Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Philosophie de Guerre - Page 3

  • Guy Ferrer

    Perpignan, Guy Ferrer, Art contemporain, peinture, matièreLe Centre d’art contemporain de Perpignan abrite l'exposition Guy Ferrer jusqu'au 10 octobre 2021.

    Humanité face à elle-même, dans sa quête, spirituelle ou pas... Si on s'attarde sur les lumières et les danses qui jaillissent des toiles de Guy Ferrer, on pourrait retrouver la réflexion de Martin Heidegger. Une recherche de l'être-là (Dasein). Un destin de mortel, mais "le sommes-nous vraiment ?" semble nous dire le peintre. Nous sommes un passage. Passage de la matière à l'esprit ou de l'esprit à la matière, comme un cercle infini de couleurs, de matières, de désordres, de recherches, de chemins pris, croisés, détournés, chahutés, rêvés, fracassés...

    Perpignan, Guy Ferrer, Art contemporain, peinture, matière

    "La seule éternité que je connaisse, c'est l'instant ! Car l'instant est le contraire du temps" écrivait Heidegger. Sommes-nous dans ce monde pour une éternité ou bien une fraction de seconde ?

    N'est-ce pas là, le rôle de l'artiste de nous dire ce qu'est notre existence ? N'est-ce pas lui qui rend visible l'invisible ? N'est-ce pas l'artiste qui nous lie et délie de nos existences partielles ? Nous montrant la voie de nos possibilités, de nos mystères enfouis. Guy Ferrer, pour cela, joue des matières, des épaisseurs, des lumières, des couleurs... Suivez l'ocre, semble-t-il nous dire...

    "Dans cette toile minimaliste, une tête de chair, sans visage et voilée de blanc flotte verticale, comme en attente, dans un espace indéfini et immaculé, sans limite, hors temps" tels sont les mots de Patricia Tardy que nous pouvons lire en introduction de cette exposition. Les êtres de Guy Ferrer flottent dans des interstices d'espace... Pantins ou à jamais libres de tournoyer dans un univers en construction touche par touche.

    Perpignan, Guy Ferrer, Art contemporain, peinture, matière

    En déambulant dans la grande salle, on se prend à questionner notre "attente"... Qu'attendons-nous ? Une lumière, un amour, un rien, un tout, un trouble ? Nous allons et venons dans le doute de nous-même, de ce qui nous caractérise, alors on comprend mieux la démarche de Guy Ferrer : partir à la conquête des lumières du monde. Saisir l'insaisissable : notre éternité. 

    Perpignan, Guy Ferrer, Art contemporain, peinture, matière

    Pour plus d'informations :

  • Les sculptures de Roxanne

    Capture d’écran 2021-08-04 à 14.20.41.png

     

    "Soyez simple avec art" écrivait Boileau (dans son Art poétique). En cheminant, vos pas, vous conduiront, sans doute, à la rue de la Révolution, à Perpignan. Une rue qui chemine entre les couleurs des arts, des appartenances, des lumières, des musiques. Si vous avancez un peu plus, vous rencontrez les silhouettes allongées, étirées comme des lumières d'ombres, de la sculptrice Roxanne.

    Capture d’écran 2021-08-04 à 14.19.49.png

    Murmures des songes, illuminations des rêves, vous y rencontrerez des "promeneurs de lune", des "joueurs de soleil", des mélodies d'innocence.

    Si vous l'interrogez sur son travail, elle vous confiera qu'elle n'avait "jamais envisagé, avant que le hasard n’en décide autrement, la sculpture comme moyen d’expression". Cette histoire naît avec la rencontre de son voisin, un immense artiste, un "artiste Don Quichottesque" Jean-Louis Bonafos (nous reviendrons sur cette figure dans un autre article). Il aura suffit de l'audace de Jean-Louis et d'un "petit morceau de glaise" pour que le chemin de vie de Roxanne emprunte celui des arts...

    De la glaise, Roxanne, vous le dira "c'est une matière dont je ne savais alors pas grand-chose, sauf qu’elle était mystérieuse et belle"... Le choc de la matière, la danse fragile des éléments, font émerger des visages, des corps... 

    Capture d’écran 2021-08-04 à 14.20.08.png

    Par instant, en contemplant, ses sculptures,  on a envie de relire du Pirandello, lui qui affirmait "l'art venge la vie". Il y a de la douceur, une immense fragilité, une rêverie infinie dans ce travail de sculpture.

    Roxanne sculpte la vie. Elle fait jaillir les émotions, les interroge, les tord, les lisse, pour mieux en saisir les fragments infimes. Elle cherche à les rendre visibles. Serions-nous tous si fragiles ? Humanité aux pieds d'argile... Voilà ce que nous sommes... 

    Capture d’écran 2021-08-04 à 14.20.26.png

    Tout est une question d'équilibre entre le mouvement de la glaise, et, ceux des papiers découpés, collés, étendus, séchés, décollés, recollés, pliés, dépliés... Impossible, ici, de ne pas renouer avec la théorie de Paul Klee, selon laquelle "l'art ne reproduit pas le visible, il rend visible" (cf. Théorie de l'Art moderne).

    Quand le soleil abat ses derniers rayons sur la rue de la Révolution, Roxane, plie ses affaires et referme son atelier, laissant le rêve au songe et le songe à la vie... 

    Capture d’écran 2021-08-04 à 14.46.56.png

    Pour les curieux, Roxanne, expose ses sculptures du 5 au 27 août 2021 à la Maison des Arts du Barcarès : Place de la République (avec les aquarelles d'Oscar Palomino). Plus d'informations en cliquant ici !

     

     
  • Entre paradoxe & grande fatigue

    Chine, Occident, économie, croyanceQu'est-ce qu'un paradoxe ? Dans Le paradoxe sur le comédien, Diderot affirme qu'un bon comédien doit jouer avec le plus de sang-froid possible, sans émotion sincère et spontanée mais en calculant sans cesse les effets de son jeu. Or l'opinion courante était plutôt que le comédien doit faire preuve de beaucoup de spontanéité. Nous voyons bien ici que le paradoxe se définit comme un opinion contraire à ce qui est généralement admis.

    Que se passe-t'il ? Pourquoi dois-je faire un article intitulé "entre paradoxe et grande fatigue" ? C'est cette "une" du magazine Challenge's qui m'y pousse. Comment laisser passer une telle maquette ? Notons d'abord le fond rouge, référence au drapeau chinois...

    Mais que signifie la couleur rouge dans notre culture ? Je renvoie ici aux travaux de Michel Pastoureau qui dit si joliment "le rouge est un océan". Au Paléolithique, le rouge symbolise "le pouvoir, la gloire, la puissance, la fête, la solennité, la joie, la beauté et l'amour" mais aussi "la violence, la colère, les crimes de sang, la faute, le péché". Dans l'Antiquité, la pourpre romaine symbolise l'empereur. Durant le Grand Siècle, les "talons rouges" sont emblématiques du statut d'aristocrate. Et puis, il y a le XVIIIe siècle, où le rouge devient le symbole de la contestation, notamment après la journée révolutionnaire du 17 juillet 1791 où il incarne "l'emblème du peuple révolté". C'est ainsi que le rouge a basculé du "côté obscur de la force"... Laissant la place au bleu comme couleur préférée des occidentaux...

    Donc quand "on voit rouge", expression très intéressante, non ? C'est que l'on est en colère, non ? Mais alors que se passe-t-il quand "on voit du rouge" ? Et bien nous savons qu'il y a du danger... Je vous passe la référence au code de conduite et à nos panneaux de circulation. 

    chine,occident,économie,croyance

    Pour bien vous montrer qu'il s'agit de la Chine, on positionne un autre code couleur le jaune-orangé du drapeau, on place une étoile entre "dossier spécial" et "25 pages"...  Ce dossier doit donc être pris très au sérieux ! Vous rendez-vous compte 25 pages sur les 106 que comptent ce magazine. Vous sentez là mon ironie, je n'insiste donc pas sur ce point. 

    En lettres blanches et en capitales : CHINE. On aurait pu écrire Chine... Non ? Et si on essayait cela donnerait quoi ? Ce serait sans doute beaucoup moins impressionnant à notre oeil ?

    Donc le dossier ce sera la CHINE... C'est donc qu'il y a un "gros sujet"... Et cela est souligné par cette drôle de baseline (pour mémoire il s'agit du slogan ou de la phrase qui ponctue une annonce publicitaire ou de la phrase de signature se trouvant traditionnellement sous le texte d'une publicité presse - voir le site "définitions-marketing") : "Elle nous fascine et nous fait mal"... Ah ! première interrogation, je me demande si nous, la France, ou l'Europe, avons besoin de la Chine pour nous faire mal ? La réponse est évidemment non. 

    Comment mettre sur le même plan la fascination et la souffrance ? Quand on est fasciné, c'est que l'on est sous le charme... Comment un tel enchantement pour une culture peut-il nous faire du mal ? Il s'agirait d'un envoûtement qui nous empêcherait de voir les dangers... Faire écho à cela, c'est évoquer le mythe profondément ancré dans la culture occidentale : celui d'Ulysse qui doit résister aux chants des sirènes... En d'autres termes, si je traduis cette phrase cela donne "ne sombrez pas, vous occidentaux, sous le charme des sirènes de la Chine, vous allez être pris au piège"... Et ceci est souligné par les trois grands points du dossier "le nouveau consommateur", "le soft power de Pékin", "dans les coulisses du PCC"...

    Et le tout se trouve estampillé par le Dragon qui semble si menaçant...  

     

    Paradoxe & grande fatigue

    Pourquoi m'arrêter sur cette une ? Pourquoi ne pas simplement passer mon chemin ? Quelque chose m'en empêche ? Sans doute est-ce l'effet du montage avec le bandeau blanc "Présidentielle 2022 - TOUT A CHANGÉ", on se demande bien quoi ? Rien en réalité, c'est juste un effet d'annonce. 

    Certains pourraient dire, que je m'arrête à cette couverture car je n'ai pas acheté le magazine. Détrompez-vous, je lis tout ce qui est publié sur la Chine. J'ai des étagères complètes, entières de "nos" productions sur ce pays (par "nos" ici j'entends toutes les productions qu'elles soient occidentales ou autres). Et croyez-moi, ce n'est pas toujours beau à lire, à voir, à entendre... Tant de bruits, tant de cris, tant de haine, déversés au fil des années...

    Alors je poursuis sur la notion de paradoxe. En philosophie, le paradoxe est avant tout une pensée qui contredit délibérément l'opinion commune et même parfois le bon sens. Rappelons-nous de Rousseau qui, dans Émile, établit que la première règle de l'éducation est de savoir perdre son temps. Et pour se prémunir des critiques inhérentes à une telle prise de position, il écrivait "j'aime mieux être homme à paradoxes qu'homme à préjugés". 

    En logique, on désigne par "paradoxe" un raisonnement qui conduit à une contradiction insoluble. 

    La pensée occidentale s'est construite sur l'opposition entre le "bien" et le "mal". La pensée chinoise, quant à elle, a admis depuis des siècles que les deux coexistent ensemble en même temps et que tout est une question de mouvement, et d'équilibre (sur ce point je renvoie aux travaux du sinologue Cyrille J.-D. Javary et notamment à son ouvrage La souplesse du dragon). 

    Cette couverture reflète, à elle seule, la manière dont les médias occidentaux traitent la Chine. C'est une réflexion qui semble hors sol, faite d'un mélange de préjugés et de peurs. De cette potion, il ressort la volonté de créer la nouvelle figure de l'ennemi. Mais cette fabrique de la figure de l'ennemi ne masque-t-elle pas une autre réalité : celle d'un racisme inhérent à la pensée occidentale ?

    Ici naît ma plus grande fatigue !

    Pourquoi l'occident ne reconnait-il pas son racisme séculaire contre l'Asie ? La crainte de l'émergence de la Chine comme puissance, n'est-elle pas celle des sanctions et des humiliations en réponse à ce que les occidentaux ont fait subir à la Chine après les guerres d'opium ? 

    Par cette mascarade médiatique qui tourne à la diabolisation de la Chine nous oublions la chose essentielle : une autre économie est possible. Comme l'émergence d'un "deuxième soleil". Cette image, je l'utilise pour vous montrer qu'effectivement un pays non aligné a réussi à transformer son système social, économique pour arriver à contrebalancer le système dans lequel le monde occidental a toujours vécu. Ce système, dans lequel, nous, les occidentaux, sommes c'est celui keynésien (il adore l'or et il repose principalement sur le niveau de la demande globale, tant des biens de consommation que des biens de production). N'oublions pas que le keynésianisme repose aussi sur l'existence d'un équilibre économique de sous-emploi, dans lequel subsiste des chômeurs. À l'inverse la Chine a développé son économie intérieure pour réduire le chômage et la misère. La question serait donc d'observer ses efforts et d'essayer de comprendre comment la Chine va maintenir cette société de moyenne aisance. Voilà à quoi nous devrions passer notre temps et notre réflexion. Nous devons comprendre la Chine, la comprendre avec ses paradoxes, son histoire, son autre regard sur la réalité au lieu de proférer des préjugés au rang de vérité absolue. 

    Groupe Perdriel & économie

    Pour ceux qui s'intéressent un peu à l'histoire des médias en France. Nous devons, quand même, nous demander d'où parle le magazine Challenge's dont le slogan est quand même "l'économie de demain est l'affaire de tous". Qui sont ces "tous" ? 

    chine,occident,économie,croyance

    Dans cette carte publiée par le Monde Diplomatique et l'Acrimed, nous pouvons voir où se situe l'hebdomadaire Challenge's. En haut à gauche pour ceux qui ne verraient pas tout de suite. 

    Précisément en haut à gauche, il s'agit du groupe Perdriel (ou groupe Nouvel Observateur) est un groupe de presse français dirigé par l'industriel Claude Perdriel (société des sanibroyeurs SFA PAR). Le groupe est né en 1964, avec la création de l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur.

    En , Denis Olivennes a été nommé directeur général délégué du groupe par Claude Perdriel, qui souhaite « prendre du champ ».

    En 2010, Denis Olivennes qui ce groupe pour rejoindre Lagardère Active. 

    En 2014, le groupe cède les deux tiers du capital de l'hebdomadaire L'Obs (anciennement Le Nouvel Observateur) aux actionnaires du groupe Le Monde (à savoir : Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse). Cette offre concerne également le site internet d'information générale Rue89 (acquis par Perdriel en 2012), ainsi que les suppléments gratuits Obsession (spécialisé dans la mode, les tendances et la culture) et TéléObs. Le groupe conserve une participation de 34 % (voir sur ce point l'article de Fabienne Schmidt "Nouvel Obs, les coulisses d'une vente", dans les Échos du 15 janvier 2014). 

    En 2016, le groupe Perdriel, propriétaire de Challenges et Sciences et Avenir, achète la société Sophia Publications, éditrice de La Recherche, L'Histoire, Historia et Le Magazine littéraire (voir l'article Quentin Ebrard intitulé "Claude Perdriel seul propriétaire de « Historia », « L’Histoire », « Le Magazine littéraire » et « La Recherche »", dans le Monde du 23 juin 2016). Dans cet article on découvre cette phrase "« Je n’ai jamais envisagé de vendre Challenges, mais j’avais envisagé de prendre un partenaire minoritaire dans la mesure où cela aurait pu contribuer à donner plus de chance à son développement », explique-t-il en réponse aux rumeurs de vente du magazine économique en difficulté"... Et un paragraphe plus loin on peut lire "Pour l’année prochaine, Claude Perdriel espère limiter les pertes de l’hebdomadaire grâce à des économies de 400 000 euros sur le poste des abonnements, à un plan de départ volontaire d’une dizaine de personnes parmi les techniciens et au recours à de la sous-traitance informatique."... 

    En , Claude Perdriel nomme Guillaume Malaurie directeur général délégué du groupe.

    En , la direction de la société Renault annonce avoir acquis 40 % de la société Perdriel par le biais d’un accroissement de capital de cinq millions d’euros. Renault investit dans le groupe dans l’objectif d’offrir des contenus médias exclusifs aux propriétaires de ses futurs véhicules... (Voir sur ce point l'article de Jérôme Lefilliâtre, du 13 décembre 2017, dans Libération, intitulé "Renault se lance dans la presse avec Claude Perdriel") J'aimerais bien ici que l'on définisse ce que signifie "contenus médias exclusifs" pour des "propriétaires des futurs véhicules"... Il y aurait donc une façon "Renault" de voir le monde.

    En décembre 2019, Claude Perdriel rachète les parts de Renault. (Voir sur ce point, l'article du Figaro avec l'AFP, intitulé "Claude Perdriel rachète la part de Renault dans Challenges" du 13 janvier 2020)

    Mais l'histoire ne s'arrête pas ici. Il faut aussi se pencher sur les manœuvres de Bernard Arnault, patron et principal actionnaire de LVMH, avec son entrée promise, en 2021, au groupe Challenges, à l’invitation de son propriétaire Claude Perdriel. Serait-ce le rachat en viager du magazine Challenge's ? (Voir sur ce point la chronique de Hervé Nathan, dans Alternatives économiques, du 8 octobre 2020)

    Alors la question, l'économie de demain est-elle encore l'affaire de tous ou bien seulement de quelques-uns ? Au regard de ces passations, les unes et les dossiers thématiques en faveur ou en défaveur d'un pays sont-ils encore objectifs ? On peut qu'en douter quand on voit les pressions subies par les rédactions... Donc oui "grande fatigue" pour moi de lire, de voir toujours les mêmes grilles de lecture qui ne questionnent pas notre propre aveuglement : un racisme anti-asiatique séculaire. 

  • Julien Friedler : dealer d'utopies

    Julien Friedler est un artiste, un être à part, qui relève de l’étonnement rizhomique (attention le rhizome n'est pas la racine selon Deleuze et Guattari). Nous sommes en 2021, au beau milieu d’une pandémie, Julien Friedler continue à créer des œuvres à les entremêler de concepts, à les émailler de grande(s) culture(s). Partout, on retrouve des traces de nos mythes, de nos littératures, de nos cultures traditionnelles...

    Il y laisse, à loisir, les signes de notre société. Qui prendra le dessus, est-ce la pulsion Amok (en ethnologie, cela désigne un comportement meurtrier) ou bien Kalinka (serait-ce une baie russe) ? Dans cet affrontement entre deux mondes, faut-il lire une confrontation entre la démesure guerrière et la quête d'une société apaisée ?

    julien friedler,art contemporain,art,boz,spirit of boz,utopies

    Julien Friedler - Le temple d'Amok (2014) - 88 x 61 cm

    Julien Friedler parle de l'effacement de la "Grande Culture". Cette culture qui nous lie de manière ferme les uns aux autres, à notre humanité, à notre histoire. Celle qui sous-tend l'unité de la société où nous vivons. Tout cela semble "balayer par un revers de main" nous dit Julien Friedler. Mais qu'est-ce qui a opéré ce changement ? 

    Les Fondamentaux 

    Où est donc passée cette "Grande Culture" ? Résidait-elle dans les monothéismes ? Dans le rapport que chaque individu entretenait avec un texte. "Un grand texte" porteur de valeurs autant que de totems et de tabous ? Ces textes porteurs de reconnaissance, de lien (sens étymologique du mot religion - "religarer" ou "relier"). Relier les humains est-il encore possible après la "mort de dieu" ? Survivre à Darwin, à Nietzsche au XXème siècle est-ce encore possible ? Sans doute, est-ce pour cela que Julien Friedler a peint son auto-portrait dans sa toile intitulée l'aveugle. 

    julien friedler,art contemporain,art,boz,spirit of boz,utopies

    Julien Friedler - L'aveugle

    Sommes-nous tous aveugles ? Tant que nous baignons dans ce monde qui ne cesse de s'accélérer, nous laissant sans répit, nulle part sans nous cacher ? Tous produits du capital, tous soumis à ses règles strictes d'échanges sur le marché... Aveugles sans lien, perdus, dans l'accélération des choses, du système...

    Mais alors, pourquoi ne sommes-nous plus capables de cette prise de recul, de l'analyse conceptuelle, du consensus ? L’explosion de la sphère médiatique, la superposition des commentaires, l'enchevêtrement de l'instantané, nous entraîne dans un tourbillon, un vide, une dépersonnalisation... Qui sommes-nous dans un monde qui nous pousse à nous fragmenter davantage en répondant à des injonctions marketing diverses ?

    Nous sommes plus qu’une simple somme de nos fragments. C'est ce que semble nous crier au visage Les Fondamentaux de Julien Friedler. Pour sortir de cela, nous devons prendre le temps de nous arrêter, faire un pas de côté. Dans ce bref texte, Julien Friedler, nous entraîne dans les arcanes de la suspension de notre soumission aux injonctions contradictoires. Arrêtons-nous ! Prenons le temps de l'art. Au final, nous sommes faits de nos expériences, de nos amitiés sociales et sociables. Dans cet opuscule, tout est dit des arcanes expérientiels de la pensée à la fois artistique et globale de Julien Friedler.

     

    L’innocence 

    Dans un texte intitulé "Témoin du siècle", j'ai raconté ma rencontre avec Julien Friedler. Dans son atelier une installation "monument" : Les innocents. 

    Nulle innocence ici, chacun peut y lire l'histoire du XXème siècle, les camps, les chocs pétroliers, les guerres, les errances et au milieu une classe surréaliste de peluches. Tout peut prendre feu en une fraction de secondes... "Tout est inflammable" comme l'histoire, comme l'innocence semble nous dire Julien Friedler. Selon lui, ce sont bien les enfants le coeur de cette installation. Cette souffrance enfantine accumulée au fil des conflits, des constructions guerrières et barbares de notre modernité.

    En 2006, j'écrivais "Âme ouverte, âme offerte, nous allons et venons dans le jardin de nos blessures. Tendresse émouvante, poignante. Enfance écorchée sur les pavés. Caricature des batailles de boules de neige. Pourquoi faut-il que chaque note rime avec une balle perdue ? Un cri de guerre ? La tragédie de l’humanité s’inscrit dans le labyrinthe des innocents."

    julien friedler,art contemporain,art,boz,spirit of boz,utopies

    Quelle place pour un monde commun ? Est-ce encore possible à l'heure où le XXIème siècle génère un bug humain ? Comment l'humanité peut-elle faire sens ? De détail en détail, d’ombre en ombre, un assemblage de sensations se fait. Tout s’entremêle.

    En 2006, mais cela pourrait être aussi bien aujourd'hui, j'écrivais "Comment en sortir ? Jack Balance en guide. Nous sommes en quête de la lumière, de la vérité. Mais est-elle une ? Multiple ? Valse incertaine des choses, des petits bruits du quotidien. Les cris des enfants dans la cour de récréation. Le souffle d’un enfant endormi. Les piaillements des oiseaux au petit matin. La première brume. Les premières pluies du printemps. Une porte claque. Le sang se déploie. Tâche de couleur. Fuite de la vie. Un cœur s’arrête. Un monstre naît."

    Mais Julien Friedler l'avait bien compris par son écoute du monde, comme de ses patients (lorsqu'il était analyste et fondateur de La Moire), il faut qu’en ce début de XXI° siècle, une personne témoigne. Avec conviction, mais surtout que ses tripes, avec sa sensibilité, et, expose son vécu. Julien Friedler en créant les Innocents dresse une œuvre bouleversante qui voit le monde à travers sa lucidité, sa course à sa perte, sa course à la destruction de soi et des autres.

     

    Jack Balance & le Boz

    Jack Balance, un clown, un double de notre artiste. Un double qui s'autorise, qui détourne, contourne les règles, qui se joue avec ironie et cynisme de chaque situation. Depuis, Jack Balance sort de cage. Il va et vient dans le monde, dans les expositions. Il dit, il affirme, remet en cause les monothéismes, pose la question de la création.... De performance en performance, il nous étonne, il nous agace, il voyage vite, il contourne les règles de l'identité. Qui est-il ? Si ce n'est lui-même ? Est-il un visage dupliqué de l'artiste ? Une copie illimitée ?

     

    Il faut bien un clown pour expliquer un concept, une légende celle du Boz ou bien de Julien Friedler, on ne sait plus, les frontières se confondent. Nous sommes dans un univers qui serait un chiliogone (χιλιάγωνος). Mais sur quelle face sommes-nous quand nous interrogeons la figure de Jack Balance ? 

    Celle qui serait la clef de la compréhension du Boz ? Mais qu'est-ce que ce mot ? Un néologisme ? En népalais, je l'ai appris bien plus tard, le "boz" signifie "le poids sur les épaules". En hébreu, Boaz ou Booz, « en lui (est) la force », est un personnage du livre de Ruth. Mais c'est aussi le nom du commune en France ou d'une plante toxique (en Roumanie). Mais alors, le Boz ne serait-il pas simplement un phamarkon (tout à la fois remède, poison et bouc émissaire) ?

     

    Jack Balance speaks about BOZ from Spirit of Boz on Vimeo.

     

    Au coeur du Boz un monde, un univers, un questionnement créatif. Il faut trouver les bases de ce qui sera un monde en commun. Faut-il une nouvelle religion (fusse-t-elle pour les humains ou les robots) ? Faut-il faire oeuvre de résistance en interrogeant ce qui fait notre quotidien ?

    "C'est quoi au juste le Boz ?" Si vous posez cette question à Julien Friedler, il sourira, et, en quelques volutes de fumée de cigarettes, il extirpera de ses expériences passées l'idée d'un monde enchanté, né à partir d'un mythe. Un monde partagé d'enchanteurs qui prendront le temps. Le temps de s'interroger, de déplier leurs pensées. 

    Déplier c'est marquer un arrêt, une respiration. Regarder le ciel. Fuir ce monde de bruit, de fureur, apprendre à sortir de ce long et mouvant mouvement de stress (universel). Nous devisons sur des philosophes, des lignes de livre, de mots perdus, volés, retenus. C'est agréable. Serions-nous entrain de créer ? 

    Dans sa démarche, Julien Friedler met en place ce qu'il désigne sous le nom de Be Art : une tentative à transcender le champ de l’art de sorte à le projeter dans le champ social. À l’inverse du Pop Art qui rapatria des icônes populaires dans une enceinte privilégiée, le Be Art visera à investir des populations pour, de proche en proche, les transformer en un avatar de l’Artiste.

    Ici, la population comme telle sera donc productrice d’œuvres, moyennant les individus qui la composent. En l’occurrence, il suffira d’en être pour le devenir ; selon cet axiome, il y a en chacun de nous un artiste qui sommeille.

    Nuit du Boz

    Le 2 décembre 2006, Julien Friedler lançait la Nuit du Boz. Moment disruptif à une époque où les réseaux sociaux ne battaient pas encore leur plein. Affichage dans les rues de Bruxelles, en happening sauvage, la soirée s'annonçait...

     

    Nous ne sommes que des ombres dansantes, répondant à six questions fondamentales. Toujours les mêmes... Quel drôle de phénomène, Julien Friedler annonce que ce "tour du Boz" débute ainsi et se terminera en 2086. 80 ans du Boz, au-delà de notre finitude. Tout le monde s'amuse, se joue des musiques, des bulles de champagne, une douce ivresse poétique s'empare des danseurs d'une nuit sur fond de musiques électroniques. Projection de la vie qui passe ou allégorie contemporaine de la caverne ? Ici débute la Forêt des âmes. 

     

    La forêt des âmes 

    Du Togo à Santiago du Chili en passant par New-York, Milan, Rome, Paris, Londres Moscou, Katmandou, le Togo, Lhassa, Pékin la Forêt des âmes propose à chacun de s'arrêter.

    De prendre le temps d'une minute, à des jours entiers pour répondre à six questions fondamentales, toujours identiques... avec l'écart des traductions, mais ce sont toujours ces questions au coeur de nos sociétés. 

    Six questions invariables posées, à tous et à toutes, sans discrimination (mandant, marchand d'armes, tueurs, psychopathe, ouvrier, danseur... plombier.. qui que vous soyez vous pouvez répondre). Cette œuvre s’achèvera le 2 décembre 2086.

    Il s’agit donc d’une Vanité, au sens classique du terme, qui sera pérennisée par une “Forêt des âmes”. Une vanité, car a priori, son créateur n'en verra pas la fin. Seules seront visibles pendant ce temps, les traces de ce tour. Des images, des vidéos, des portraits de ceux qui remplissent le questionnaire. Ombres mouvantes d'une archéologie se faisant. 

    Six questions simples, six questions fondamentales à toutes les sociétés et civilisations :

    • Dieu existe-t-il ?
    • Comment caractériser cette époque ?
    • Comment voyez-vous l'avenir ?
    • Êtes-vous heureux ?
    • La sexualité est-elle importante ?
    • Qui suis-je ?

    Les réponses, plus de 70.000 questionnaires déjà et des réponses multiples, des dessins, des œuvres, des écrits. Les questionnaires, par la suite, sont mis dans des colonnes. Et les colonnes exposées de manière aléatoire dans le monde. Sans doute serviront-elles un jour de repères dans notre espace, elles seront un reflet, un miroir de notre humanité passée...

    julien friedler,art contemporain,art,boz,spirit of boz,utopies

     

    Boz & Spirit of Boz

    Impossible de clore un article sur Julien Friedler tant nous ne parvenons jamais à décrire toutes les faces du chiliogone. Chaque tentative de totalisation échoue, ou part de côté, pour explorer encore quelque chose que l'on n'a pas perçu, ou pas encore vu, ou pas encore compris. Pour comprendre son oeuvre il faut la métaboliser. Mais revenons au Boz, que serait-il si ce n'est un mouvement ?

    C'est, en quelque sort, un mouvement de chercheur d'art. Par sa démarche Julien Friedler ouvre la boîte de la création, de la libre expression. C'est en faisant ce constat qu'il a mis en place un projet concomitant à la Forêt des âmes : Give Up.

    Ce projet s'édifie autour d’un objet quelconque donné par quiconque. Basée sur l’association libre et le concept "d’objet transitionnel", cette œuvre sollicite l'imaginaire collectif. Des artistes se répondent, d'un pays à l'autre. Le premier exemple entre des artistes du Togo et des artistes de Belges, puis il y a eu les échanges entre le Népal et l'Indonésie, entre la France et la Chine...Et tout ceci continue...

    Julien Friedler Spirit of Boz from Spirit of Boz on Vimeo.

     

    Le Boz & son refuge ?

    Dans ces temps incertains, l'artiste a lui aussi besoin de recentrer son oeuvre, de l'exposer mais aussi d'avoir un lieu refuge. Un lieu d'où tout part et tout revient. Un lieu où l'art se donne à voir dans le calme et la précision du temps. 

    Un lieu (ressource) qui permette d'interroger le monde, ses turpitudes, ses errances et de rester au calme, loin du bruit et de la fureur. Une façon de pouvoir confronter le Boz aux regards des philosophes contemporains et de pousser la réflexion encore plus loin. De montrer l'art, de faire de l'art, de donner aux autres la possibilité de s'initier à ce monde si différent, si "bozien". 

     

     

    On ne sort jamais indemne d'une confrontation à l'oeuvre de Julien Friedler. Chaque oeuvre est une porte sur un monde, un devenir. Je ne cesse depuis notre première rencontre de m'interroger sur cette passerelle lancée entre les civilisations, à l'heure des nouvelles technologies, prendre le temps. C'est presque merveilleux, féérique. Il s'agit de donner à voir autrement, ou percevoir l'altérité simplement dans sa différence. En cela, Julien Friedler est un dealer d'utopies.