yeux pour pleurer. Qui sous une étagère ? Qui derrière au fond en bas ? Invisible du regard.

    « Normal » m’a répondu un kiosquier. « Vendre ce truc, ça nous rapporte rien ! »… Là il faudrait vous expliquer le circuit de distribution, où comment si vous vendez tant de magazine du Point, de L’Express ou autre, vous aurez le droit à des compensations particulières (croisière, scooter, etc.). C’est sûr  qu’un éditeur indépendant ne peut pas rivaliser surtout quand il s’endette déjà à créer son magazine.

    Alors avec les feuilles d’automne, cette année, on ramasse la culture, on la met à la poubelle. Elle finira recyclée en assiettes en carton. Ainsi, elle peut retrouver la grande distribution et se fondre dans la masse.

    Jacques Flament c’est sans doute le dernier amoureux de la grande culture. Celle des idées, des débats, des livres, des auteurs, des réflexions. Chez lui, il y a comme une volonté de revenir à un Proust où l'envie folle de donner sa chance à des auteurs qui ont le courage d’affronter le monde avec leurs plumes, leurs mots, loin des habitudes de pensée.

    Loin du prémâché culturel que l'on nous donne.  Cette soupe indigeste que l’on nous sert chaque jour. Oui, la fin de l'Impératif sonne comme la fin ultime de la grande culture, celle où l'on sait donner sa chance à un argument bien mené. Où les heures passent à essayer d'interroger le sens des choses et du monde. Ce que nous appelons culture, aujourd’hui, n'est qu'un vaste déversoir d'influences, pour garder active la grande passion humaine : l'ignorance. C’est Lacan qui avait pointé cela : l’ignorance n’est pas passive. Elle est action. Et ici, nous dirons  qu’elle est un mimétisme passionné.

    Ce mimétisme est l’une des clefs dans la compréhension du fonctionnement d’Internet. N’oublions pas notre ami Norbert Wiener qui a créé l’outil de contrôle et de pilotage : la cybernétique. N’oubliez jamais qu’il écrit noir sur blanc dans son essai éponyme que c’est cela le modèle démocratique d’avenir : les êtres pilotés.

    Alors, oui, je n’écris pas pour plaire, pour satisfaire un segment du marché comme disent les responsables marketing. Je les entends par dessus mon épaule : « Nous devons targeter les moins de 50 ans ». Targeter, un bel anglicisme, vous ne trouvez pas ? C’est quoi une target, en bon anglais ? C’est une cible, en effet. Mais c’est aussi une trajectoire. Et c’est ce chemin qui fait que la target reçoit sur sa petite tête un missile. Car c’est avant tout un terme militaire. Et oui, c’est formidable la langue, vous ne trouvez pas ? On fait passer des idées, en détournant le sens des mots. Enfin en bon français, je pourrais parler de cible. Êtes-vous ma cible ? Vous qui me lisez ? Non ? A priori, je ne sais pas. Ce qui m’intéresse, c’est que nous puissions échanger, se comprendre, discuter à partir de ce que j’écris.

    Vous voyez comment le sujet arrive, si nous sommes tous les targets de quelqu’un, d’une  entreprise, d’une marque, d’une institution, c’est bien qu’Internet est une ZONE DE GUERRE depuis fort longtemps. Non, je ne dis pas que vous allez recevoir via un drone un message lâché de l’espace pour atteindre votre système nerveux central et donc obtenir, en retour, une action de votre part : un achat, un like, un vote… Pas besoin de drones, nous avons nos réseaux, nos boîtes de courriels, nos chats, etc.

    Au départ, l’Internet n’était pas encore le Web (le World Wilde Web). Il n’était qu’une vaste plaisanterie née de l’esprit de hackers. Mais très vite, la finance a vu le marché potentiel. Pour que le tout devienne marché marchand, il fallait le virus de la mondialisation : le www. Le World Wilde Web, littéralement la « toile (d’araignée) mondiale ». Mais qu’y avait-il donc à tisser dans cette toile ? Notre passion pour l’ignorance. Elle allait devenir universelle et même fondamentale. À cet instant précis qu'Internet est devenu une zone de guerre, non aujourd'hui.

    INTERNET, ZONE DE GUERRE(S)

    Si vous cherchez via Google, vous aurez un mal considérable à définir et à faire le lien entre ce qu’est une zone de guerre et Internet. J’ajoute même que c’est impossible tant les liens de réponse renvoient vers tout et n’importe quoi.

    De façon basique, nous savons ce qu’est une zone de guerre, c’est un espace délimité, plus ou moins clos, dans lequel se déroule une guerre. Mais alors comment Internet, qui est si vaste, peut-il être une zone de guerre ? Une guerre cela tue, il y a des monstruosités, etc. Vous savez les vendeurs d’armes, de femmes, d’enfant ou encore de parties du corps humain, etc. sont sur Internet. Ils ne sont pas immédiatement visibles, je le concède. En revanche, ce que nous voyons fleurir ce sont les vidéos de décapitations, de viols, de cérémonies étranges, de rituels immondes, etc. Sommes-nous tous anesthésiés ? Aujourd’hui, n’importe qui, même un enfant de quatre ans peut accéder à des contenus insensés (voir des morts, des bombes, des personnes en feu, etc.). Internet est devenu le lieu de tous les lieux, de tous les trafics, de tous les algorithmes. C’est une  zone de guerre à part entière. Et cela à plusieurs niveaux :

    • au travers des jeux (qui sont, rappelons-le, devenus le lieu de recrutement tant pour l’armée que pour les terroristes) ;

    • au travers de la conquête de l’opinion publique ;

    • au travers évidemment des trafics qui existent tant sur le net pratiqué par le grand public que sur la partie cachée (ou dark web).

    À rang égal, pour moi, la guérilla marketing et la guérilla terroriste. Chacun sa vision de la liberté. Au bout du compte, l’internaute n’est plus libre de dresser son propre chemin de recherche, de compréhension. Tout est calibré pour qu’il clique à l’endroit voulu, qu’il comprenne l’information dans un sens plutôt que dans un autre. Si vous croyez encore au hasard des élections, vous êtes bien naïfs. Sur Internet tout est prédictible et ce sans  marge d’erreur. N’oubliez jamais cette phrase de Marguerite Duras : « Même la guerre est quotidienne. » Et aujourd’hui, nous pourrions ajouter, elle est chez nous, mais nous refusons de la voir, nous restons penchés sur nos Smartphones à attendre le nouveau mot d’ordre : celui qui désignera un ennemi public numéro un.

    TERRORISME & IMPLANTATION DE LA E-DIPLOMATIE

    Selon Gabriel Weimann, professeur à l'Université de Haïfa en Israël, en 2015, « 90 % de l'activité terroriste sur le Net passe par les réseaux sociaux ». Une autre étude qui donne  le vertige : celle de l’Institut (américain) Brookings. On peut y lire que la même année, on dénombre 46 000 comptes Twitter soutenant ouvertement l'État islamique. Et face à cela que faisons-nous ? Qu’est-il possible de faire ? Où placer le curseur de la vie privée ? L’application qui pose ouvertement ces questions, c’est l’application Telegram (telegram.org). Adorée par les hommes politiques, autant que par les terroristes. Son usage répété suscite autant la peur que l’engouement. Nous nageons en plein paradoxe.

    Clairement, Telegram ne souhaite pas collaborer avec les autorités étatiques. Pavel Durov l’un de ses fondateurs prône la liberté totale de communiquer. Échanger sur Telegram, c’est aussi privé qu’une conversation entre amis. L’argument marketing est ensuite celui d’une  application totalement sécurisée (grâce au chiffrement des messages). En septembre 2015, il affirme : « Je pense que notre droit à la vie privée est plus important que notre crainte que des choses mauvaises arrivent, comme le terrorisme. » Il ajoute : « Au final, l’État islamique trouvera toujours un moyen de communiquer. Et si un moyen de communication se révèle insuffisamment sécurisé pour eux, ils en trouveront un autre. Je ne pense pas que nous devrions nous sentir coupables.»

    Sans doute, de tels arguments sont-ils audibles. Mais un autre semble plus simple : l’impossibilité matérielle des équipes à tout contrôler. Mais l’acharnement contre Telegram est intéressant, car il masque en fait la volonté hégémonique de Google.

    En effet, en 2015, le directeur de Google Ideas lance des idées pour éradiquer le terrorisme. Il lance une surveillance accrue, une détection des mouvements via des algorithmes  nouveaux… Google à pas feutrés devient l’incontournable  de la diplomatie. Entre-temps, la société a changé de nom, elle s’appelle Jigsaw. Sous couvert d’être un incubateur de technologies, Jigsaw se consacre à la compréhension des défis mondiaux et à l'application de solutions technologiques.

    Par défis mondiaux, il faut entendre : la lutte contre l'extrémisme, la censure en ligne et les cyberattaques, la protection de l'accès à l’information. Jared Cohen, qui était auparavant à la direction du Comité de planification des politiques du Département d'État des États-Unis, est le fondateur et président de Jigsaw et a été fondateur et directeur de Google Ideas. Drôle de coïncidence, non ?

    Continuons le storytelling de cette société : Jigsaw construit des produits pour soutenir la libre expression et l'accès à l'information pour les personnes qui en ont le plus besoin – ceux qui font face à la violence et au harcèlement.

    Alors en pratique, sur le terrain, cela donne quelque chose comme les révolutions de couleurs ou les  printemps arabes. En donnant accès à certains et en privant d’autres d’Internet… Et sur Internet, Jigsaw a mis en place une sorte de redirection fondée sur des requêtes que les djihadistes font. Cette technique s’appelle Redirect Method s'appuie sur l'algorithme générant résultats de recherche et bannières publicitaires. Le programme identifie les recherches utilisant le champ lexical typique des sympathisants de Daech. Il propose en priorité des liens attractifs menant à des vidéos Youtube contredisant la propagande de l'EI.

    Selon, le magazine Wired, 1 700 mots-clés ou phrases, comme "fatwa pour le djihad en Syrie", ont été identifiés. Les liens générés par de telles recherches renvoient, entre autres, à des vidéos de témoignages d'anciens extrémistes ou des discours d'imams dénonçant le dévoiement de l'islam par l'EI, en arabe ou en anglais. Des vidéos disponibles avant le lancement de cette opération que Jigsaw a choisi de valoriser.

    Nous assistons à la première guerre sur Internet. Car pour la première fois de notre histoire, une organisation terroriste dispose à la fois d’un territoire physique et digital. Jared Cohen (dans un article de la revue Foreign Affairs) compare la structure terroriste à celle d’une grande entreprise. À sa tête : une direction générale très éduquée, installée en Irak et en en Syrie. Cette direction définit la stratégie idéologique et la répercute sur des managers qui font en sorte de l’exécuter et la diffuser (sur les réseaux qu’ils soient physiques ou numériques).

    Enfin, je ne peux pas vous laisser sur cette dernière information sans vous faire la démonstration du prisme perceptif dans lequel nous baignons. Internet est une zone de guerre et comme dans toute zone de guerre, il y a des bons et des méchants. Donc, en fonction de notre zone culturelle, nous avons des ennemis. Ceux-ci nous sont présentés de façon plus ou moins directe. Sans nous en apercevoir, notre opinion est dictée.

    INTERNET & L’OPINION MANIPULÉE /MANIPULABLE

    Le 2 novembre dernier, les médias français ont lancé une bombe aux yeux des citoyens : « La Chine va noter ses concitoyens à partir de leurs données numériques. » Fini l'espoir de liberté dans ce grand pays qui fait si peur. Les citoyens sont espionnés, notés...

    Sur le France 2/France Info, on peut lire et entendre : « Ce n'est pas vraiment un vent de liberté qui souffle sur la Chine. Le parti communiste et son Président ont décidé qu'en 2020, tous les citoyens pourraient être notés sur la base de leurs données personnelles et professionnelles : c'est le crédit social. Ce système de notation à l'échelle de tout un pays pourrait ressembler à certains règlements d'évaluation de la population déjà mis en place dans certaines villes. »

    Reprenons car, même en bon français, ces trois phrases ne veulent rien dire. Et pourtant l'information passe : « La Chine va noter ses concitoyens. » Alors, reprenons la première phrase : « Ce n'est pas vraiment un vent de liberté qui souffle sur la Chine. » Qu'est-ce que ce début de paragraphe ? Ne serait-ce pas une litote ? Vous savez cette figure de rhétorique et d'atténuation qui consiste à dire moins pour laisser entendre davantage.

    En d'autres termes, nous lisons : « La Chine met fin à la liberté. »

    Et ce n'est que le début. « Le parti communiste et son Président ont décidé qu'en 2020, tous les citoyens pourraient être notés sur la base de leurs données personnelles et professionnelles : c'est le crédit  social. »

    Notons qu'ici, la phrase débute avec l'ordre du pouvoir, soit l'autorité. Puis la phrase continue sur une échelle de temps. Donc, rassurez-vous la fin des libertés est officiellement datée pour 2020.

    Il s'ensuit un conditionnel qui passe comme inaperçu : « Tous les citoyens pourraient être notés… » Alors ils vont l'être ou pas ? Ensuite, il y a plus grave :  "…sur la base de leurs données personnelles et professionnelles : c'est le crédit social. "

    Alors en gros, si je comprends bien cette tournure de phrase, le crédit social se définit comme une notation sur la base de données personnelles et professionnelles.

    Mais là, je ne comprends pas du tout. Je suis même perdue... Car il me semble que le crédit social se définit, avant tout, comme une idéologie économique et un mouvement social qui est apparu au début des années 1920.

    À l'origine, c'était une théorie économique développée par l'ingénieur écossais Clifford Hugh Douglas. Chaque citoyen reçoit chaque année un total de monnaie créée proportionnelle à la croissance des biens et services, et inversement proportionnelle  au nombre de citoyens de la zone monétaire.

    Le nom crédit social dérive de son désir de faire que le but du système monétaire (crédit) soit l'amélioration de la société (social). Le crédit social est aussi appelé dividende universel, dividende social ou, de façon sans doute plus adaptée, dividende monétaire. Alors soudain, je me souviens que cette information est déjà parue en 2015 sous une autre forme (voir le site de TV5). Elle portait la même accusation mais cette fois vis-à-vis de l'entreprise Sesame Credit qui s'occupe de financement et de notation de crédit. Bien que l'article soit une critique de l'organisation chinoise, il faut remarquer qu'il y a une phrase sur laquelle, il serait intéressant de s'arrêter : "Ces systèmes dits de score credit (évaluation des capacités d'emprunt) existent ailleurs dans le monde, de façon importante aux États-Unis par exemple, et permettent aux organismes prêteurs de vérifier la confiance pouvant être accordée à un emprunteur en fonction de ses  dépenses, de ses remboursements, de ses comportements financiers… »

    Bref, tout le monde fait pareil ! Si je vais demander un prêt à ma banque, elle va évidemment me dire la même chose, elle va regarder ma capacité de remboursement et me donner une réponse en fonction. S'agirait-il dès lors d'un marronnier éditorial en France ? Sans aucun doute... Mais il est surtout important d'observer d'où cela vient.

    Grâce à un ami traducteur, nous avons recherché. Et il a trouvé. Car en Chine tout est mentionné clairement. Donc dans un document établi par le gouvernement chinois et intitulé Plan sur l’édification du système du crédit social 2014-2020on trouve le paragraphe suivant :

    互联网应用及服务领域信用建设。大力推进网络诚信建设,培育依法办网、诚信用网理念,逐步落实网络实名制,完善 网络信用建设的法律保障,大力推进网络信用监管机制建设 。建立网络信用评价体系,对互联网企业的服务经营行为、上网人员的网上行为进行信用评估,记录信用等级。建立涵 盖互联网企业、上网个人的网络信用档案,积极推进建立网 络信用信息与社会其他领域相关信用信息的交换共享机制,大力推动网络信用信息在社会各领域推广应用。建立网络信 用黑名单制度,将实施网络欺诈、造谣传谣、侵害他人合法 权益等严重网络失信行为的企业、个人列入黑名单,对列入 黑名单的主体采取网上行为限制、行业禁入等措施,通报相 关部门并进行公开曝光。

    Cela signifie que des entreprises du Web (comme celle évoquée par TV5 en 2015) ont mis en place leurs systèmes d’évaluation de la possibilité de crédit de leurs usagers. Une note de confiance est attribuée aux usagers. Cela garantit leurs services financiers, comme les prêts à accorder. Mais il y a un gap entre ces entreprises et l'État. Quand on indique, en France, qu'il s'agit de la fin de la liberté, ne ferions-nous pas mieux de connaître nos lois internes ?

    Aurions-nous la mémoire courte ? Le 24 décembre 2015, le gouvernement a publié le décret d'application du très contesté article 20 de la loi de programmation militaire (LPM). Ce texte prévoit un accès très vaste des services de l'État aux télécommunications  (téléphone, SMS, Internet, etc.) des Français, et à toutes les informations qui transitent par les réseaux nationaux. Cette mesure de surveillance avait été nommée accès administratif aux données de connexion, et avait été votée fin 2013. Elle est donc entrée en vigueur le 1er janvier 2015.

    Alors ne devrions-nous pas plutôt aider les éditorialistes français à recentrer leur regard ? Ainsi nous éviterions de créer un prisme perceptif dans lequel la Chine est un ennemi... Nous pourrions aussi comprendre que la société de contrôle (née de la plume de William S.  Burroughs) est avant tout occidentale, puisqu'elle naît avec l'affaiblissement des institutions disciplinaires...

     

    "Déguiser sous des mots bien choisis

    les théories les plus absurdes

    suffit souvent à les faire accepter."

    GUSTAVE LE BONAphorismes du temps présent

     

     

  • La discorde

    La Discorde pleure en ce jour de mars, la jeunesse traînée par delà les trottoirs hésite à se satisfaire de ce Koh-Lanta moderne. "Quoi de l'art contemporain ?" "Quoi un musée ?" Non je plaisante, cette jeunesse a de l'énergie, des nouveaux modes de langage, des idées rapides. La jeunesse fuse et cherche ses nouveaux rêves. Existe-t-il un lieu où elle pourrait les affirmer ? 

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    La Discorde semble le thème idéal à interroger. Cependant c'est la "relation" qui est en question dans ce "workshop images" du jour. 

    La Discorde, au Palais de Tokyo, rencontre la fille de nuit. C'est une belle relation. Le jour serait-il en désaccord avec la nuit ? La fille de nuit s'envole comme la chouette de Hegel.  Au total, sept artistes proposent leurs visions du monde : Neïl Beloufa, le duo Kader Attia et Jean-Jacques Lebel, Georges Henry Longly, Massinissa Selmani, Marianne Mispelaëre et Anita Molinero.

    La discorde c'est le désaccord, comment ces artistes ont-ils montré leurs désaccords avec notre époque ? Drôle de dialogue entre le présent et un futur incertain. Faut-il tout laisser fuir ? Et ces mots de Voltaire qui reviennent sans cesse "la discorde est le plus grand mal du genre humain, et la tolérance en est le seul remède".

    Tout commence ici, dans le hall. L’œuvre in-situ d’Anita Molinero, déployée dans les airs, se compose d’une grande sculpture en polystyrène brûlé, voire fondu, « sorte de planète fossilisée ou de vaisseau spatiale à la technologie incertaine » autour de laquelle tournoient tel des satellites des carénages de moto fondus. Et si le décor avait fondu, que resterait-il ? 

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    Après il faut se faufiler au choix, dans les salles en haut ou celles du bas. Je choisis le bas... Descendre est un acte important du corps humain. Nous partons à la découverte de Daimyōs , le corps analogue – George Henry Longly. 

    Le Palais de Tokyo, en partenariat avec le Musée des Arts Asiatiques Guimet, présente une exposition autour des œuvres de l’artiste George Henry Longly, la première personnelle dans un musée en France. 

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    Conçue comme « une expérience troublante et mouvante », celle-ci met en son centre une collection d’armures japonaises et joue sur la lumière pour modifier nos perceptions. Nos défaisons à loisir les maillons des chaînes qui nous enferment. Les sons sont des volutes d'espace. 

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    "Ce qui coule n’a pas de fin" de Massinissa Selmani

    Le lauréat 2016 du prix Sam pour l’art contemporain présente un travail troublant d’expérimentation autour du dessin, « mêlant une approche documentaire à des constructions fictionnelles ». Son point de départ ? « L’histoire commune entre l’Algérie, la Nouvelle-Calédonie et la France » à travers les voyages de Louise Michel, déportée sur l’archipel après la Commune de Paris. Une manière élégante de raconter l’histoire politique et sociale de cette époque. Un dessin en mouvement, des carnets avec des calques de perspectives. Que regardons-nous ? Le présent, le passé, le futur de la discorde ?

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    "on vit qu'il n'y avait plus rien à voir" de Marianne Mispelaëre rend visible l'invisible. renverse notre regard et ses habitudes. Et si un monde s'écrivait avec les nuages ? L’artiste s’est penchée pour cette exposition sur les « monuments fantômes qui peuplent, par leur absence, le paysage ». Sa thématique de prédilection ? « Le rôle du lisible et de l’invisible dans nos sociétés ».

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    L’un et l’autre – Kader Attia et Jean-Jacques Lebel dérangent. Ils jettent le trouble. 

    L’exposition proposée par les deux artistes s’est construite sur un long échange et s’intéresse à « la passion commune de Kader Attia et Jean-Jacques Lebel pour de nombreux objets collectés à travers le monde ». Des objets « sacrés ou profanes » en provenance de différentes cultures, mais toujours en lien avec la thématique de la guerre.

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    Un peu plus loin une étrange respiration se dessine. Elle opère à partir de l'installation de Daiga Grantina. Les flux circulent dans ce corps hybride étrange de toute odeur, juste des matières molles qui se jouent des espaces ou des liquides.

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    Il faut prendre le temps de la poésie avant de regagner l'étage et de vivre les émotions violentes de notre époque dans la partie intitulée "l’ennemi de mon ennemi" de Neïl Beloufa. 

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    L’exposition proposée par l’artiste franco-algérien interroge sur « les représentations du pouvoir et la place ambiguë de l’artiste dans la multiplicité des discours contemporains ». 

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    Un rassemblement d’objets, de documents, d’artefacts ou encore d’images qui se veut représentatif de la manière chaotique dont s’écrit l’histoire à l’ère de la mondialisation. C'est une sorte d'agonie. Allons-nous tous devenir amnésiques de nos données numériques, de nos contradictions en images sur les réseaux sociaux ?

    Questionner les images semblent la seule recommandation viable dans un monde surchargé, bombardé d'images sans sens, en tous sens, partagées, repartagées... Hygiène mentale d'urgence. 

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    Face à ce tourbillon, cette ivresse, cette perte de sens, cette surcharge émotionnelle, tournons-nous vers les fragments de Héraclite : "ce qui est taillé en sens contraire s'assemble ; de ce qui diffère naît la plus belle harmonie, et c'est la discorde qui produit toutes les choses".  

     

     

     

  • Qui contrôle nos cerveaux ?

    Pourquoi changeons-nous de voiture, de destination, de médecins, d’amants, etc. ?Sans doute pour des raisons qui nous semblent nous appartenir, puisque notre comportement nous semble parfaitement imprévisible. Pourtant d’autres l’ont pensé pour vous. Non, je vous rassure, il ne s’agit pas d’un complot ! Il s’agit juste de principe de circularité et de tautisme. Partout des choix s’offrent à nous, cette multitude loin de nous proposer une liberté nous enferme, nous contraint. C’est ce que l’on nomme le paradoxe du choix. Plus il y a d’offres, moins nous sommes libres de choisir. Plus il y a d’informations, plus nous sommes passifs.Comment sortir de ce système ?
     

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    La France debout, assise ou en marche… Tout cela ne signifie rien d’autre qu’un immobilisme cérébral profond. Nous pourrions saluer le fait qu’il s’agit d’une tentative, d’un début de quelque chose. Comme tout début cela n’a pas de forme ou plus exactement c’est informe.

    Et si je vous dis que ceci n’est rien ? En fait j’ajouterai même qu’il s’agit d’un simple prisme médiatique pour donner à penser autre chose que le “ça va mieux” d’un Président en exercice qui ne sait pas où est sa place.

    Déjà je vous vois moins rieurs, moins enjoués après ces quelques lignes. Vous soulignerez certainement “mais pourtant des intellectuels reconnus y sont allé”. Ils ont mis des mots, donné un regard sur la situation. Mais revenons aux premiers jours de cette place, d’abord il y a l’association Droit au logement, puis quelques personnes avec des associations du type “Paris à 30 kilomètre heure”, des anti-téléphones portables et Momo le vendeur de brochettes.

    La place de la République dessine des histoires, des trajectoires. Chacun est dans son coin, et puis certains tentent de faire du lien, évidemment les choses débutent ainsi… Et puis la la faune de la Place de la République fera le reste. J’y suis allé plusieurs fois, en passant pour tenter de distribuer le questionnaire de la Forêt des âmes de Julien Friedler. C’est amusant ce questionnaire, six questions, six mises en danger. Personne ne s’y intéresse, quelques regards étranges, quelques bousculades. Or ce questionnaire a la force du témoignage, du regard sur les choses, il est libre à chacun ses réponses. Il est un indice pas seulement au niveau individuel, il témoigne aussi de l’esprit, des mentalités d’une époque.

     

    Mais reprenons, à qui appartient la Place de la République ? C’est un symbole fort. Une place, une république. Cette année cette Place a repris ses droits dans le jeu politique. Elle est le lieu des résistances citoyennes (après les attentats de Charlie Hebdo) et de la démonstration politique. Le symbole serait donc aujourd’hui récupéré par la population qui souhaite laver son linge sale en public. Et c’est là que c’est intéressant, chacun est invité (en cinq minutes) à prendre la parole, à dire ce qu’il a sur le coeur, à crier sa colère… Plusieurs fois, je me suis demandée mais à quoi au juste assistons-nous ? à un défouloir collectif ?

    Ici il n’y a de rêve que les slogans. Les frustrations sont trop fortes, les idéologies étroites pour que cela fasse sens. A l’heure où j’écris cet article, un compte Facebook, un Twitter et j’imagine Instagram et autre ont été mis en place. C’est intéressant pour un groupe soit disant sans leader, sans forme…

     

    Et puis je me suis souvenu des premiers jours, la nuit du 31 mars. C’est la première nuit debout qui répond à l’injonction syndicale de “convergence des luttes”... C’est bien, bien dit si je devais croiser le communiquant qui a pensé cela, je lui dirai bravo, bel réutilisation des principes de Psychologie des foules de notre ami Gustave Le Bon.

     

    Toujours se demander : “à quoi assistons-nous ?”

    Nous pourrions ici évoquer l’affaire des Panama Papers. Le 17 avril dernier, La Commission internationale des journalistes d’investigation (ICIJ) qui a rendu public le scandale des Panama Papers a publié un clip dénonçant les conséquences sociales des sociétés pratiquant l’évasion fiscale. Prostitution d’orphelins mineurs en Russie, approvisionnement en carburant occulte de l’aviation syrienne, soustraction au fisc d’un pays ravagé par la pauvreté.

    Dans ce film, réalisée avec le Centre Pulitzer, nous pouvons y voir le cas d’une des sociétés clientes du cabinet d’avocats Mossack Fonseca (qui organise des centaines de sociétés-écrans et a déjà été impliquée dans le grave scandale d’État brésilien Petrobras), une compagnie pétrolière en Ouganda. Pour éviter de payer 400 millions de dollars d’impôts, le pétrolier a mandaté Fonseca pour réaliser une simple formalité : déplacer l’adresse de la société d’un paradis fiscal à un autre. “Dans un pays où une personne sur trois vit avec moins d’1,25 dollar par jour, 400 millions de dollars représentent plus que le budget annuel pour la santé”.

    Je passe également sur la traite humaine et tant d’autres choses… A vous de décider si vous choisissez de le voir ou pas.

     

    Nous sommes forcément d’accord avec ces dénonciations, avec cette enquête et pourtant quelque chose me choque. Quid des Etats-Unis ? Pas une compagnie citée, pas un financement révélé, et Washington qui reconnaît, à demi-mot, avoir payé une partie de l’enquête. Où est donc l’indépendance de la presse ? La liberté de ton, la prise de risque ? De façon positive, nous pouvons dire que cette affaire est intéressante car elle révèle la  face cachée d’une mondialisation de connivence ou les amis d’amis ont toujours un besoin à réaliser. Les Panama Papers soulignent surtout l’amoralité des institutions du capital. Nous sommes tous au coeur de cette problématique, une fois que nous avons confirmé ce sentiment de colère qui nous ronge. Nous sommes en première ligne des mesures d’austérité pendant que ceux qui les ordonnent, font fructifier leurs dividendes.

     

    A nouveau, demandons-nous à quoi assistons-nous ?

    En allant au bout de cette question, nous allons devoir lever le voile de l’illusion, nous allons devoir sortir du déni. Ce  déni dont je parle si souvent, je vais ici tenter de le matérialiser. Comment procéder ? C’est assez simple, ma méthodologie est toujours la même :

    1/ s’arrêter, respirer profondément par le nez

    2/ désigner un point dans le futur, à un horizon de dix ans (ce n’est ni trop près, ni trop loin)

    3/ commencer à regarder ce point et à vous retourner progressivement pour voir le chemin à parcourir pour l’atteindre.

    4/ en regardant le chemin, prolongez votre regard jusqu’à comprendre les évènements du passé (regardez l’histoire en face, en ne prenant par exemple que les inventions techniques, ajoutez ensuite les éléments financiers...)

     

    Maintenant que la méthodologie est posée, concentrons-nous deux secondes sur cette étrange notion de déni. Le déni consiste à voir une situation mais à faire comme si elle n’existait pas. Plusieurs raisons à cela : la panique, le doute, la culpabilité, l’absence d’énergie, ou juste pas l’envie…

     

    La fin de l’esprit critique

    Le fil du déni est intéressant. Il nous fait être, exister au milieu des uns et des autres sans nous voir, nos journées sont formatées autour de mots d’ordre, d’injonctions. elles sont là, elles nous cueillent dès le réveil.

    Nos injonctions sont celles issues des slogans publicitaires “What else ?”, “Venez comme vous êtes”, “sème le désordre”, “j’optimisme”, “savoure l’instant”, “je suis au courant, je suis sur BFM”... Même l’armée s’y met “j’ai soif d’aventure pour ceux qui ont faim de liberté”... Notre journée pourrait se résumer ainsi :

    • 7h au réveil. “Coffee is not just black” (Cf. Nascafé Docle Gusto)
    • 7h30 douche. “Cueillez votre beauté (Cf. Petit Marseillais)
    • 7h45 brossage de dents. “Un sourire ça change tout” (Cf. Signal)
    • 8h. Les transports. “Tant d’histoires à venir” (Cf. Eurostar)
    • 8h30/9h. Arrivée au bureau. Café avec vos collègues. “Melitta le secret d’un grand café” (Cf. Melitta)
    • 9h30. Vous êtes à votre bureau. “Simplifiez votre PC” (Cf. Windows)
    • 10h30/11h. Pause. “Le plaisir irrésistible” (Cf. Senso) / Si vous allez aux toilettes. “Le soin où vous ne l’attendez pas” (Cf. Le trèfle)
    • 11h15. Vous avez mal à la tête.
    • 12h30. Pause déjeuner. “Savoure l’instant” (Cf. Coca)
    • 14h. Maux d’estomac. “Vous allez sentir la différence (Cf. Gavisconell)
    • 15h30. Pause. “Haribo c’est beau la vie pour les grands et les petits”
    • 17h. Réunion. “Donnez des ailes à vos doigts” (Cf. Stabilo)
    • 19h. Sortie du bureau. “Venez vivre la magie” (Cf. Disneyland)
    • 20h. Apéro. “Open your wolrd” Heineken
    • 21h. Dîner/ rencontre. “Vous n’aimez pas vos imperfections ? Quelqu’un les aimera pour vous” (Cf. Meetic)

     

    Et cela est déclinable pour toutes les vies, tous les statuts. Rien n’échappe au regard publicitaire. Le moindre de vos désirs est dicté, souligné, pensé, conduit pour vous. Qu’est-ce que cela signifie ? Que nous n’avons plus de marge de manoeuvre ? que nos rêves sont finis ? Non. Il y a un mince espoir. Celui qui nous fait encore penser que “tout est possible” (là encore c’est un slogan).

    Nous devons regarder la situation en face, la nommer, la désigner pour comprendre que nous devons remettre de l’humain, là où les slogans uniformisent l’individu. Là où le marketing propose des slogans, nous devons repenser un supplément d’âme. Ce serait déjà déchirer le voile de l’illusion. Pas d’inquiétude derrière ce voile, il y a de belles choses et il y a surtout des choses à inventer.

    Comment en sommes-nous arrivés là ? C’est en effet la grande question. Il y a depuis le début du XX°siècle tout un travail qui consiste à établir la société de l’information. Au départ, la technologie était conçue comme un ensemble d’améliorations des conditions de vie. L’information était nécessaire pour faire du commerce, pour véhiculer des marchandises mais aussi des idées, des façons de voir, de se comporter, etc. L’esprit critique me direz-vous résiste à tout même au nucléaire… Mais une chose l’a mis en péril, cette chose s’appelle la psychologie des foules. Elle seule ne peut rien, elle est un constat, une observation nette du comportement des individus pris dans une foule. Au coeur d’une foule, ce n’est plus l’individu et ses raisons pour lesquelles il vient et nourrit de sa présence la foule. Non ce qui compte c’est le nombre, l’effet de masse. De l’observation de cet effet de masse, l’idée du progrès en a fait sa force. Pour créer une société de consommation compacte, il faut créer une ligne de masse. Cette ligne de masse a ses normes, ses formes, ses rêves, ses besoins. La société de consommation y répond, et la boucle est bouclée. Et c’est son rôle, car elle ne doit pas effrayer la masse, elle doit répondre à ses besoins (qui lui auront préalablement été suggérés).

     

    Cette société, nous la devons en partie à un homme : Edward Louis Bernays. Cet homme est le neveu d’Anna et de Sigmund Freud. A priori, il semble inoffensif quand on regarde les documentaires, on a l’impression d’un bon grand-père. Mais c’est aussi le père de la propagande. Son postulat est assez simple : il faut regarder le long terme. Dans ce futur Bernays souhaite fonder la démocratie (non sur le peuple) mais sur l’économie et le commerce dirigé par une élite. Selon lui, la masse est incapable de parvenir à un état de paix collective et de bonheur par elle-même. Cette masse a donc besoin d’une élite qui la contrôle et la dirige à son insu en ce qui concerne les décisions importantes.

     

    Donc que va-t-il faire ? C’est assez simple après avoir observer la méthode inventée par Ivy Ledbetter Lee qui peut être considéré comme le père des relations publiques. Mais revenons. Après la Première Guerre mondiale, la machine industrielle dont les capacités ont été démultipliées doit trouver des marchés afin de continuer à fonctionner (ce sera le même problème après la Seconde Guerre mondiale). Il faut donc créer des besoins car à l’époque le citoyen occidental de base consomme en fonction de besoins vitaux, et n’accorde que des exceptions à la frivolité. Il faut donc exacerber le désir de consommer et rendre les frivolité obligatoires, incontournables et intimement liées aux gains de liberté apportés par les progrès sociaux...

     

    Créer des besoins, faire rêver, cela a un doux nom aujourd’hui : le  marketing, mais c’est aussi et avant tout des Relations publiques. C’est ainsi que s’installe progressivement la société de contrôle. « Nous devons insuffler aux gens «une philosophie de la futilité» et nous assurer qu’ils sont intéressés exclusivement par les «choses superficielles de la vie, les effets de mode du consumérisme». Ils doivent satisfaire ce que l’on appelle les « besoins imaginaires » écrit Noam Chomsky

    Déjà Foucault, dans son ouvrage, Surveiller et punir, nous a montré le chemin. Nous sommes entrain de voir émerger une société de contrôle. Pas plus, pas moins. C’est un doux nom, un doux rêve de liberté, de rêves consommables.

     

    Installation de la société de contrôle

    Quand on attire l’attention sur la société de contrôle, on prend tout de suite peur. Cela provoque un arrêt de la pensée.

    Quand nous évoquons le “contrôle” de quoi parlons-nous ? Chez les philosophes comme Deleuze, Foulcault ou encore Antonio Negri, il s’agit de la société qui s’installe après celle disciplinaire. Cette expression naît chez l’écraivain William Burroughs.

    Une société de contrôle n’enlève ni le sentiment de croyances en des religions ou en la liberté. Il ne s’agit plus d’enfermer les individus ou groupes d’individus. En revanche, le contrôle des personnes s’effectue “par contrôle continu et communication instantanée”. Quand Deleuze écrit cela, il n’y a pas encore les réseaux sociaux, en revanche, il y a le début des grandes constructions des réseaux autoroutiers. Il note dans une conférence, que nous pouvons rester sur l’autoroute et faire le tour de la France, en ayant le sentiment de liberté, tout en étant parfaitement contrôlé (péage, stations essence, etc.). Aujourd’hui les points de contrôle, sont évidemment plus précis, plus présents, je devrais dire plus omniprésents (même si à nos yeux, ils semblent absents). Les cartes de fidélité sont un principe marketing très intéressant de ce point de vue. Comme le soulignent Michael Hardt et Antonio Negri « les mécanismes de maîtrise se font […] toujours plus immanents au champ social, diffusés dans le cerveau et le corps de citoyens ».

    C’est amusant la société dans laquelle nous vivons, partout nous avons des sentiments de liberté, des désirs d’achat, des réalisations donc immédiates et pourtant jamais nous n’avons autant été contrôlés. En technique marketing on parle de la main invisible, celle qui induit nos comportements d’achat, nos réactions émotionnelles face à une publicité, etc. Cela procède du contrôle selon Noam Chomsky qui écrit «garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser; de retour à la ferme avec les autres animaux».

    La distraction est un principe ancestral du contrôle. Depuis l'époque romaine et le fameux “Panum, vinum et circenses” (du pain, du vin et des jeux), la distraction permet de contenir les velléités des masses. Donner du pain et des jeux permet de calmer la population. Son attention émotionnelle est détournée. Cette stratégie évite que nous allions chercher de l’information sur des sujets techniques (comme la cybernétique, le transhumanisme, les neurobiologies, les techniques de manipulation de l’ADN, les nouvelles armes, etc.). Il serait, en effet, fâcheux que nous ayons des idées plus intéressantes à soumettre que celles proposées par nos gouvernants.

    Mais cette technique, note Noam Chomsky, va de paire avec celle qui consiste à parler à la population comme à des enfants. Sur ce point je vous laisse reprendre le fil d’un journée en slogans publicitaires ou sinon je vous renvoie à la publicité de la marque Herta pour son produit far “les knacki” où l’on voit cette toute jeune fille dire face caméra comme si elle s’adressait à nous “mais t’avais dit qu’on ferait des knacki”... Comme le note Chomsky « si on s’adresse à une personne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celle d’une personne de 12 ans ».

    Ceci est un principe évident si vous voulez séduire le grand public, il faut s’adresser à l’enfant qui sommeille en lui. La plupart des publicités destinées au grand-public utilisent un discours, des arguments, des personnages, et un ton particulièrement infantilisants, souvent proche du débilitant, comme si le spectateur était un enfant en bas-âge. Bref, en encourageant l’infantilisation, en développant la médiocrité, on détourne l’attention de la population qui ne se sent dès lors plus contrôlée. Il faudrait réaliser un article entier sur la médiocrité afin de montrer comment les médiocres ont pris le pouvoir, ou plus exactement comment à force de privilégier ce qui est moyen on créé une société qui ne peut pas fonctionner. Par encourager la médiocratie, je rappelle juste le principe de toutes les télé-réalités conçues pour distraire, et placer des produits, évidemment nous pourrions ajouter les émissions dites culturelles qui ne sont qu’un déversoir de conneries (pardon d’informations) gluantes. Ici je vous renvoie juste au livre de Alain Deneault, La Médiocratie.

     

    De la société de contrôle à la fin des états

    Si je reprends ma question initiale “à quoi assistons-nous ?” Si nous suivons ce fil, alors nous arrivons à la pure et simple disparition des états au profit des grandes sociétés de contrôle. Le procédé est assez simple et parfaitement indolore.

    Si nous prenons l’aspect financier c’est un peu moins indolore mais notez comme les états ont du mal à demander à Google, à Facebook ou Amazon de payer leurs impôts société localement…

    En revanche d’un point de vue de l’utilisateur c’est totalement “cool”. Tous ces services proposés, c’est presque illimité. Nous pouvons, à loisir, chatter, se filmer, se photographier, s’envoyer des Snap, des SMS, des e-messages, des e-tag, etc. Notre temps se disloque et comme je l’ai déjà évoqué : effacer le temps et son impact sur nos vies, telle est l’objectif le plus important du GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) - pour ne parler que d’eux.

    Au début de sa création, Google faisait sa promotion en affirmant qu’il fallait moins d’une seconde pour trouver par son intermédiaire la réponse. Si nous annulons le paramètre temps dans nos vies, alors nous sommes captifs d’un présent, si ce n’est éternel, continu.

    Impossible de sortir de cette continuité. Impossible de se projeter hors de cet espace sans bornes. Impossible de se dessiner un avenir, ou d’éprouver le besoin d’un savoir qui nous permettra de nous adapter à telle ou telle situation. Nous restons là, le regard capté par nos ordinateurs, l’esprit préoccupé par ce que nous croyons voir. Noam Chomsky parlerait ici de distraction. Pendant que nous sommes distraits par tout ce que font nos semblables, nous ne regardons pas autour de nous.

    Le temps continu est une de leur clef marketing essentielle. Faecbook, Google, Amazon, Appel en déduisent de nouveaux objets, de nouveaux outils à créer. Surtout effaçons le temps, effaçons notre vieillesse et développons la vie éternelle. Elle restera évidemment à plusieurs vitesses… Remarquez comme dans les publicités d’Apple nous sommes toujours jeunes et beaux, le temps semble suspendu. La vie devient un Art. Apple fait du monde un espace de beauté. Google pendant ce temps invente l’humain de demain en jouant sur les données génétiques qu’il récolte par sa société 23andme. Facebook est la plus grande base de données de contrôle. Facebook par nos postes réguliers, par les photographies mises est devenu le plus grand fichier de reconnaissances faciales au monde. Parfait pour la société sécuritaire que son patron souhaite mettre en place. Regardez son projet Zee town. Dans cette société pas de place aux personnes lambda. En d’autres termes, c’est aussi l’une des plus grande base de données d’exclusion au monde.

    Au quotidien, nous appliquons un principe aussi vieux que l’humanité : nous jouons avec nos outils. Nous essayons des choses, nous en transformons les usages. Cependant, pendant que nous jouons avec nos outils (que nous avons achetés), un monde se dessine. Un monde dans lequel les citoyens qu’ils soient européens ou d’ailleurs sont des usagers. En tant que tels, ils sont déchus de leurs droits. Un usager n’est pas un citoyen, c’est une quantité de données qu’il faut surveiller, entretenir dans un écho système particulier. Cet entretien de boucles de récurrence avait déjà été appréhendé par Héraclite d’Ephèse. Il avait déjà, dans sa théorie des “exhalaisons” compris les processus circulaires qui s’engendrent de manière régulée et infinie. Près de 2000 ans plus tard, Norbert Wiener a proposé la cybernétique pour piloter et gouverner les esprits. Au départ, il présentait ses recherches comme le fondement d’un « champ complet de la communication dans la machine et l’animal ». L’idée promue consistait en la construction d’une science générale du fonctionnement de l’esprit. Ainsi ont pu naître les neurosciences, comme prolongement de cette volonté de prédictibilité et de contrôle du comportement humain. En d’autres termes, demandez-vous toujours “à quoi assistons-nous ?” Quand un nouveau téléphone sort, quand un écran se réduit, quand il commence à se tordre… Regardez l’avenir et voyez comme les objets dits “smart” vont s’intégrer de plus en plus dans ce qui se nomme encore un corps. Notre corps est le lieu de toutes les expérimentations, de tous les contrôles. Doucement les états cèdent, et nous ? Que faisons-nous ? Il nous reste à rêver pour engendrer un autre monde, pour anticiper et déjouer les nouvelles avancées technologiques. Celles qui feront de votre corps une machine qui se prolongera à l’infini dans une nouvelle matière quantique. Accrochons-nous à nos rêves et mettons-y des étoiles.

    Comme le dit Paul Eluard “un rêve sans étoile, est un rêve oublié”... Evitons de nous oublier nous-mêmes. Reprenons nos droits de citoyens !   

     

    Article initialement publié dans L'impératif n°2 - Jacques Flament Éditions en 2016

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  • La Belle vie Numérique

    L'exposition la Belle vie numérique vient de s'achever. La Fondation EDF a refermé les portes sur un parcours numérique proposé par Fabrice Bousteau, rédacteur en chef de Beaux-arts Magazine. 

    Dès l'entrée un choix s'offre à vous, un parcours en rouge, un parcours en vert. Êtes-vous plutôt zéro (en rouge) ou bien un (en vert) ? Le code binaire se décompose volontiers.

    Trente artistes ont été choisis pour jalonner cette découverte et attirer l'attention sur nos perceptions. Elles sont bien abimées à force d'usages numériques. Combien de temps passez-vous sur vos smartphones ? Sentez-vous le manque féroce quand il est loin de vos pouces ? Êtes-vous sûrs de ce que vous voyez ? 

    Nous ne sommes pas ici dans une "exposition d'art numérique !". Précision très utile, en effet, il s'agit de déambuler dans un espace scénique qui offre une interrogation sur nos données. Où vont-elles ? Servent-elles encore à nous aider ou bien sont-elles de simples pilotages de nos inconscients ?  

    Nos sens sont mis à l'épreuve quel que soit le chemin parcouru. Prenons le cas de Sériès et Sériès deux architectes qui font des villes des lieux d'interrogations de notre regard. 

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    Dans les "absurdités numériques", on trouve l'artiste Aram Bartoll. Il joue sur nos perceptions également en sortant le CAPTCHA de l'espace du web pour jalonner l'exposition et nous demander si nous sommes toujours un humain. Êtes-vous sûrs d'être humain ?  Ici une autre illustration de son travail, quand on sort de Google Maps, voyons-nous le point rouge ? 

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    Marie-Julie Bourgeois, quand à elle, signe une installation poétique et troublante. Elle est "centrale", elle est le coeur de l'exposition. Tout semble palpiter autour d'elle. Des écrans diffusent en permanence des morceaux de ciels pris par des webcams en temps réel. 

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    Julien Levesque questionne l'art, le trompe l'oeil aussi. Il s'amuse avec Google Street View pour composer de nouveaux paysages à partir de quatre paysages différents. Et il est très malin car il nous montre combien nous devrions protéger notre data, car elle nous appartient...

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    Une question se pose à l'heure du numérique, sommes-nous tous des artistes ? Savons-nous encore créer ? Ce n'est pas parce que nous faisons des Selfies et que nous collons des hashtags à nos images que nous en faisons des oeuvres. 

    Et c'est bien ce que soulève l'artiste anonyme encoreunestp qui dans les rues de la capitale a habilement disposé des miroirs à selfie... ou encore des boîtes d'urgence comprenant un smartphone (aussi présentés à la Fondation EDF).

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    Que penser de Carla Gannis qui depuis les années 1990 collectionnent les images numériques, pour en suivre l'évolution tout en réalisant des oeuvres à partir de tableaux qui appartiennent à la culture savante ? 

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    Que devient le jardin des délices de Jérôme Bosh ?

    Un ensemble de jeux numériques, de superpositions d'émojis ?

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    Nous ne pouvons ici parler de toutes les installations ni de toutes les oeuvres. Cependant, nous devons finir avec celle qui pose le plus de questions. Demain serons-nous tous devenus si fainéants que nous laisserons la créativité à l'intelligence artificielle ? 

    Une intelligence rêve-t-elle ? Et est-elle capable de créer ? De ré-créer ? Pour l'instant, elle semble juste reproduire à la perfection... En êtes-vous certains ?

    C'est amusant ce projet The Next Rembrandt  surtout pour les collectionneurs. Demain un Picasso (ou autre) pourra être refait ou même simplement créé, en un temps record, par une intelligence artificielle rendant le tableau initial presque sans histoire... 

     

    Au fur et à mesure des pas foulés et refoulés dans cette exposition, de parcours en parcours en observant les degrés divers d'attention des étudiants. Combien de Snap ? Combien d'Instagram ? Combien d'interrogations abandonnées en chemin ? Je pense ici à la réaction de Doreen, fatiguée et lasse.

    Il est évident que le questionnement est difficile, car on a trop tendance à montrer le négatif du numérique. Mais si nous y mettions un peu plus d'éthique, de compréhension de notre environnement alors nous aurions de toute évidence de beaux jours devant nous. 

    C'est un peu ce que nous présente Scenocosme  des installations hybride où le végétal se marie avec le numérique. Le toucher devient une porte ouverte sur un autre monde sensoriel. Une nouvelle forme d'écoute. 

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    Il y a mille perspectives nouvelles que la nouvelle génération doit interroger... Elle doit se saisir de ces multiples possibles pour dessiner des utopies nouvelles, renverser un monde qui pour l'instant fait du numérique un monde contrôlé, enfermé où l'espace est limité. 

    En sortant de l'exposition, il pleut, les mouvements de la ville reprennent le dessus. Le nez sur les smartphones, les corps se meuvent. Certains collectionnent des bonbons, d'autres des kilomètres de jeux inter-actifs.

    Mais qui devient véritablement créateur de son univers numérique ? Heureusement quelques hackers veillent... et à nouveaux c'est à eux et aux artistes (à ces premiers résistants) que revient la lourde de tâche de faire bouger les consciences pour montrer le chemin... Sortir de la caverne est encore possible.

    Je referme cet article sur l'ironie du titre "La Belle vie numérique"... En rappelant à la nouvelle génération qui osera lire ce texte... qu'il existe une chanson intitulée la Belle Vie...