Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rebelle

  • La Louve solitaire ou l’appel des âmes indomptées

    Évelyne Lebel-Nonga, Lucie Tranchant, la louve solitaire, livre, route de la soie- éditions, littérature jeunesse, Un conte initiatique pour réapprendre à vivre selon ses convictions

    Il est des récits qui, sans bruit, viennent raviver en nous une part oubliée de l’enfance. Non pas l’enfance naïve, mais celle qui croyait encore que la fidélité à soi pouvait transformer le monde. La Louve solitaire, texte sensible et d’une rare justesse d’Évelyne Lebel-Nonga, illustré par Lucie Tranchant, s’inscrit dans cette tradition. Celle des contes qui ne trichent pas. Celle des histoires qui murmurent doucement à nos consciences adultes.

    Anya, ou le choix de la dissonance

    Anya est une jeune louve. Elle grandit dans une meute régie par l’ordre ancestral : chasser, hurler, obéir au père. Mais elle, non. Elle refuse la viande. Elle préfère les baies, les feuilles, l’eau pure. Sa différence choque, menace, dérange. Alors on la bannit.

    Dans cet exil, Anya ne cherche pas à se conformer. Elle persiste, vacille, avance. Jusqu’à rencontrer Nouriev, le loup blanc qui ne sait pas hurler. Deux êtres exclus, que le monde rejette parce qu’ils osent vivre autrement.

    Ici commence une autre narration. Celle d’un monde possible.

    Philosopher dans la tanière

    Ce qui frappe dans La Louve solitaire, c’est la simplicité apparente du récit — et pourtant chaque phrase résonne comme une méditation.

    Le refus d’Anya n’est pas une rébellion agressive. C’est une fidélité intime, une ligne invisible qu’elle ne veut pas trahir. C’est là que le conte touche à la philosophie. Il ne nous dit pas ce qu’il faut faire, mais nous rappelle qu’il y a toujours un choix, même lorsque l’ordre établi nous nie. Même lorsque ceux qui nous aiment n’osent pas nous défendre.

    Cette louve végétarienne, ce loup qui ne hurle pas, forment une famille en dehors des normes. Ils élèvent leurs enfants dans le respect du vivant, et dans la possibilité du doute. Rien n’est imposé : pas même leurs valeurs. L’éthique ici se transmet par l’exemple, non par la contrainte.

    Une utopie lucide

    Ce récit aurait pu rester une jolie fable. Il aurait pu s’arrêter à la rédemption familiale ou au triomphe de la différence. Mais non. Évelyne Lebel-Nonga choisit la voie difficile : celle de l’utopie lucide. Il y a des drames. Des chasseurs. Des meutes fanatiques. Et une rivière qui devient un territoire à défendre.

    Mais il y a surtout un espoir tenace. Celui de pouvoir revenir. Celui d’oser le pardon. Celui d’imaginer qu’un jour, nos enfants n’auront plus à choisir entre appartenance et vérité.

    Et si c’était cela, résister ?

    Ne pas hurler quand tout le monde hurle. Choisir les baies dans un monde de fauves. Croire en l’amour, en la famille, malgré l’abandon. Se bâtir une tanière de paix au bord du chaos. Et protéger, coûte que coûte, même ceux qui ne peuvent plus se défendre.

    La Louve solitaire est un texte doux et puissant. Il dit à chaque lecteur, petit ou grand : "Tu peux vivre selon ce que tu crois juste, même si cela te coûte l’exil. Tu n’es pas seul·e. Et un jour, peut-être, on reviendra t’accueillir. Différent·e, mais debout."

  • NFT : mirage spéculatif ou révolution des usages ?

    Pascal Ordonneau, NFT, Non Fungible Tokens, data, internet, numérique, virtuel, philosophie, économie,  financeÀ propos de l’ouvrage de Pascal Ordonneau, Les Non Fungible Tokens en 20 questions.

    Le monde numérique est un terrain fertile pour les espoirs de transformation… et les mirages financiers. L’essor des NFT (Non Fungible Tokens) en est une illustration frappante. Ces actifs numériques, propulsés par la blockchain, ont d’abord fait l’objet d’une euphorie aveugle, attirant collectionneurs, artistes et spéculateurs dans une course effrénée aux profits rapides. Puis, la bulle a éclaté. Le vent de la spéculation s’est retiré, révélant une réalité plus nuancée : que reste-t-il de cette technologie après l’effondrement des prix ?

    Dans Les Non Fungible Tokens en 20 questions, Pascal Ordonneau propose une lecture claire et accessible de cette innovation, au-delà des clichés. À la croisée de l’analyse économique et de la prospective technologique, il interroge ce que pourraient devenir les NFT une fois débarrassés de la « greed » (avidité) qui a caractérisé leur âge d’or.

    Un livre pour comprendre, au-delà des bulles financières

    Dès les premiers chapitres, Pascal Ordonneau dresse un constat sans complaisance : le marché des NFT a été le théâtre d’une frénésie similaire à celle des crypto-monnaies, où les prix ont atteint des sommets absurdes avant de s’effondrer, laissant derrière eux quelques faillites retentissantes. Il cite à juste titre Warren Buffet : « C'est quand la mer se retire qu'on voit ceux qui se baignent nus ».

    Mais là où d’autres s’arrêtent à la critique d’une économie du vide, l’auteur va plus loin en explorant les usages concrets qui survivent à la spéculation. NFT et art, NFT et immobilier, NFT et sport, NFT et publicité : autant de champs où cette technologie pourrait, potentiellement, apporter une réelle valeur ajoutée. Son approche est méthodique et structurée, chaque chapitre décortiquant un secteur spécifique pour en évaluer les promesses et les limites.

    Pascal Ordonneau ne prétend pas que les NFT vont révolutionner le monde, mais il montre qu’ils ne sont pas qu’un gadget financier. Ils offrent des possibilités inédites de traçabilité, de certification et de monétisation dans un monde de plus en plus numérisé. Et surtout, ils posent des questions fondamentales sur la place de la propriété et de la rareté dans l’univers digital.

    Une société construite sur les NFT : utopie ou dystopie ?

    Si les NFT permettent de garantir l’unicité et l’authenticité des objets numériques, faut-il pour autant structurer une société entière sur ce modèle ? L’auteur, bien que favorable à l’exploration des nouvelles technologies, laisse entrevoir le risque d’un monde où tout deviendrait un actif échangeable sur un marché, du moindre contenu numérique à l’identité elle-même.

    Imaginons une société où chaque interaction, chaque création, chaque expression artistique ne serait plus qu’un produit monnayable sous forme de NFT. La promesse initiale d’une décentralisation et d’une meilleure rétribution des créateurs pourrait alors se muer en une privatisation intégrale des espaces numériques. Le Web3 tant vanté deviendrait-il une dystopie ultra-capitaliste où tout aurait un prix, y compris nos interactions les plus anodines ?

    À travers cette question, Les Non Fungible Tokens en 20 questions invite à une réflexion critique sur le futur que nous voulons construire. Devons-nous laisser le numérique s’organiser autour d’une logique de rareté artificielle et de spéculation ? Ou pouvons-nous imaginer des usages des NFT qui servent réellement le bien commun, sans recréer les travers du monde financier traditionnel dans l’univers digital ?

    Une invitation à penser le numérique autrement

    En offrant une analyse équilibrée et pédagogique, Pascal Ordonneau réussit à dépasser le battage médiatique autour des NFT pour en exposer les véritables enjeux. Son ouvrage ne se contente pas de raconter l’histoire d’un emballement financier : il dresse une cartographie des opportunités et des menaces que cette technologie porte en germe.

    Finalement, la question centrale n’est pas tant « Les NFT sont-ils bons ou mauvais ? », mais plutôt « Quel usage voulons-nous en faire ? ». Si le livre ne donne pas de réponse définitive, il fournit les clés pour que chacun puisse se positionner en connaissance de cause.

    Le monde numérique n’a pas fini de se transformer, et Les Non Fungible Tokens en 20 questions nous rappelle que, derrière chaque innovation, il y a une responsabilité collective : celle de décider si nous voulons construire un écosystème ouvert et inclusif, ou un monde où tout se vend et s’achète.

    Alors, après la tempête spéculative, que retiendrons-nous des NFT ? L’espoir d’un usage éclairé, ou simplement la nostalgie d’un mirage volatil ?

    Pascal Ordonneau, NFT, économie, philosophie, data, art, numérique, monnaie, échange

  • Anamnèse ou l’art de raviver la mémoire

    Anamnèse, Perpignan, exposition, Art, sculpture, peinture, galerie de la main de fer, Paix, guerre, corps, mémoire, souvenir, gravureAnamnèse. Du grec ancien anámnêsis, ce terme désigne le retour à la mémoire du passé vécu. Il n’est pas une simple remémoration, mais une résurgence, une convocation du souvenir dans toute sa densité sensorielle et émotionnelle. C’est un processus qui, bien plus qu’un acte intellectuel, engage le corps, la chair, l’histoire et parfois même le trauma. En médecine, l’anamnèse permet de reconstituer le parcours du patient à partir de ses souvenirs, de ses douleurs et de ses silences. En philosophie, Platon l’évoque comme une réminiscence, un éveil de la vérité enfouie en nous. Mais qu’en est-il lorsque l’anamnèse devient un geste artistique, une tentative de rendre visibles les traces invisibles du passé ?

    Aristote, dans sa Métaphysique, distingue mémoire et anamnèse en soulignant que cette dernière est une démarche active : « La mémoire appartient à ceux qui perçoivent, mais l’anamnèse est propre à ceux qui raisonnent. »

    L’anamnèse ne se limite donc pas à un simple ressouvenir passif ; elle est une reconstruction, une quête de sens qui exige un effort de réinterprétation. C’est précisément ce que propose l’exposition Anamnèse à la Galerie La Main de Fer, en ranimant les vestiges d’une mémoire collective marquée par la Grande Guerre. À travers les œuvres d’Alain Fabreal, d’Émilie Dumas et de Thomas Waroquier, les spectres du passé émergent dans la matière picturale et sculpturale, questionnant notre rapport au souvenir, à l’oubli et à la représentation de l’horreur.

     

    Anamnèse, Perpignan, exposition, Art, sculpture, peinture, galerie de la main de fer, Paix, guerre, corps, mémoire, souvenir, gravureMémoire en ruines : la guerre et ses visages

    Il y a des événements dont la mémoire ne peut s’effacer sans trahir les souffrances qui les ont façonnés. La Première Guerre mondiale fut une apocalypse industrielle, une déflagration qui broya dix millions de vies et marqua à jamais l’identité de ceux qui en revinrent, physiquement mutilés ou psychiquement éteints. Comment alors témoigner de cette histoire autrement que par les chiffres ? Comment restituer, sans fétichisation ni banalisation, l’épreuve de ces soldats dont le corps et l’âme ont été marqués au fer rouge par la guerre ?

    Dans cette exposition, l’anamnèse prend la forme d’un face-à-face bouleversant avec les vestiges de cette mémoire blessée. Les gueules cassées de Fabreal, peintre officiel de l’Armée de Terre, nous plongent dans le regard d’hommes qui ne se reconnaissent plus eux-mêmes. Leurs visages, travaillés comme des paysages de guerre, sont traversés par des failles, des béances, des cicatrices qui disent la destruction et l’incommensurable effort de survie. « Je reprends l’idée du portrait, confie l’artiste, mais il faut témoigner de l’horreur avec objectivité. » Témoigner, donc. Non pas seulement montrer, mais raconter par la texture, par la lumière, par l’absence de complaisance.

    Anamnèse, Perpignan, exposition, Art, sculpture, peinture, galerie de la main de fer, Paix, guerre, corps, mémoire, souvenir, gravure

     

    L’esthétique du souvenir : entre figuration et réinvention

    Loin d’un devoir de mémoire figé, cette exposition interroge le sens même de la représentation historique. L’œuvre d’Émilie Dumas s’ancre dans une anamnèse photographique : en retrouvant et en réinterprétant les clichés du soldat-photographe Pierre Meunié, elle redonne vie aux moments suspendus de la guerre, où les combattants, dans une étrange accalmie, posent face à l’objectif. « La peinture agit comme un bain révélateur », explique-t-elle. Elle ne copie pas, elle ressuscite.

    Quant à Thomas Waroquier, il prolonge cette réflexion en sculptant la trace du trauma dans la matière. Ses visages mutilés, figés dans le bronze ou le métal, évoquent moins la destruction que la survivance. Par la puissance évocatrice des cicatrices qu’il travaille, il sublime ces gueules cassées en témoins d’une humanité fracassée mais encore debout.

    Anamnèse et présent : une mémoire en tension

    L’exposition ne se contente pas d’un regard rétrospectif. À travers l’anamnèse, elle interroge notre propre rapport au passé et à la manière dont l’art peut nous confronter à des réalités que l’ère contemporaine tend à anesthésier. Nous sommes saturés d’images de conflits, de corps martyrisés projetés sur nos écrans avec une indifférence grandissante. Cette banalisation, qui fait de l’horreur une matière consommable, s’oppose à la démarche des artistes de Anamnèse, qui cherchent à redonner aux images une puissance évocatrice, à restituer à la mémoire sa charge sensible.

    Dans ce contexte, l’anamnèse devient un acte de résistance. Résister à l’oubli, à l’uniformisation du souvenir, à l’édulcoration de la douleur historique. Loin d’un simple hommage, cette exposition est une invitation à repenser notre rapport aux traces du passé et à ce que nous en faisons aujourd’hui.

    Anamnèse n’est pas seulement une exposition commémorative ; c’est une épreuve du regard, une confrontation avec notre propre capacité – ou incapacité – à nous souvenir. Car la mémoire n’est pas un musée figé : elle est une force vivante qui, lorsqu’elle se fait art, peut encore transformer notre rapport au monde. Mais à quoi sert-il de se souvenir si ce n’est pour agir ?

    Aujourd’hui, alors que la France prône le réarmement et que les discours belliqueux prennent à nouveau le pas sur l’impératif de paix, cette exposition nous rappelle une évidence : chaque guerre est une faillite de l’humanité. Se souvenir, ce n’est pas simplement commémorer les morts d’hier, c’est refuser que d’autres subissent les mêmes atrocités demain.

    À travers ces visages mutilés, ces corps brisés, ces regards éteints, Anamnèse nous renvoie un message clair : la guerre n’est ni une aventure héroïque ni un destin inévitable. Elle est un gouffre qui dévore les individus et les nations, une machine implacable qui ne laisse derrière elle que cendres et ruines. Comme l’écrivait Kant dans son Projet de paix perpétuelle : « La paix ne saurait être instaurée ni garantie sans un contrat des peuples entre eux. Ce n’est pas une simple trêve, mais un état où l’hostilité disparaît. »

    Alors que l’on exhorte les peuples à se préparer aux conflits futurs, souvenons-nous que la seule victoire véritable est celle de la paix. Défendre la mémoire, c’est aussi refuser la fatalité de la guerre et œuvrer, avec force et lucidité, à préserver ce bien fragile et essentiel qu’est la paix.

    Anamnèse, Perpignan, exposition, Art, sculpture, peinture, galerie de la main de fer, Paix, guerre, corps, mémoire, souvenir, gravure

  • "Jacaranda" de Gaël Faye : une fresque poétique au cœur des blessures et des renaissances

    Gaël Faye, Jacaranda, Grasset, littérature, les mots, Rwanda, cicatrice, souvenirDans Jacaranda, Gaël Faye nous offre une fresque littéraire d'une rare intensité, plongeant au cœur des blessures intimes et collectives du Rwanda post-génocide. Son écriture poétique et sensible nous transporte dans un univers où les silences pèsent lourdement, et où la quête d'identité se mêle à la nécessité de mémoire.

    Le roman suit le parcours de Milan, né d'un père français et d'une mère rwandaise, qui grandit en France, éloigné des tumultes de l'histoire de sa mère. Le génocide des Tutsis de 1994, bien que distant, éveille en lui des questionnements sur ses origines. Ce n'est qu'à l'âge adulte qu'il entreprend un voyage initiatique au Rwanda, cherchant à comprendre les non-dits familiaux et les cicatrices d'un pays meurtri. Cette quête le conduit à rencontrer des personnages profondément marqués par l'histoire, chacun incarnant une facette de la résilience rwandaise.

    Faye excelle dans l'art de dépeindre les contradictions de notre monde, où la beauté des paysages rwandais contraste avec les horreurs du passé. Son style, empreint de lyrisme, capte les nuances des émotions humaines, rendant palpable la douleur des survivants et leur volonté de reconstruire. Les descriptions du jacaranda, cet arbre aux fleurs mauves, symbolisent à la fois la fragilité et la persistance de la mémoire.

    Jacaranda interroge également la notion de justice et de réconciliation. À travers les tribunaux gacaca, ces juridictions communautaires mises en place après le génocide, l'auteur explore les défis d'une société tentant de panser ses plaies tout en cohabitant avec les bourreaux d'hier. Il met en lumière les dilemmes moraux et les tensions inhérentes à ce processus, sans jamais tomber dans le manichéisme.

    Le roman de Gaël Faye est une invitation à réfléchir sur les violences intimes et collectives qui façonnent nos identités. Il nous rappelle que, malgré les tragédies, l'humanité trouve toujours des moyens de renaître, de fleurir à nouveau, à l'image du jacaranda qui, chaque saison, déploie ses fleurs éclatantes.

    Jacaranda est une œuvre magistrale qui, par la beauté de son écriture et la profondeur de ses thématiques, s'impose comme un incontournable de la littérature contemporaine.