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Rebelle - Page 2

  • Quand les femmes parlent : Her Story, un cri de liberté sous les cieux de Chine

    Her Story, film, cinéma, féminisme, droit des femmes, mère célibataire, chine, Yihui ShaoEn ce 8 mars 2025, il est bon de parler d'une avant-première en France. Un moment privilégié où nous avons pu assister à la projection du film Her story. Film qui devrait sortir en avril 2025, en France et qui a renversé le box office chinois. Les (r)évolutions ne commencent pas toujours dans la rue. Parfois, elles s’immiscent dans l’obscurité des salles de cinéma, sur les écrans qui éclairent les imaginaires. Her Story (Hao Dongxi), le dernier film de Yihui Shao, est de cette trempe-là : une onde de choc qui bouscule la narration dominante et éclaire les silences pesants d’une société en mutation. Plus qu’un simple succès cinématographique, ce film est une déclaration d’émancipation.

    Un vent de sororité dans un monde figé

    Au cœur de Her Story, trois femmes se battent contre des assignations qui leur collent à la peau. Wang Tiemei, mère célibataire au chômage, tente de retrouver un équilibre dans un monde où une femme sans mari est encore perçue comme un « bien endommagé ». À ses côtés, sa fille Moli, 12 ans, qui grandit avec l’ombre d’une société qui voudrait déjà lui dicter son rôle. Et Ye, leur voisine, une femme en dépression, dont l’existence même semble être une subversion dans une culture où la souffrance psychologique est trop souvent réduite au silence.

    Cette trinité féminine compose un récit d’entraide, de résilience et de reconstruction. Mais surtout, elles parlent. Elles prennent la parole dans un monde qui voudrait qu’elles se taisent ou, à défaut, qu’elles ne parlent qu’à voix basse, dans l’ombre des hommes. Her Story leur donne un micro, une scène, une lumière. Et ça fait du bruit. C'est drôle, c'est grinçant et on découvre aussi en creux, les questionnements des hommes en Chine.

    Quand le cinéma devient un espace de lutte

    Sorti en novembre en Chine, le film a explosé le box-office, devenant un phénomène inattendu. Ce succès ne doit rien au hasard. À une époque où le monde promeut un retour aux valeurs traditionnelles et une injonction à la maternité, voir une femme se tenir debout en dehors du cadre préétabli résonne comme un acte de résistance. Et ne vous y trompez pas c'est universel ! 

    Le cinéma, ici, devient un champ de bataille. Her Story ose parler de dépression dans une société qui l’ignore, de femmes qui s’entraident au lieu de se conformer, de journalisme. Même l’héroïne porte en elle une rébellion silencieuse. Son métier honni par le pouvoir et mal aimé du public en fait une figure d’autant plus subversive.

    Sur les réseaux sociaux chinois, notamment Xiaohongshu, des millions d’internautes analysent les références et messages cachés du film, traquant les « œufs de Pâques » disséminés par la réalisatrice. Ce sont autant de clins d’œil discrets à un féminisme en mouvement, qui se fraie un chemin.

    Briser les mythes, réécrire les rôles

    Le succès de Her Story ne signifie pas simplement que le public aime les belles histoires. Il montre une soif de récits différents, de narrations qui sortent du cadre patriarcal. En Chine, comme ailleurs, les rôles féminins ont longtemps été figés dans des archétypes : la mère sacrificielle, l’épouse dévouée, la fille obéissante. Or, dans ce film, ces figures explosent.

    Tiemei n’est pas une mère parfaite, mais elle est debout. Ye n’est pas seulement une femme brisée, mais une voix qui s’élève. Moli n’est pas un simple témoin, mais une enfant qui apprend qu’elle a le droit de choisir. Ces femmes refusent d’être définies par le regard des autres. Elles existent pour elles-mêmes.

    Quand les femmes parlent, elles ne sont pas coupables

    Dans Her Story, les femmes parlent. Elles parlent sans demander pardon, sans s’excuser d’être là, de vouloir autre chose. Car c’est bien là l’un des grands mensonges de notre monde : faire croire que lorsqu’une femme revendique son droit à la parole, à la liberté, à l’émancipation, elle trahit un ordre moral.

    Mais parler ne fait pas d’elles de mauvaises mères. Parler ne fait pas d’elles de mauvaises épouses, de mauvaises filles. Parler ne les rend pas coupables.

    Le phénomène Her Story n’est pas une parenthèse enchantée, il est un signe avant-coureur. Il annonce que les voix féminines ne sont plus un murmure, mais un grondement. La société chinoise est en train de changer. Pas assez vite, pas assez profondément, peut-être. Mais le simple fait que ce film ait pu exister, cartonner et faire salle comble prouve que quelque chose est en marche.

    Ce n’est peut-être qu’un film, mais c’est déjà une (r)évolution.


     

    Durée : 2h 03min
    Film réalisé par Yihui Shao
    Avec Jia Song, Elaine Zhong, Yu Zhang
    Titre original : Hao Dong Xi
     

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  • La paix contre la haine : Anatole France, un cri d'alerte toujours actuel

    Paix, philosophie, armement, défense, conscience, frontière, géopolitique, Anatole France, Humanité, Dans l’ombre de notre époque incertaine, où les bruits de guerre résonnent à nouveau aux portes de l’Europe et d’ailleurs, il est nécessaire de revenir à ceux qui, bien avant nous, ont su dénoncer l’absurdité des conflits et les véritables raisons qui les sous-tendent. La lettre d’Anatole France, publiée dans L’Humanité du 18 juillet 1922, est de celles qui traversent le temps avec une lucidité implacable.

    « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels. » Cette phrase cingle comme une vérité intemporelle. Elle résume l’analyse implacable d’Anatole France sur la Première Guerre mondiale, un conflit qu’il décrit comme une guerre fomentée et prolongée par des intérêts économiques et industriels. En s’appuyant sur Les Hauts Fourneaux de Michel Corday, il démontre comment les grandes puissances financières ont fait de l’Europe un champ de bataille non par nécessité, mais par calcul. Les maîtres de l’heure ne sont pas les généraux ou les dirigeants, mais ceux qui possèdent « des usines, des banques, des journaux » et qui orchestrent le récit national en fonction de leurs profits.

    Cette dénonciation trouve un écho saisissant dans notre monde actuel. Les guerres d’aujourd’hui, qu’elles se déroulent en Ukraine, au Moyen-Orient ou en Afrique, sont-elles vraiment guidées par des idéaux patriotiques, ou ne sont-elles que des prolongements modernes de ces jeux d’intérêts ? Les fabricants d’armes, les multinationales de l’énergie, les cartels financiers ne sont-ils pas les véritables stratèges de ces conflits ?

    La fabrication de la haine

    Anatole France met aussi en garde contre un autre poison des guerres modernes : la fabrication de la haine. Il souligne avec acuité comment les médias ont instrumentalisé les ressentiments populaires pour légitimer le conflit. Cette analyse fait écho aux travaux d'Arthur Ponsonby, auteur de Falsehood in War-Time, qui démontre comment la propagande et les mensonges d'État ont été utilisés pour manipuler l'opinion publique et justifier les guerres. Cette observation est terriblement actuelle. La diabolisation de l’ennemi, la simplification outrancière des conflits, l’émotion brute relayée sans recul critique : tout concourt à déshumaniser l’adversaire et à empêcher toute réflexion sur les causes réelles des tensions. Ce que France décrit en 1922, nous le vivons aujourd’hui avec une intensité encore plus virulente, amplifiée par les algorithmes des réseaux sociaux et la rapidité des chaînes d’information en continu.

    Dans le numéro La Paix de la revue Diplômées (n°282-283), publié par La Route de la Soie - Éditions, cette question est réinterrogée à travers des prismes philosophiques et géopolitiques. Comment construire une paix durable quand les logiques dominantes reposent sur l’entretien permanent de conflits ? Peut-on encore penser une fraternité entre les peuples dans un monde où les intérêts privés dictent la politique internationale ?

    Être bons Européens, être bons citoyens du monde

    Anatole France appelait ses contemporains à une prise de conscience : « Notre salut c’est d’être bons Européens. Hors de là, tout est ruine et misère. » Cette phrase, qui résonnait comme une exhortation à construire une Europe unie et pacifique après la Première Guerre mondiale, doit aujourd’hui être repensée à l’échelle mondiale.

    Être de bons Européens, c’est refuser la logique des blocs, de la confrontation permanente, du choc des civilisations. C’est comprendre que la paix ne peut être une injonction unilatérale mais qu’elle se construit dans la justice, dans la réciprocité et le respect des souverainetés. À l’heure où l’Europe elle-même est instrumentalisée dans des stratégies de tension, l’appel de France prend une dimension nouvelle : notre survie ne dépend pas de la domination d’un camp sur un autre, mais de la capacité à rompre avec les logiques mortifères de l’affrontement économique et militaire.

    Défendre la paix à l’heure du chaos

    Aujourd’hui, alors que le monde s’enfonce dans une polarisation extrême et que le bruit des armes couvre trop souvent la voix de la raison, relire Anatole France est un acte de résistance intellectuelle. Son appel à la lucidité face aux intérêts financiers qui sous-tendent les guerres, sa dénonciation du rôle des médias dans la fabrication de la haine, et son plaidoyer pour une paix fondée sur la coopération entre les peuples doivent être repris avec force.

    Défendre la paix aujourd’hui, c’est refuser d’être dupe des récits de guerre simplistes. C’est rappeler que derrière chaque conflit, il y a toujours des forces invisibles qui en tirent profit. C’est redonner une voix à ceux qui, au lieu de prêcher la haine, cherchent à comprendre, à dialoguer, à construire.

    Dans ce monde où le chaos semble l’emporter, il est urgent de se rappeler que la paix ne se décrète pas, elle se défend. Comme le disait Emmanuel Kant dans Vers la paix perpétuelle : « La paix ne saurait être conclue comme un simple traité entre États, elle doit être instaurée comme un ordre juridique universel. » Et pour cela, rien ne vaut le retour aux grandes consciences, celles qui, comme Anatole France, savaient déjà, il y a un siècle, que la guerre n’est qu’un commerce et que la vraie patrie, c’est l’humanité.

  • La dégénérescence de l’IA : une autophagie algorithmique ?

    IA, algorithme, croyance, intelligence, artificielle, Philosophie, éthique, diversité cognitive, L’intelligence artificielle (IA), souvent perçue comme une avancée technologique transcendantale, se heurte aujourd’hui (doucement, mais sûrement) à un paradoxe fondamental. Alimentée initialement par des corpus de connaissances humaines vastes et diversifiés, elle se retrouve progressivement piégée dans un cycle autophage, où elle recycle ses propres productions. Ce phénomène soulève des questions philosophiques et épistémologiques majeures : peut-on parler d’un appauvrissement progressif de l’intelligence artificielle ? L’IA risque-t-elle de dégénérer en raison de sa dépendance croissante à des contenus synthétiques ? La data-philosophie se doit d’examiner ces questions sous l’angle de la qualité des données, de la diversité cognitive et de la durabilité épistémique des systèmes d’IA.


    L’auto-alimentation de l’IA : un cercle vicieux

    Les modèles d’apprentissage automatique (machine learning) sont traditionnellement formés sur des données humaines hétérogènes, garantissant une diversité d’approches et une richesse interprétative. Cependant, avec l’augmentation exponentielle du volume de contenu généré par l’IA, ces modèles commencent à réintégrer leurs propres productions comme données d’entraînement. Ce phénomène, qualifié de boucle autophage, conduit à une érosion progressive de la qualité des données et à l’amplification des biais.

    Pourquoi est-ce si préoccupant ? Et bien je vous laisse regarder les chiffres suivants :

    • 75 % des entreprises utilisant des données synthétiques d'ici 2026 : selon une enquête de la société Gartner, d'ici 2026, 75 % des entreprises auront recours à l'IA générative pour créer des données clients synthétiques, contre moins de 5 % en 2023.
    • Épuisement des données humaines : Elon Musk a récemment déclaré que toutes les données créées par les humains pour entraîner les IA sont "épuisées", suggérant un passage aux données synthétiques auto-apprenantes, avec le risque d'un "effondrement du modèle".

    Pourquoi faut-il craindre l'auto-alimentation de l'IA ?

    • Uniformisation et biais accrus : l'utilisation excessive de données synthétiques peut conduire à une homogénéisation des productions de l'IA, amplifiant les biais et réduisant la diversité des contenus.

    • Dégradation des performances : des études montrent que l'entraînement de modèles d'IA sur des données synthétiques peut dégrader la qualité et la diversité des sorties, affectant ainsi les performances globales des systèmes.

    • Perroquets stochastiques" : la linguiste Emily M. Bender compare les grands modèles de langage à des "perroquets stochastiques" qui répètent sans comprendre, mettant en lumière les limites de l'IA actuelle.

    • Risque d'effondrement : une étude intitulée "Self-Consuming Generative Models Go MAD" souligne que sans apport constant de données réelles, les modèles génératifs risquent de voir leur qualité et leur diversité diminuer progressivement.

    Soyons clairs, l’un des risques majeurs est l’uniformisation des contenus générés. En se nourrissant de ses propres productions, l’IA réduit la variété de ses sorties, ce qui limite l’innovation et la diversité intellectuelle. Cette standardisation des productions entraîne un rétrécissement du champ des idées, menaçant ainsi la créativité et la pensée critique humaines. Sans doute, comme le souligne Philippe Guillemant, est-ce la leçon que va nous infliger l'IA ? Serait-ce un mal nécessaire ? 

    Impact sur la qualité des données et les performances des modèles

    La qualité des données est essentielle pour assurer l'efficacité des algorithmes d'apprentissage automatique. Lorsque ces données sont contaminées par des artefacts générés par l'IA, les performances des modèles peuvent en être significativement affectées.

     La perte de pertinence des prédictions

    Les modèles d'IA reposent sur des tendances statistiques pour formuler des prédictions. Cependant, si ces tendances sont biaisées par des données auto-générées, les prédictions perdent en pertinence. Cette dérive algorithmique peut conduire à des décisions erronées dans des domaines critiques tels que la médecine, la finance ou la justice. Par exemple, une étude récente a mis en évidence que l'utilisation excessive de données synthétiques peut entraîner une homogénéisation des productions de l'IA, amplifiant les biais et réduisant la diversité des contenus.

    La crise de la vérifiabilité des données

    Un principe fondamental de l'épistémologie scientifique est la possibilité de vérifier la validité des connaissances. Or, si une IA est formée sur des données générées par une autre IA, il devient de plus en plus difficile de retracer l'origine des informations. Cette opacité algorithmique représente un défi majeur pour la gouvernance des systèmes intelligents.Comme le souligne un rapport de l'Université de Stanford, l'appétit insatiable des modèles de langage pour les données pourrait les conduire à une pénurie de "nourriture numérique" dans les années à venir, rendant la traçabilité et la vérification des données encore plus complexes (voir l'émission de la RTS "L'intelligence artificielle risque de manquer de données d'ici six ans")

     

    Vers une pénurie de données authentiques

    Des experts alertent sur une possible raréfaction des données humaines de qualité d'ici 2028. La dépendance croissante à des bases de données synthétiques risque de freiner l'évolution des IA, en limitant leur capacité à apprendre de manière pertinente et contextuelle. Comme dit plus haut, on risque un "effondrement du modèle".

    Conséquences philosophiques et épistémologiques

    La boucle autophage de l'intelligence artificielle (IA), où les systèmes d'IA s'entraînent sur des données générées par d'autres IA, soulève des questions profondes sur la nature de la connaissance, l'innovation intellectuelle et la diversité cognitive.

    Les systèmes d'IA, en particulier les modèles de langage, peuvent produire des réponses convaincantes sans véritable compréhension du contenu, un phénomène connu sous le nom d'hallucination. Ces réponses peuvent sembler informées mais manquer de fondement factuel, créant une illusion de savoir.

    L'IA est souvent perçue comme un catalyseur de l'innovation. Cependant, une dépendance excessive aux données générées par l'IA peut conduire à une stagnation créative. Une étude expérimentale a montré que l'exposition à des idées générées par l'IA n'améliore pas la créativité individuelle mais augmente la diversité collective des idées, suggérant que l'IA produit des idées différentes, mais pas nécessairement meilleures (voir "How AI Ideas Affect the Creativity, Diversity, and Evolution of Human Ideas: Evidence From a Large, Dynamic Experiment"). 

    La richesse du savoir humain réside dans sa diversité. Cependant, l'IA, en se basant sur des données homogènes ou biaisées, peut réduire la pluralité des perspectives, conduisant à une érosion de la pensée critique. James Fischer souligne que, comme les bulles de filtres sur les réseaux sociaux, l'IA risque de nous enfermer dans des préjugés si elle ne s'appuie pas sur des sources de données diversifiées (voir notamment l'article «Pourquoi la diversité de pensées est indispensable à l’ère de l’IA», James Fischer)

    Quelles solutions pour préserver les systèmes d'IA ?

    Dans un premier temps, il est essentiel de maintenir un accès privilégié aux données humaines en développant des bases de données issues de sources multiples et vérifiées. Une IA ne doit pas être exclusivement entraînée sur des contenus générés par d'autres IA.La qualité et la diversité des données d'entraînement ont un impact direct sur les performances des modèles d'IA. Comme le souligne un article de Shaip, une formation sur des données limitées ou étroites peut empêcher les modèles d'apprentissage automatique d'atteindre leur plein potentiel et augmenter le risque de fournir de mauvaises prédictions.

    Les gouvernements et les entreprises doivent instaurer des normes de transparence et de traçabilité des données utilisées pour l'apprentissage. Une IA devrait toujours indiquer la provenance de ses sources et le degré de fiabilité des informations produites. L'UNESCO, dans sa Recommandation sur l'éthique de l'intelligence artificielle, souligne l'importance de la transparence et de la traçabilité pour garantir une utilisation responsable de l'IA.

    Les systèmes d'IA pourraient être dotés d'algorithmes de correction dynamique, capables d'identifier et de filtrer les données auto-générées afin de préserver l'intégrité de l'apprentissage. Une étude intitulée "Curating Grounded Synthetic Data with Global Perspectives for Equitable AI" propose une approche pour créer des ensembles de données synthétiques diversifiés et ancrés dans le monde réel, afin d'améliorer la généralisation des modèles d'IA.

    Les acteurs de la data-science et les citoyens doivent être conscients des risques liés à l'auto-alimentation de l'IA. Une éducation critique aux biais algorithmiques et aux limites des IA est essentielle pour anticiper et corriger ces dérives. Les enjeux éthiques de l'intelligence artificielle impliquent, en matière d'éducation, de sensibiliser, d'acculturer et de former les élèves et les enseignants à un usage raisonné des outils d'apprentissage automatique. 

     

    Bref, comment conclure ? Comment ne pas finir dans la caverne de Platon algorithmique ? Nous enfermant dans nos propres boucles ? L’auto-alimentation de l’IA illustre un phénomène paradoxal : en cherchant à s’autonomiser, elle court le risque de se détacher du réel et de s’appauvrir intellectuellement. Cette boucle autophage soulève des enjeux majeurs pour la gouvernance des données et la préservation de la diversité cognitive. La data-philosophie doit jouer un rôle essentiel dans la définition d’une IA éthique, plurielle et connectée à la richesse du savoir humain. Faute de vigilance, nous pourrions voir émerger une IA qui, loin de nous éclairer, ne ferait que recycler les ombres de son propre reflet. Comme le soulignait déjà Hans Jonas (dans Le Principe responsabilité, 1979) "Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre." 

  • Un monde qui vacille : de la fiction d’Alexandre Arditti à la réalité sanglante des affaires économiques

    Alexandre Arditti, Littérature, roman, IA, technologie, droits humains, Facebook, MetaDans son roman choc L’assassinat de Mark Zuckerberg, Alexandre Arditti nous plonge dans un thriller politique où la frontière entre réalité et fiction s’efface dangereusement. Ce récit haletant suit une enquête policière sur l’exécution publique du fondateur de Facebook, mêlant critiques acerbes de la société numérique, dérives du pouvoir technologique, et réflexions existentielles. Une fiction ? Pas si sûr, à en juger par les récents événements qui secouent les sphères du pouvoir économique mondial.

    En effet, l’assassinat de Brian Thompson, PDG d’un des plus grands groupes d’assurance mondiaux, survenu en décembre 2024, semble tristement faire écho à l’intrigue du roman d'Alexandre Arditti. Ici, ce n’est plus la fiction qui s’inspire du réel, mais le réel qui semble rattraper la fiction. Comme Mark Zuckerberg dans le livre, Thompson a été abattu en public lors d’un événement médiatique. Si les circonstances diffèrent, la symbolique est tout aussi glaçante : des figures emblématiques du capitalisme global deviennent des cibles. Pourquoi ?

    Dans L’assassinat de Mark Zuckerberg, le meurtrier, membre d’une mystérieuse organisation appelée Table Rase, revendique ses actes comme une lutte contre la déshumanisation engendrée par les géants de la tech et la marchandisation de la vie privée. Alexandre Arditti dresse un portrait sans concession d’une société où la surveillance, les algorithmes, et l’obsession de la rentabilité écrasent les individus. Le roman questionne : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour défendre nos libertés face à des multinationales devenues plus puissantes que certains États ? Brian Thompson incarnait-il, malgré lui, ce visage du pouvoir devenu insupportable pour certains groupes extrémistes ?

    Si Alexandre Arditti choisit la fiction pour dénoncer ces dérives, les récents événements réels nous forcent à nous interroger sur le climat actuel. Les inégalités sociales croissantes, les scandales à répétition dans les hautes sphères économiques, et la concentration des richesses sont autant de combustibles pour une colère qui gronde. Des actes isolés ? Peut-être. Mais comme le souligne un personnage du roman : "Ce n’est pas la folie qui est inquiétante, mais la normalité qui tolère l’inacceptable."

    Au-delà du spectaculaire, la juxtaposition de la fiction d’Arditti avec l’actualité révèle un malaise profond. Il serait facile – et rassurant – de réduire ces actes violents à de simples dérives terroristes. Pourtant, ils interpellent sur notre propre complicité passive. Acceptons-nous, sans broncher, que les décisions de quelques PDG déterminent la vie de millions de personnes ? Que des algorithmes prédisent nos comportements mieux que nous-mêmes ?

    Ce que montre brillamment L’assassinat de Mark Zuckerberg, c’est cette mécanique du consentement, cette insidieuse érosion de la pensée critique. Et si l’assassinat de Brian Thompson est encore entouré de zones d’ombre, il pousse, lui aussi, à cette question fondamentale : dans quelle société voulons-nous vivre ? Une société où l’argent justifie tout ? Où ceux qui dénoncent sont réduits au silence, qu’ils le fassent par les mots ou par les balles ?

    Alexandre Arditti ne donne pas de réponses faciles. Son roman est un miroir tendu à notre époque, une invitation à refuser l’évidence – cette évidence qui, comme il l’écrit, "passe son temps à changer". Face aux récits qui nous sont imposés, aux vérités prêtes à consommer, il appartient à chacun de chercher, questionner, résister.

    La littérature, quand elle dérange, est peut-être le premier pas vers cette résistance. Et parfois, il faut savoir entendre les cris derrière les silences, même quand ils nous effraient.