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Ce qui est fascinant dans cet espace numérique qui va trop vite, où une information chasse l’autre, c’est qu’immédiatement des voix ce sont élevées pour dire « mais il n’y a pas que là-bas qu’il y a des victimes de viols ». Qui mieux que l’Alliance des femmes ou les Éditions des femmes ou encore l’AFFDU (que je représente) connaissons cette triste réalité ? Depuis des années, nous entendons, recueillons, défendons des témoignages des violences faites aux femmes, nous enseignons, partageons les consignes de défenses des femmes…Rappelons que nous demeurons attentives aux chiffres alarmants en France puisque, en 2021, la France a connu une moyenne de 67 viols par jour…
Mais là n’est pas la question. Il ne s’agit pas de jouer avec des échelles d’intensité, de douleurs, de drames. Cet appel est une alerte ! Les femmes d’où qu’elles soient ne sont pas des variables d’ajustement.
Pourquoi cet appel ?
La République démocratique du Congo (RDC) est le deuxième plus grand pays d'Afrique avec une population totale de 67,8 millions d'habitants, dont 51% de femmes et 48% de la population totale est âgée de moins de 15 ans. Nous pourrions dire avec de tels chiffres tout semble aller d’un point de vue démographique, enfin, comme je le signale dans mes interventions n’oublions pas de questionner le paradoxe de Simpson quand on nous présente des chiffres.
Et ces chiffres s’éclairent d’une toute autre façon quand on écoute et quand on lit le témoigne de Tatiana Mukanire Bandalire. Dans son livre intitulé Au-delà de nos larmes, elle livre son témoignage sur ce qu’elle a subi et sur toutes les violences subies par les femmes depuis 1996, année où la République démocratique du Congo (alors appelée Zaïre) bascule dans la guerre. Le viol est alors utilisé comme une arme de guerre, une arme de déshumanisation.
C’est seulement, depuis 2008, que le Conseil de sécurité des Nations Unies reconnaît le viol comme un crime de guerre et crime constitutif d’un génocide. Génocide, comme celui, oublié, de la province du Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo, car ne bénéficiant pas de la reconnaissance comme tel de la part de la communauté internationale.
Comment se reconstruire si la communauté internationale demeure dans le déni ? Où chercher des appuis ? Tatiana Mukanire Bandalire, coordinatrice nationale du Mouvement national des survivantes des violences sexuelles en RDC, le docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix, avec d’autres, se battent sans relâche pour que cessent ces massacres. Deux choix pour ses femmes victimes de ces barbaries : se taire pour éviter d’être rejetées, ou parler au risque d’en perdre la vie.
Là on découvre tout l’intérêt de cet appel à la solidarité ! Donner à voir, à entendre toutes les voix de ces femmes si longtemps oubliées. Il s’agit de leur donner un porte-voix de soutenir leurs démarches de reconstruction. Comme le souligneTatiana Mukanire Bandalire « Nous avons en nous cette envie de vivre. Nous l’avons prouvé en nous battant pour notre survie, en nous accrochant à la vie. Nous avons été esclaves sexuelles, nous avons été enterrées vivantes quand nous ne pouvions plus satisfaire les besoins de nos ravisseurs. Nous avons été ligotées à un arbre au fond de la forêt. Nous avons été violées presque chaque heure. Nous avons perdu connaissance. Plusieurs fois, nous nous sommes crues mortes, mais au fond de nous subsistait l’espoir de respirer à nouveau et de revivre. »
Signons, faisons circuler cet appel pour que plus aucune femme victime de viol ne soit assignée au seul silence.
Des années de luttes intellectuelles, de combats de rue, de mises en évidence ne suffisent pas à passer d'une égalité de droit à une égalité de fait. C'est donc bien que quelque chose demeure dans notre manière de percevoir l'égalité qui ne colle pas avec notre perception du monde.
Mathématiquement, nous savons que deux grandeurs sont égales quand elles ne diffèrent en rien. En revanche, pour nous, les êtres humains, l'égalité signifie que nous avons un attribut en commun "notre humanité" au regard duquel nous devons être traités de façon identique. Que nous soyons grands ou petits, femmes ou hommes...
Quand on le dit, quand on l'énonce, rares sont ceux qui vont vous répondre qu'ils sont contre cette idée. Il y a donc une convenance intellectuelle à être pour l'égalité. Cependant, il suffit de lire le Rapport sur les inégalités en France (2021) publié par l'Observatoire des inégalités pour comprendre que l'égalité de traitement des être humains est loin d'être acquise.
C'est en partant de ce constat et des levées de bouclier face à ses combats pour établir une égalité de fait que Anne Bergheim-Nègre s'est plongée dans la rédaction de son essai Histoire de l'inégalité entre les femmes et les hommes.
Elle réussit à nous entraîner au coeur de notre culture, elle est allé chercher le lieu même où s'enracine notre culture des inégalités. En décortiquant l'histoire, les textes religieux avec malice, Anne Bergheim-Nègre, nous fait prendre conscience de l'envers de notre pensée pour l'égalité. Elle met en évidence notre incapacité à se défaire de nos récits anciens, si imbriqués dans notre cognition que nous finissons par ne plus avoir la capacité de nous en détacher. Nous finissons donc par nous accommoder de fragment d'égalité. Or ce morcèlement de l'égalité n'a rien de bon, il fait vivre encore plus fort les inégalités.
Si nous regardons de plus près nous voyons que dès la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (de 1789) cette séparation des égalités entre de fait et de droit est affirmée "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits". Cette précision est importante et est confirmée par l'article 6 " La loi est l'expression de la volonté générale, tous les citoyens ont droit de concourir, personnellement ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics selon leur capacité, et sans autres distinctions que celle de leurs vertus et de leurs talents". Nous pourrions questionner le mot "vertus" ici car là encore ce texte, nous el savon s'adresse à des hommes pour des hommes (et non le "h"n'est pas une majuscule et n'englobe pas les femmes).
Donc Anne Bergheim-Nègre remonte le temps historique, elle nous fait découvrir les rouages de cette affirmation de l'égalité des hommes et de leur domination sur les femmes. Elle montre le prisme cultuel et culturel qui ont mis en oeuvre cette domination dont nous ne nous satisfaisons pas, mais avec lesquels nous avons appris à vivre. Elle met en évidence que déjà dans la manière dont on nous enseigne la préhistoire on retrouve ce récit de domination (rejoignant ainsi les travaux de Marylène Patou-Mathis ou encore ceux de Marija Gimbutas).
Anne Bergheim-Nègre met en évidence combien les transformations des structures des états a toujours été menées au profit des hommes (voir notamment le chapitre sur Napoléon Bonaparte). Cependant, loin de nous pousser à croire que l'égalité est impossible, elle met en évidence toutes les luttes menées, tous les combats, une longue marche vers une égalité encore possible. On y lit l'aspiration sociale. Qu'elle soit portée par quelques-unes ou par un grand nombre c'est cette aspiration qui pousse vers l'égalité dans les faits.
En d'autres termes, l'égalité des droits, ne peut pas être purement formelle et illusoire. La question est de savoir si elle ne doit pas reposer sur des moyens identiques et à la limite sur l'égalité effective des conditions sociales ? C'est sans doute là un idéal égalitariste. Et pourquoi pas ? C'est bien ce dont nous avons besoin pour poser les jalons d'une société égalitaire pour un futur en commun ! Particulièrement dans la sphère numérique...
Paradoxe de notre époque, des manifestations sont autorisées, mais les manifestants empêchés de se regrouper ? Les rues coupées, les groupes de manifestants se retrouvent coincés à différents endroits... La colère des camps monte... Et pourtant il n'est pas midi, quand je prends, au vol, cette image.
Il faut donc situer notre époque : pandémie (un peu plus d'un an), manifestations des gilets jaunes, tous les samedis (presque trois ans)... sans oublier les manifestations des soignants (pour demander des moyens pour les hôpitaux, depuis des années), les manifestations contre le changement des régimes de retraite... les manifestations des enseignants... Notre époque est en colère, notre époque crie... Mais qui l'entend ?
J'ai arpenté de nombreuses manifestations, j'ai suivi des mouvements de foule, j'ai essayé de comprendre les discours, d'entendre les revendications. Elles sont multiples : tantôt familières, tantôt singulières, parfois très éloignées du réel. Et toujours, je repense à Gustave Le Bon et à sa Psychologie des foules.Chaque individu en foule a ses présupposés, ses certitudes, mais la foule, elle, porte un autre message. Encore plus aujourd'hui par la médiatisation permanente. Au final, qui veut faire dire à une foule l'inverse des messages portés par les individus qu'elle contient, c'est possible... C'était déjà le cas à l'époque de Gustave Le Bon... alors aujourd'hui... Mais alors pourquoi tant de manifestations et tant de répressions des manifestants ?
Les mots de Nietzsche reviennent en force : "l'État est le plus froid des monstres froids. Il ment froidement ; et voici le mensonge qui s'échappe de sa bouche : “Moi l'État, je suis le peuple“" . Ainsi parlait Zarathoustra.
Qu'est-ce que la violence ?
Le mot en lui-même fait son apparition au XIIIe siècle et signifie "par la force". C'est par la force que l'on obtient des aveux, des conditionnements... La violence est donc assimilée à un certain de degré de force : "vent violent", "film violent"... Paradoxalement la boxe, ou les arts martiaux engagent de la force, et le corps à corps et pourtant ils ne sont pas qualifiés de "sports violents".
La violence, selon Aristote, apparaît dès que l'on contrarie la tendance naturelle d'une chose. Ainsi en va-t-il par exemple d'une pierre que l'on jette vers le haut. Aussi, par analogie, nous pourrions dire que si nous admettons que tout être humain a la capacité de se déterminer lui-même, alors, il y a violence d'ès qu'on use de contrainte sur lui pour infléchir sa volonté. Mais une telle définition ne nous conduit-elle pas à confondre la violence avec la force et donc à reconnaître l'existence même d'une anarchie nécessaire ?
Ne nous faut-il circonscrire la définition de la violence avec les mots de Julien Freund comme étant une "explosion de puissance qui s'attaque directement à la personne et aux biens des autres en vue de dominer soit par la mort, par la destruction, la soumission ou la défaite" ? Ainsi définit la violence se limite aux actes de violence. Freund montre ainsi que peuvent exister des "situations de violence" dues aux violences latentes (institutionnelles ou situationnelles).
Étymologiquement, la violence est liée à la force (vis) et elle l'est sémantiquement au "viol" (faire violence).
En d'autres termes, la violence pourrait être définie comme ce qui porte atteinte à notre intégrité par le moyen de la force. Cela revient à détruire notre capacité d'agir (cf. Ricoeur, Soi-même comme un autre).
En réalité, que l'origine de la violence soit située dans un instinct d'agressivité (cf. Konrad Lorenz), ou dans les conflits liés aux intérêts économiques (cf. Marx), ou dans l'extériorisation d'une pulsion de mort (cf. Freud), nous devons regarder la violence sous deux angles : celui politique et celui philosophique.
Politique & violence
La violence est indéniablement un élément de la conquête et de l'exercice du pouvoir. Cependant Machiavel a bien montré que son efficacité ne réside pas dans l'usage de la force nue (écoutez l'émission de France Inter sur ce sujet).
Pour Machiavel, le prince (celui qui détient l’autorité politique) doit user de tous les moyens nécessaires à la réalisation de ses objectifs : selon une phrase qui lui est injustement attribuée, « la fin justifie les moyens ».
Le prince doit conserver le pouvoir autant qu’il peut ; il peut ainsi user de la force, de la ruse, de la violence ou dissimuler pour y parvenir, le but étant d’être efficace afin de parvenir le plus rapidement possible à ses fins. Le mal est donc un instrument nécessaire en politique.
Selon Machiavel, la meilleur méthode pour arriver au pouvoir consiste en la création de discours autour de mises en scène. Le prince peut également utiliser la religion pour prendre le pouvoir et contraindre son peuple.Machiavel ne voit pourtant pas dans la religion le fondement du pouvoir (qui vient de la force). La politique n’est donc qu’une stratégie, tout étant fondé sur un rapport de force, entre le pouvoir, les rivalités et les conquêtes. Comme une guerre, le jeu politique doit se mettre en place avec une certaine habileté. L'État donc utilise la force pour faire passer des lois pour le "bien" du peuple.
Clairement Machiavel montre que le prince cherche à modifier l'ancien modèle de pouvoir afin de stabiliser le sien. C'est donc une modification totale du système qui doit s’opérer : les habitants devront rebâtir les villes et s’adapter. Une citation pour finir sur le système "Machiavel" : “Gouverner, c'est mettre vos sujets hors d'état de vous nuire et même d'y penser.” (cf. Le Prince).
Attention, cependant, la violence de l'État n'est pas légitime. Selon Max Weber : "un État est une communauté humaine qui revendique le monopole de l'usage légitime de la force physique sur un territoire donné". L'État dispose donc d'un outil que les autres n'ont pas c'est la contrainte pour faire respecter des règles, des lois, le droit...
Pour Max Weber, si l'État a ce monopole de la violence ou de la contrainte, c'est qu'il a su s'en faire reconnaître comme le seul agent légitime.
Nous pourrions lui opposer la vision d'Hannah Arendt "être politique, vivre dans une polis, cela signifiait que toutes choses se décidaient par la parole et la persuasion et non par la force ni la violence". Une telle société est-elle tenable ? L'idéaliste que je suis réponds doublement oui... Mais la philosophe peut-elle suivre ce même raisonnement ?
Violence & Philosophie
Ainsi posée comme sous-rubrique, nous pourrions presque croire que la philosophie est une violence. C'est une joute conceptuelle entre des arguments contraires qui nous est nécessaire pour mieux comprendre le monde (et nous défaire de notre encombrant ego et de ses mauvaises habitudes).
Faut-il dès lors, être comme Calliclès et défendre la violence ? " Certes, ce sont les faibles, la masse des gens, qui établissent les lois, j'en suis sûr. C'est donc en fonction d'eux-mêmes et de leur intérêt personnel que les faibles font les lois, qu'ils attribuent des louanges, qu'ils répartissent des blâmes. Ils veulent faire peur aux hommes plus forts qu'eux et qui peuvent leur être supérieurs. C'est pour empêcher que ces hommes ne leur soient supérieurs qu'ils disent qu'il est vilain, qu'il est injuste, d'avoir plus que les autres et que l'injustice consiste justement à vouloir avoir plus. Car, ce qui plaît aux faibles, c'est d'avoir l'air d'être égaux à de tels hommes, alors qu'ils leur sont inférieurs. (...) Si le plus fort domine le moins fort et s'il est supérieur à lui, c'est là le signe que c'est juste." (cf. Platon, Gorgias, 483b-484a).
C'est un peu ce que l'on retrouve chez Nietzsche qui écrit "vivre c'est essentiellement s'approprier, blesser, subjuguer l'étranger et le faible, l'opprimer, être dur, lui imposer nos formes propres, l'incorporer et au moins - au minimum- l'exploiter" (cf. Par-delà le bien et le mal).
Pour Derrida, la violence est inhérente à la construction des états. "Tous les États-nations naissent et se fondent dans la violence. Je crois cette vérité irrécusable. Sans même exhiber à ce sujet des spectacles atroces, il suffit de souligner une loi de structure : le moment de fondation, le moment instituteur est antérieur à la loi ou à la légitimité qu’il instaure. Il est donc hors la loi, et violent par là-même". Cette violence commence par le discours lui-même. Il faut se faire violence pour reconnaître et désigner l'ennemi par le discours.
Cependant le langage n'est-il pas la clef pour exclure toute violence ? Avec Socrate, nous pouvons faire le choix du dialogue raisonnable avec autrui. En raison de ce qui nous est commun, nous pouvons établir le dialogue, essayer de se comprendre mutuellement. On retrouve aussi cette posture chez Emmanuel Levinas, à partir du moment où nous reconnaissons en autrui un être radicalement différent de nous-même, alors nous sommes dans une posture de respect. L'autre désigné comme tel est autant démuni et vulnérable que nous. C'est précisément cette reconnaissance qui nous fait sortir de la violence, à savoir la volonté s'assujettir l'autre.
Ce que nous pourrions conclure de tout ceci c'est que l'organisation sociale ne peut qu'interdire le déchaînement de la violence. Et si elle le fait c'est qu'elle le confisque à son profit. Nous retombons ainsi sur notre paradoxe : la création d'une violence officielle, légitimée par la nécessité de maintenir l'ordre social. Pour désamorcer la violence, il nous reste la pensée de Vladimir Jankélévitch : "c’est la force qui s’oppose à la faiblesse. La violence elle, s’oppose plutôt à la douceur ; la violence s’oppose si peu à la faiblesse que la faiblesse n'a souvent pas d'autre symptôme que la violence ; faible et brutale, et brutale parce que faible précisément ….» La violence serait-elle une force faible ?
Écrire est, avant tout, une musique retrouvée. Un son qui confirme les mots volants dans l'écume de mon esprit. Et puis il y a les images. Ces images fortes qui viennent frapper ma conscience, ma mémoire... Sensation instantanée.
C'était un matin tôt, la rue de la Révolution était baignée de cette lumière d'automne encore chaude de l'été. Je revenais de ce lointain désert du Taklamakan. J'avais ce sentiment d'apaisement d'une rue calme, sans désordre que celui des couleurs et des silences majestueux. Arrivée au niveau de la Galerie de la Main de fer (ou Can Cago), les habitués savent qu'ils entrent en territoire imaginaire. Territoire d'art. Lieu de remise à plat du présent, des futurs. Une myriade de couleurs s'attardent pour saluer l'espace des passages. Semelles de vent.
C'est ce matin là. Précisément, au moment de cette lumière, les barques enchevêtrées de Jean-Louis Bonafos sont apparues. Sont-elles échouées ? Quelle écume rencontrent-elles, a-t-elle pu les faire chavirer ? Sont-elles parties en Sardane ? Bateaux bleutés, chavirés, suspendus. Était-ce leur immensité ? Était-ce leur couleur ? Était-ce, ce silence qui précède la foule et ses bruits ?
Et ce poème de Jacques Prévert qui revient :
"L'amiral Larima Larima quoi la rime à rien l'amiral Larima l'amiral rien."
(Paroles, 1945)
Partir en mots, en recherche, en imaginaire... Laissez-vous porter par les légendes que vous racontera Jean-Louis Bonafos. Maître des lieux, coeur ouvert sur les arts. Il n'y a pas de rue de la Révolution sans Jean-Louis. S'il vous arrête pour un café à sa table des arts, ne fuyez pas, rangez votre timidité et savourez cette suspension.
Nappe bleue, mais souvent rouge. Toujours à carreaux et toujours avec des délices venues de toute part. Entrez dans ce monde, laissez-vous entraîner... Un peu comme la journaliste Edith Atlas de France Bleue en 2018.
Toujours en blouse, en tenue d'atelier ou d'artiste, vous découvrirez Jean-Louis. Au-delà du personnage qui vous livrera sa recette des haricots à l'ail, il y a l'artiste. Un immense artiste qui sculpte le fer pour lui donner les formes combatives.
Samouraï protecteur, défenseur des rêves. Il fend l'armée des ombres, à hauteur d'homme. Équilibre fragile entre le vent et ses musicalités. La tramontane ne peut le faire valser. Il tient face aux désordres.
Comme dans ce poème de José-Maria de Heredia (le Samouraï) :
"Ce beau guerrier vêtu de lames et de plaques, Sous le bronze, la soie et les brillantes laques, Semble un crustacé noir ; gigantesque et vermeil."
Sculpteur des démesures. Jean-Louis a créé des oeuvres pour des maisons entières qui s'ouvrent ainsi sur la puissance du fer, la maîtrise du feu, la force des contorsions.
Ne vous fiez pas à cette entrée en matière. Le feu, la forge, la fusion, il faut se brûler les ailes pour comprendre la démesure de cet art. La sculpture du fer ou la force de la matière. Il y a du volcanique dans l'esprit de l'artiste, de la matière en fusion à laquelle il faut donner un corps, une forme d'expression... Et quelle serait la figure mythique à questionner ? En fer, en coups de marteau pour tordre ses rêves ? Dans la pénombre apparaît, fatigué par tant de siècles d'utopies...
Sur son fidèle destrier, le monde à ses pieds... Don Quichotte (rappelez-vous du titre original de l'oeuvre de Miguel de Cervantes El ingenioso hidalgo don Quixote de la Mancha). L'ingénieux a traversé les siècles pour venir jusqu'à nous. Forgé, sculpté, dépoussiéré par Jean-Louis Bonafos. Il n'est plus simplement un mythe... Il est parmi nous.
Il vient des lointains souvenirs de nos lectures, ou de nos jeux d'enfance. Don Quichotte à la fois ri et admiré. Oublié et pourtant si présent. Et tant de justes maximes nous reviennent en mémoire : "qui s’attache à un mauvais arbre reçoit mauvais ombre, et qui se met à l'abri sous la feuille se mouille deux fois, et qui se couche avec des chiens se lève avec des puces. Quelque petit que je sois, je tiens mon rang dans le monde ; chaque fourmi a sa colère ; chaque cheveu fait son ombre sur la terre, et chaque coq chante sur son fumier".
Parfois en "habit de lumières" comme pour nous tendre un miroir, et nous réveiller de nos endormissements... Don Quichotte trône, regarde la rue de la Révolution. Nous rappelant que nous devrions nous mouiller un peu plus pour nos rêves... "Il n’existe pas de joie comparable à celle de retrouver sa liberté perdue."
Sur un air de Karl Jenkins me revient cet autre passage tellement criant de notre actualité "Maintenant que je suis sûr que personne ne nous écoute en cachette, je vais pouvoir répondre sans aucune difficulté à ces questions, madame, et à toutes celles que vous voudrez me poser. Je tiens à dire tout d'abord que mon maître don Quichotte est fou à lier, bien qu'il lui arrive de raconter de ces choses qui, à mon avis, et de l'avis de tous ceux qui l'écoutent, sont tellement sensées et tellement bien amenées que Satan en personne ne ferait pas mieux. Et pourtant, moi je suis sûr qu'il a complètement perdu l'esprit. Et comme on ne me l'ôtera pas de la cervelle, je n'hésite pas à lui faire croire des choses qui n'ont ni queue ni tête".
Don Quichotte un personnage central de l'oeuvre de Jean-Louis Bonafos, sans doute même le moteur de son regard sur le monde. Mais il n'en demeure pas moins en lien avec l'actualité et notamment celle du photo-journalisme (Visa pour l'image).... Pourquoi regarder le monde ? Pourquoi créer tant d'images ? Pour dire quoi ? "Que voulez-vous dire du monde vous qui l'habitez ?" semble nous dire l'artiste... Puis, en malice, il pourrait vous lancer : "êtes-vous sûr d'avoir compris ?"
Et compris quoi ?Regardez-vous, vous-même ! Au milieu de tout regard, il y a la subjectivité d'un individu... Qui donc êtes-vous ? Vous qui, au milieu du monde, croyez saisir l'instant ? L'instant de quelque chose ? de quoi ? Décortiquez... Enlevez chaque appareil, chaque objectif... Revenez au coeur du sujet : les impressions de sensation, les désordres... pouvons-nous être objectifs dans un monde en mouvement ? L'impermanence peut-elle se saisir, se figer ?
En creux, il y a du Epictète dans l'oeuvre de Jean-Louis Bonafos : “ne sais-tu pas que la source de toutes les misères de l’homme, ce n’est pas la mort, mais la crainte de la mort ?”...
Passez au coeur de la rue de la révolution, vous y découvrirez les oeuvres à ciel ouvert de Jean-Louis Bonafos, mais aussi de Roxanne (dont j'ai parlé dans un précédent article). Avant ou après les avoir rencontrer, entrer dans la Galerie Can Cago...
Et surtout, été, comme hiver, en passant, ou en repassant, par la rue des Arts (si bien nommée rue de la Révolution), n'oubliez pas les mots de Cervantes "Garde toujours dans ta main la main de l'enfant que tu as été".