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Rebelle - Page 47

  • Roger-Pol Droit

    « Montre-moi comment tu marches, je te dirai comment tu penses ! »

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    Cher Roger-Pol Droit, 

    Je tenais ici à vous écrire une lettre. Une volute de mots en pas raisonnés. Une scansion de respirations sur le rythme du coeur... 

    Cela fait si longtemps que j'attendais un livre comme le vôtre que je m'étonne encore du hasard qui m'a conduit à sa rencontre. Une promenade, ou plus exactement une courte errance entre deux rendez-vous.

    Le ciel grondait un peu. Le bruit et la fureur étaient trop vifs. Tout sonnait comme une précipitation avant Noël. J'avais dans ce tumulte besoin d'une halte. D'une respiration. Après une heure de marche, j'avais envie de calme. D'une tendresse qui s'enveloppe, s'enroule autour de soi comme une douce écharpe ou une lumière printanière. Les mots sont souvent ce refuge. Mais encore faut-il trouver les bons. Arrivée à Duroc, la librairie me tendait les bras. Un refuge nécessaire.

    Cela faisait longtemps que je n'étais pas venue là. Au moins deux ans. J'étais heureuse, comme lorsque l'on retrouve une vielle camarade de faculté. Le temps a passé, mais les repères sont les mêmes. Le coin "philosophie" est ici réduit à une colonne simple. La sélection y est rude.

    A cette heure, ce coin était même caché par un tas de paquets cadeaux, de commandes diverses. En une demi seconde, j'ai pris votre livre, je l'ai ouvert sur le chapitre 22 "Le Hongrois qui marcha jusqu'au Tibet". A cet instant, j'ai compris qu'il me fallait vous lire.

    J'ai lu et relu l'ensemble de votre travail plusieurs fois, me délectant de retrouver mon goût pour Aristote, Platon et tant d'autres. Vous avez, pour eux, une infinie tendresse. J'ai adoré votre vision des trois "H" de la pensée, Hegel, Husserl, Heidegger. Vous dites qu'ils "ont employé la même formule pour parler de la naissance et du développement de la philosophie "Nur bei den Grieschen", "chez les grecs seulement". (cf. p.81)" Oui c'est une "erreur" toute kantienne cette délimitation géographique, sans doute pour se faire accepter à l'université... Bref, l'enseignement n'a pas tellement changé. J'ai toujours eu cette annotation "irrévérencieuse envers l'académisme du savoir"... Normal, j'allais chercher d'autres textes pour éclairer ceux que nous devions apprendre. 

    J'ai pris très au sérieux, le travail de Bergson, sur la mémoire du corps. L'ancrage de nos habitudes, de nos pas...

    A chaque page, j'ai aimé vos haltes, le rythme, la scansion de cette promenade. J'y ai retrouvé le goût Jardin du Luxembourg dont j'ai arpenté les allées pendant tant d'années jusqu'à en connaître les habitudes de chacun, des amants, des coïncidences, des trahisons, les goûts d'eau et de cailloux aux yeux des sculptures immobiles. 

    La marche est un principe de déséquilibre merci Aristote. Un instant de fragilité, de suspension. Dans un coin de ce jardin, au moment d'un mouvement de pièce d'un joueur d'échecs, à cet instant où les mouettes, sans doute, chahutaient les canards, où un enfant a couru à bout de souffle, j'ai eu l'audace de lancer une marche en direction de l'est. 

    Quelque mois plus tôt, j'avais obtenu mon doctorat de philosophie et d'épistémologie. J'ai pris mon sac, j'y ai glissé une veste, un pull, une broutille ou deux, deux livres, un appareil photographique, un stylo, un carnet. Direction Moscou, puis un train direction Pékin. Sept jours, sept nuit... Et le renversement de tout ce que je venais d'apprendre s'est opéré. On ne revient jamais véritablement de tous ces périples. Evidemment, je suis repartie, revenue, repartie. Et à nouveau, je repars toujours vers la Chine, toujours vers le Népal, l'Inde, l'Indonésie. Monter, descendre, traverser à nouveau le plateau himalayen. Et dans cette errance, continuer la recherche, la compréhension, la rencontre avec ceux que l'on dit "penseurs".

    Si je parle ainsi de moi, ce qui est rare, et même très troublant... c'est parce que dans la philosophie il y a deux grands oublis volontaires : les autres pensées (venues d'ailleurs) mais également les femmes. C'est le seul défaut que je trouve à votre livre. Pas une seule femme philosophe dans votre texte. Quid d'Hannah Arendt ? Quid Louise Weil, de Edith Stein, de Hypatie d'Alexandrie, de Théano, de María Zambrano Alarcón ?  Et je suis sûre qu'en cherchant un peu plus loin, nous pourrions trouver une quantité de femmes. 

    Les femmes pensent, les femmes marchent, les femmes crachent, elles mettent des pantalons, elles tombent dans la boue. Elles ne sont pas seulement des mystiques. Même les grandes exploratrices ont quelques caractéristiques philosophiques. On pourrait citer Ella Maillart, Annemarie Schwarzenbach... 

    Elles ont marqué le monde, et sa marche. Elles sont allées au-delà. Finalement, la marche du monde ne dépend-elle pas de la marche des femmes ? J'ai toujours marché, tous les jours, je parcours quelques dix kilomètres. Dans Paris, j'ai toujours un prétexte me rendre dans une école, faire des courses... Tout ce qui est à moins de vingt stations de métro est accessible directement à pieds. Parfois même je fais plus. C'est ainsi... 

    Comme vous, je constate que les humains ne marchent plus... Une vie numérique est une vie paradoxalement dite nomade. Elle est immobile. Elle se meut dans la réalité virtuelle. Nous pourrions ici définir de nouveaux cadres de marche, et nous devrions prendre conscience que nous serions proche, très proche, des textes de Platon.

    "Marcher en philosophe" c'est prendre conscience de notre place dans le flux de l'humanité. Sur ce point nous sommes d'accord. Cependant je crois que la philosophie est avant tout créativité. Elle doit interroger, construire, bâtir, défendre, supporter, casser, reconstruire... Elle est le liquide de l'être. Elle doit s'adapter, s'émerveiller et ne plus s'endoctriner. 

    Cher Roger-Pol Droit, j'ai aimé me promener au coeur de vos mots, au coeur de votre musique. Evidemment, j'aurais aimé y croiser plus de femmes. Cependant comme vous le soulignez en évoquant la doctrine de Bouddha "l'humanité exige donc un ajustement interminable" (cf. p.95). 

    Cependant je ne considère pas les femmes comme une variable d'ajustement, car nous le savons fort bien, tous les deux, jamais l'immense oeuvre de Husserl aurait pu voir le jour sans Edith Stein. Les femmes ont toujours été là, elles vont sur le chemin de la sagesse. Elles aussi connaissent les déséquilibres. Elles aussi inventent, rêvent le monde et surtout l'éclairent de leur lucidité foudroyante (je pense ici à Hannah Arendt et notamment à sa théorie des bourreaux). 

    Cher Roger-Pol Droit, en ce début 2017, évidemment je vous adresse tous mes voeux et je vous souhaite de très belles promenades. Encore et encore de somptueuses recherches et des mots bien choisis. 

      

  • Jill Bolte Taylor

     

    “Tout persécute nos idées, à commencer par notre cerveau”

    Emil Michel Cioran

     

    Ici, cette phrase résonne. Elle trouve une formidable preuve dans les recherches de Jill Bolte Taylor. 

    Née en 1959, elle est une scientifique américaine, spécialisée en neuroanatomie qui a la particularité d'avoir elle-même vécu un accident vasculaire cérébral.

    Suite, à cet accident, les hypothèses sur le fonctionnement cérébral qu'elle a tirées ont eu un fort retentissement. 

    Elle présente ici le sujet de l'asymétrie cérébrale. Elle affirme que les deux hémisphères cérébraux sont complètement séparés physiquement (mais reliés par un pont, le corps calleux), et qu'ils traitent différents sujets de différentes manières, de sorte qu'ils auraient des « personnalités » distinctes :

    • Le « cerveau droit » fonctionnerait comme un processeur parallèle (qui traite toutes les informations simultanément), fonctionnant dans l'« ici et maintenant ». Il transposerait en images (voir aussi pensée visuelle), et apprendrait « par kinesthésie » à travers les mouvements du corps. Il gérerait et associerait dans l'instant le ressenti global des sens : bruits, odeurs, images, état du corps dans l'espace, etc.
    • Le « cerveau gauche » fonctionnerait comme un processeur série (qui traite les informations de manière séquentielle). Il penserait de façon linéaire et comparative, notamment dans le temps. Il serait destiné à extraire les détails du moment présent pour les catégoriser et les organiser, les comparer aux événements passés afin de projeter les possibilités futures (voir aussi abstraction). Il transposerait en langage et gérerait la séparation et la distinction des choses. Il serait à l'origine du ressenti d'être ce que l'on est, distinct des autres, ce qui selon elle est le plus important de ce qu'elle a perdu au moment de son AVC (qui touchait la partie gauche du cerveau).

     

  • André Perrin : scènes de la vie intellectuelle en France

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    Agrégé de philosophie, André Perrin est ancien professeur de classes préparatoires et inspecteur d'Académie - inspecteur pédagogique régional honoraire. Il écrit régulièrement pour la revue Mezetulle, partenariat éditorial d'iPhilo, et pour le magazine Causeur.

    Déjà là vous abandonnez la lecture de cette note consacrée à son excellent livre Scènes de la vie intellectuelle en France. J'ajouterai ici remarquez comme l'épreuve de philosophie est devenue la bête noire dans les médias. Du coup, tout le monde le répète, le bac de philo quelle horreur. Du dégoût au rejet d'une matière indispensable à l'indépendance de la pensée... le monde prépare la fin de l'exercice de philosophie... Et dans le même temps, vous vend le nouveau produit philosophique passé au crible du marketing "3 minutes de bonheur", "atteindre la sagesse en trois respirations", "croire en soi"...

    Je m'écarte un peu du propos du livre d'André Perrin. Ce détour est volontaire pour confirmer le sens même des mots soulignés par l'auteur. Nous assistons à la fin du débat d'idées. Je dirai même plus, il est mort. Echanger, taper du poing sur la table, débattre haut et fort, chercher la véracité des arguments, tout est devenu inexistant.

    André Perrin "constate que dans les débats qui occupent la scène médiatique contemporaine en France, le souci élémentaire de chercher à savoir si les assertions des intervenants sont simplement vraies ou fausses est régulièrement bafoué.

    Bafoué de deux façons : en amont en cherchant d’abord à connaître les « raisons » qui ont pu pousser la personne à émettre ces propositions, et en aval en cherchant à disqualifier une thèse en la rapportant aux conséquences néfastes qu’elle est supposée devoir engendrer (en disant cela, vous faîtes le jeu d’untel ou untel)."

    Ici en grande intelligence et sensibilité, André Perrin extrait de la vie médiatique des exemples. J'ai pris énormément de plaisir à comprendre l'envers du décor concernant le livre de Sylvain Gouguenheim Aristote au Mont Saint-Michel. L'analyse de la suppression du mot "race" par l'assemblée nationale (le 16 mai 2013) est exquise. 

    Ce livre est un fabuleux lieu de compréhension de l'uniformisation des esprits. L'auteur nous laisse libre de choisir notre camp à l'issue de toutes ces explications éclairantes. Certains seront troublés de cette liberté finale... Mais c'est là toute la force de cette démonstration.

  • Eva Bartlet : et la liberté de parole ?

    Eva Bartlet, journaliste canadienne a récemment critiqué la couverture médiatique de la crise syrienne lors d'un sommet de l'ONU. Lors de cette conférence de presse organisée par la mission syrienne auprès de l'ONU, elle a qualifié d’«erronée» la couverture médiatique occidentale de la guerre en Syrie, affirmant que leurs sources de l'Occident n’étaient «pas crédibles» et même, dans le cas d'Alep, irréelles.

    Vous pouvez regarder ci-après la vidéo.

     

     

    Aujourd'hui elle dénonce les pressions qu'elle subit et les accusations qui lui sont adressées. Pour rappel, Eva Bartlett, est journaliste indépendante et militante des droits de l'homme.  Elle tient un blog sur RT.com (attention ceci est la plateforme médiatique russe - seul média qui embauche un tas de journalistes indépendants).