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  • La paix : une éducation fondamentale

    Paix, philosophie, éducation, Diplômées, revue, rechercheNous vivons dans un monde en proie au chaos. Chaque jour, les menaces de guerre, les escalades verbales entre puissances et les conflits armés semblent rappeler que la paix est une fragile exception. Mais cette fragilité n’est pas une fatalité. Elle est un appel à repenser, voire à réinventer, notre conception de la paix, à apprendre à la vivre et à la transmettre. Car, au-delà des accords de cessez-le-feu et des traités souvent asymétriques, la paix est une éducation. C’est un apprentissage intime et collectif, qui dépasse les frontières et les cultures. Cet article est un appel à un sursaut pour repenser la paix à travers les âges et les perspectives culturelles.

     

    Une paix dominée par les vainqueurs : un héritage occidental à interroger

     

    Dans l’histoire occidentale, la paix a souvent été conçue comme un produit des rapports de force. Les traités de paix, qu’ils soient signés après les guerres napoléoniennes ou lors de la Conférence de Versailles en 1919, ne sont pas tant des symboles de réconciliation que des instruments de domination. Ces accords consacrent la victoire d’un camp et la soumission de l’autre. L’historien Jacques Bainville qualifie d’ailleurs le traité de Versailles de “paix punitive”, un accord qui sème les graines du ressentiment et de futurs conflits.

    Cette asymétrie rappelle que la paix, pensée comme une finalité politique, a souvent été utilisée pour maintenir des relations de vassalisation et de colonisation. Le monde postcolonial est encore marqué par ces accords iniques qui ont reconstruit les frontières à l’avantage des vainqueurs. Or, une paix imposée n’est jamais durable. Elle porte en elle les germes de nouvelles violences.

     

    Vers une paix différente : apprendre des autres cultures

     

    Il est urgent de sortir de cette vision étroite et historiquement marquée pour explorer d’autres manières de concevoir la paix. Dans la philosophie chinoise, Lao Tseu propose une vision radicalement différente. Dans le Tao Te King, la paix est un état d’équilibre et d’harmonie avec soi-même, les autres et le cosmos. Ce n’est pas un acte ponctuel ou un contrat, mais un processus permanent d’ajustement et de fluidité, où l’humilité et la retenue permettent d’éviter les conflits.

    Dans la pensée africaine, la paix est souvent liée à des concepts communautaires et spirituels. Le philosophe congolais Valentin-Yves Mudimbe souligne que dans de nombreuses traditions africaines, la paix ne peut être dissociée du respect des équilibres sociaux et de l’intégration des différences. Elle est un « vivre-ensemble » qui s’enracine dans le dialogue constant entre les individus et leurs ancêtres. Cette conception met en avant des valeurs de réconciliation, où l’acte de pardonner et de rétablir les liens est plus important que la punition.

    Ces perspectives nous rappellent que la paix est bien plus qu’une suspension de la guerre. Elle est une manière d’être et de coexister, un état d’équilibre qui s’enracine dans une compréhension profonde de l’autre.

     

    Une éducation à la paix : un impératif universel

     

    Mais cette vision élargie de la paix ne peut émerger que par l’éducation. Comme le rappelle Kant dans son Projet de paix perpétuelle, la paix durable nécessite une transformation des structures politiques et éducatives. Kant propose une paix fondée sur le droit international et la coopération entre États, mais il souligne aussi que les citoyens doivent être formés à la paix. Sans cette éducation, les structures de pouvoir restent des lieux de conflit.

    Dans son texte “Adieu à Emmanuel Levinas”, Derrida questionne cette paix extérieure, formelle, et interroge la possibilité d’une paix intérieure. Être en paix avec soi-même, c’est reconnaître et accueillir l’altérité en soi, avant même de chercher à imposer une paix extérieure. Cette perspective rejoint l’idée que la paix est une construction de l’individu autant qu’une structure sociale.

    L’éducation à la paix doit donc commencer tôt, dans les familles, les écoles, mais aussi les espaces de débat public. Elle nécessite d’enseigner non seulement les valeurs de tolérance et de dialogue, mais aussi l’histoire des injustices qui ont trop souvent accompagné les récits de paix.

     

    Pourquoi ce numéro de Diplômées est essentiel

    Le numéro 282-283 de la revue Diplômées, publié en 2022, s’inscrit pleinement dans cette réflexion. Il montre que la paix est un chantier philosophique, éducatif et politique. En rassemblant des contributions sur l’art, la santé, le rôle des femmes et l’éducation, ce numéro nous invite à sortir des discours creux pour réfléchir à ce que signifie vivre en paix. Il explore notamment comment la paix peut être enseignée, vécue et transformée en outil de résistance face aux forces destructrices.

    Si la paix est une éducation, alors nous avons tous un rôle à jouer. Enseigner la paix ne signifie pas seulement éviter les conflits, mais apprendre à les gérer, à les comprendre et à les résoudre. Cela exige de regarder au-delà de nos propres certitudes et de reconnaître que d’autres cultures ont développé des manières de vivre ensemble que nous pourrions intégrer à nos réflexions.

    Ce n’est qu’en reconsidérant la paix, non pas comme un acte ponctuel, mais comme un processus continu, que nous pourrons espérer construire un avenir meilleur. Ce sursaut de conscience est nécessaire, car, comme le disait Saint-Exupéry : « La paix, c’est créer des liens, apprivoiser tous les renards. » À nous de créer ces liens, avec nous-mêmes, avec les autres, et avec le monde.

  • Morsure Tendre de Louis Bolot : une poésie qui frissonne

    Morsure tendre, Louis Bolot, poésie, amour, art, temps, rythmeLouis Bolot a choisi le titre Morsure tendre pour capter la dualité de son écriture. Il a voulu marier deux termes contradictoires, rarement associés, qui évoquent une sensation brute, presque instinctive. À travers ce choix de mots, l’auteur fait écho à son style poétique, où les contrastes sont autant de manières de provoquer un frisson chez le lecteur.

     

    Inspirations personnelles et au-delà

    Bien que certaines expériences personnelles transparaissent dans ses textes, Louis Bolot explique que l’inspiration naît souvent d’une simple pensée ou sensation, qui prend ensuite corps dans une écriture plus travaillée. Pour lui, la poésie est un espace de liberté où le vécu, la fantaisie, et la beauté s’entrelacent pour nourrir ses vers.

     

    Une poésie sensorielle 

    L’auteur puise dans des images et sensations intimes pour façonner ses poèmes. “Une belle phrase doit être couchée sur le papier, peu importe son origine,” explique-t-il. En évoquant le corps et le mouvement, ses textes tissent une texture sensible et universelle, invitant le lecteur à ressentir chaque instant avec intensité.

    Louis Bolot cite Le Prophète de Khalil Gibran en ouverture du recueil, bien qu’il précise que cette œuvre n’a pas influencé directement son écriture. Il voit simplement en Gibran un auteur dont la sensibilité rejoint parfois la sienne, mais ses poèmes étaient déjà en grande partie écrits avant cette lecture.

     

    L’amour et le temps

    Dans Morsure tendre, l’amour est exploré comme une série de naissances et de renaissances, les rencontres et les expériences venant façonner l’être humain. Pour Louis Bolot, cet aspect cyclique et formateur de l’amour est central : il nous pousse à avancer, à nous redéfinir constamment.

    Le passage du temps inspire une relation passionnée chez Louis Bolot. Il confie que le temps semble parfois lui échapper, mais il s’efforce d’en capturer l’essence dans ses poèmes. Chaque texte devient alors une tentative de figer l’éphémère, de saisir un moment, aussi fugace soit-il, pour toucher les lecteurs.

     

    Un désir de partage plus qu’une philosophie de vie

    Au-delà de proposer une vision de la vie, Louis Bolot voit en Morsure tendre une invitation à partager des instants d’évasion. En célébrant l’amour et la douceur, il espère offrir aux lecteurs un moment suspendu, les amenant à redécouvrir le monde avec tendresse et émotion.

     

    L’équilibre entre description et abstraction

    Louis Bolot travaille ses poèmes en oscillant entre des moments descriptifs et des évocations abstraites. Il laisse souvent une image concrète l’emmener vers des réflexions plus vastes, tissant un récit poétique qui interpelle et transporte.

     

    Le corps au cœur de la poésie

    Pour Louis Bolot, le corps et les gestes sont des expressions essentielles de notre identité. Il les observe attentivement, les réintroduisant dans ses poèmes pour enrichir ses descriptions et créer une poésie viscérale, presque tactile.

    Si le dessin lui permet de visualiser ses poèmes, la musique reste une source d’influence majeure pour Louis Bolot. Il considère que le rythme des mots s’apparente à une mélodie, et que les deux arts se rejoignent, entremêlant poésie et musicalité.

     

    Structure libre : un parcours de l’amour à la joie

    Le recueil Morsure tendre ne suit pas une structure linéaire stricte, bien que Louis Bolot ait choisi de clore sur une note positive avec Marche Joyeuse. Ce poème final reflète l’optimisme et la lumière qu’il souhaitait insuffler à l’ensemble de son œuvre.

    Avec des titres évocateurs comme La rêveuse du canapé ou La fille de l’armoire, Louis Bolot aime donner une dimension narrative à ses textes. Il considère chaque poème comme une petite histoire, invitant le lecteur à un voyage imaginaire au fil de ses lignes.

     

    Un poème particulier : Amour Spatial

    Parmi les textes de Morsure tendre, Amour Spatial tient une place spéciale pour son ambiance de science-fiction, rarement explorée en poésie. Inspiré par une relation personnelle, ce poème atypique témoigne de l’originalité et de l’éclectisme de l’auteur.

     

    Un rituel d’écriture nocturne

    Bien que l’inspiration puisse frapper à tout moment, Louis Bolot préfère retravailler ses poèmes la nuit, dans le calme de sa maison. Cette tranquillité lui permet d’approfondir ses textes, de les retravailler et de peaufiner leur rythme.

    Louis Bolot structure ses poèmes de manière intuitive. Dès les premières lignes, il ressent la forme et le rythme qui s’imposeront au texte, laissant ensuite le poème suivre son propre cours, sans trop de contraintes.

     

    Une poésie d’évasion pour le lecteur

    Louis Bolot espère avant tout offrir une évasion à ses lecteurs. S’il parvient à les toucher, à les emmener dans son univers et à emplir leur cœur d’amour, alors l’objectif de Morsure tendre sera atteint, explique-t-il avec humilité.

     

    Des projets futurs en pleine ébullition

    L’auteur ne compte pas s’arrêter là. Fort de centaines de poèmes non publiés, il envisage de nouveaux recueils, tout en poursuivant plusieurs projets de romans. Louis Bolot nourrit un amour constant pour l’écriture et compte bien le partager encore longtemps avec son public.

     

    Morsure tendre est un recueil qui allie poésie et sensualité, corps et émotions vives. Louis Bolot y invite ses lecteurs à plonger dans un univers où chaque mot est une invitation à ressentir le monde différemment. Sa poésie est un espace de douceur et de profondeur, un refuge pour ceux qui cherchent à renouer avec la tendresse d’un instant.

  • La rentrée en Art à la Galerie "La main de fer"

    Dernier jour du mois d'août, la rue de la Révolution Française à Perpignan se pare de ses rousseurs automnales. Fin de journée, les rayons de soleil caressent les briques des immeubles de la rue. Une douceur estivale s'efface pour la ferveur de la rentrée de septembre. Loin de la rentrée scolaire, c'est bien de la rentrée des arts qu'il s'agit à la Galerie de la Main de Fer.  

    "CE QUE TU VOIS EST-IL CE QUE JE SUIS ?" tel est le titre de cette exposition qui rassemble deux artistes Olivier Diaz de Zarate et Thierry Genay.

    Une interpellation sur les désordres de nos visions  (sur le monde), sommes-nous des miroirs de l'autre ou bien de simples subjectivités ? Inversion des mondes et regard en miroir, voilà ce que nous propose Géraldine Torcatis dans sa galerie. 

    Olivier Diaz de Zarate, Galerie main de fer, Géraldine Torcatis, exposition, Art

    Olivier Diaz de Zarate nous invite à une introspection profonde à travers sa maîtrise de la figuration concrète. En simulant la réalité avec une perfection presque troublante, il ne se contente pas de reproduire le monde qui nous entoure, mais il nous pousse à questionner la nature même de cette réalité. En dévoilant l'âme, il nous rappelle que la vérité est souvent plus profonde que ce que l'œil peut percevoir.

    Sa virtuosité dans l'utilisation des codes classiques de la peinture est indéniable. Il se joue ainsi de nos sensations et de nos attentes en matière de classicisme. Pourtant, loin de se cantonner à une simple répétition du passé, son travail est résolument moderne. Il est le fruit d'une recherche picturale intense, d'une préparation méticuleuse qui met en lumière l'acte de peindre lui-même. Le support, couvert de ce qu'il décrit comme du "divin", est un hommage vibrant à l'héritage des classiques et à la « Scientia Pictoris ».

    Aujourd'hui, il vit et travaille à Narbonne. Son œuvre est marquée par une recherche profonde de l'identité personnelle, explorant les notions d'intimité et d'émotion. Il utilise le miroir comme un outil pour permettre au spectateur de se voir d'une manière immédiate et instinctive. Inspiré par des maîtres tels que Caravage, Chardin, Fragonard et Veermer, Olivier Diaz de Zarate combine les codes classiques de la peinture avec une approche contemporaine. 

    Thierry Genay, Galerie Main de fer, Géraldine Torcatis

     

    Thierry Genay, élégance du regard, grandeur de la retenue, nous offre une vision renouvelée de la photographie. Ses clichés épurés sont un véritable miroir de l'âme, transformant la nature morte en une œuvre d'art contemporain. L'influence de la peinture flamande est palpable, créant un pont entre passé et présent, entre tradition et modernité. Thierry Genay joue avec les contrastes : entre le plein et le vide, entre ce qui est visible et ce qui reste caché. Il nous présente une vision du monde où chaque élément est en équilibre, où chaque détail compte.

     

    La galerie La Main de Fer, nichée au cœur de Perpignan, est l'écrin parfait pour cette exposition en miroir. Deux artistes, deux visions, une double interrogation démultipliée par les spectateurs. 

    Ouverte du mardi au samedi, elle offre aux visiteurs un espace où l'art et la réflexion se rencontrent. Géraldine Torcatis, la curatrice, est disponible sur rendez-vous pour ceux qui souhaitent approfondir leur expérience.

     

    CE QUE TU VOIS EST-IL CE QUE JE SUIS ? est plus qu'une simple exposition. C'est une invitation à la réflexion, à la découverte de soi à travers l'art. Olivier Diaz de Zarate et Thierry Genay, chacun à sa manière, nous rappellent que l'art est un miroir de l'âme, un reflet de notre propre vérité.

  • Pourquoi devenir éditrice ?

    Route de la soie, éditions, livre, métiers éditions, éditrice, lectures, idées, ponts, culturesMille réponses sont possibles à cette question. Par où commencer ? Par où dire cette indicible histoire ? 

    Lire ou courir, faut-il choisir ? 

    Je pourrais faire le choix de narrer en détails mes expériences, mes trajectoires, mes errances dans certaines entreprises, mon refus de lire dans l'enfance. Il ne fallait pas gâcher mon agitation. Je dormais en lisant Zola, que dire de Maupassant ? Bref, la littérature classique semblait loin de mes préoccupations. Mais Marguerite Yourcenar a retenu mon souffle... Ses Nouvelles orientales déjà appelaient mon lointain. Je jouais sur les cartes détaillées du National Geographic. Mon esprit divaguait en détail sur la carte du pôle nord et sur celle de l'Himalaya. Je me voyais déjà partir en suivant le fil de certaines longitudes. le coeur palpitant sur les mots de Radiguet, de Cocteau, de Théophile Gauthier, Romain Gary... Et puis toujours la poésie... ses mots cachés, ouverts, dormants, rêveurs, noirceur de beautés, ornement de notre inhumanité. Une phrase ouvrant sur l'infini. Une mélodie de l'imagination. Rien, pourtant, ne calmait mon agitation, il fallait toujours courir, aller au-delà, saisir le présent dans sa totalité, conquérir les arbres de haute lutte, contourner la marne, escalader les montagnes, toujours aller plus haut avec le trapèze du jardin.

    Renversement avec Samuel Beckett qui supprime le corps et renverse la parole. Les mots en roue libre... Serions-nous uniquement des mots ? 

    Puis Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra. Que faut-il comprendre de notre totalité ?  

    Puis il y eut Louis Althusser Sur la philosophie. Une claque l'année du baccalauréat scientifique (D à l'époque), où tout le monde pariait sur mon zéro en mathématiques mais évidemment non j'ai toujours été plus proche du vingt lors des examens en mathématiques. Bref, cette rencontre unique d'un livre, d'unilingue, d'un champ d'investigation. Un moment de vertige. Il y a donc bien un au-delà de la langue. Faut-il pour autant parler d'un universalisme ? 

    Le goût des mots des autres

    Pendant des années, j'ai fait le choix d'étudier les mots des autres, dans cet immense réservoir à idées qu'est la philosophie de Plotin à Husserl, en passant par Kant, Galilée, Aristote, Heidegger, Peirce, Malebranche, Spinoza, Locke, Platon, Descartes, Bergson, Putnam, Leibniz, Frege, Nietzsche et tant d'autres... Les mots, les langues, les siècles deviennent des volutes, des morceaux de concepts et finalement le réel se fragmente au profit d'une lecture ou d'une re-lecture, de points de vue irréconciliables (selon Deleuze). De l'université de béton à la rue d'Ulm, tout se joue de fragiles équilibres perceptifs. 

    Comment faire entendre sa propre expérience de pensée pour ne pas dire sa voix sans ce tumulte des années 1990 ? Il fallait oser en passer par le questionnement de ce désordre occidental pour se frayer un chemin au sein de son propre chaos. Là naît l'expérience de la revue Res Publica, philosophie et scènes humaines. Elle sera éditée par les PUF.  Première confrontation au fait que la pensée ne se vend pas, qu'elle est trop complexe pour nos contemporains qui lui préfèrent le marketing de la pensée ou les récits de soi au travers du prisme du coaching... Mais je n'abandonne pas facilement...

    Le cheminement des expériences littéraires 

    Finalement aujourd'hui je m'aperçois que mes expériences littéraires sont finalement nombreuses et jalonnent mon parcours : secrétaire d'édition d'un quotidien,  pigiste pour d'autres, magasinière dans l'ancienne BNF (où l'on apprend les formats des livres - le format folio, par exemple, n'est pas un livre de poche- où les kilomètres s'enchaînent pour trouver la perle rare pour le chercheur en salle et le dédale des odeurs, des formats, des siècles, etc.), nègre pour des discours, des textes...

    Voyager au fil de l'eau du monde 

    Il m'a fallu balancer un peu tout cela pour éprouver les mots ailleurs, en semelle de vents, au travers de voyages, de rencontres et de renversement culturels. Jouer avec les arts que j'aime : l'image fixe (la photographie) posée comme une éternité dans la fragilité des souvenirs. Voir le monde en face. Prendre conscience que le savoir occidental n'est qu'une infime partie du savoir humain, et remettre en question la certitude du savoir acquis. Poursuivre, essayer, tomber à nouveau, recommencer... Faire, défaire... au milieu d'un monde en ébullition. 

    Dessiner de nouvelles perspectives en images fixes et colorées, comme toujours... Et plier aux ordres de la poésie, à en dévorer les pages, à les tordre dans mes carnets. 

    Donner la parole aux autres 

    Puis un jour, au milieu de cette avenue étrange qui conduit aux Champs-Élysée, rendez-vous avec la tête que je devais chasser pour ce qu'il convient d'appeler un "beau poste" dans la finance. Rien ne s'est passé comme prévu. C'est ce qui fait le charme de la vie. Pascal Ordonneau me voyant en errance argumentaire et ne voyant absolument pas l'intérêt de ce poste proposé, ni même ce que je faisais là dans un monde qui n'était pas le mien, finit par m'expliquer que désormais il voulait écrire. Miroir tendu. Les mots me revenaient, comme de lointains cousins. Une sorte de familiarité poétique. Que faisais-je ici ? À ce poste au milieu d'un monde qui ne s'intéresse qu'au coût moyen pondéré du capital ? Il faut le voir pour le croire. 

    Finalement j'ai préféré chasser un éditeur pour Pascal Ordonneau et c'est ainsi que j'ai rencontré Jacques Flament. Maître artisan des mots, il oeuvre pour créer et faire lire les auteurs, tenace il n'abandonne rien, il avance, il cherche, il déniche des mots, des trajectoires, des fenêtres poétiques. Renversement des codes, exploration du monde. Une maison idéale pour poser mes valises (je ris ici en me disant que certains pensent que travailler dans l'édition c'est faire fortune - donc non je n'étais pas salariée et non je n'ai pas gagné de quoi me faire plus qu'un dîner chez moi tranquille). Mais ceux qui me connaissent, savent que ce n'est pas l'enjeu. L'idée consiste à faire avancer cet engrenage magnifique qui s'appelle le monde, ou l'humain... Jacques Flament a touché cette corde sensible, en moi, en parlant de "rallumer les réverbères". Pousser le curseur des idées, au travers de la création artistique, poétique... 

    Repartir encore (ou en corps)

    L'Himalaya ce vieil ami familier revenait, puis la Chine, le Népal, l'Inde, Java puis les kilomètres, les kilomètres, les kilomètres, les poussières, les ethnies... Et toujours mon moteur "qu'est-ce que dire ?"... Puis un jour au milieu de mes pensées chaotiques, dans un carnet, alors que Jacques Flament me disait vouloir arrêter sa maison, je me suis dit et si j'essayais ? 

    Créer la Route de la Soie - Éditions 

    En revenant de kilomètres passés dans le Xinjiang, en traînant encore un peu dans les poussières de désert. Et en refusant la fin de Jacques Flament Éditions. J'ai décidé de me consacrer pleinement aux mots des autres, de leur donner un écrin pour questionner notre réel, et tisser des liens entre les cultures. Nos univers sont-ils irréconciliables ? Ou bien pouvons-nous nous servir des arts pour créer des passerelles de compréhension ? L'exploration de l'humanité qui me tient à coeur, toujours... Comprendre, comprendre, toujours comprendre, ce lien qui nous unit, certains parlent de file de soie. Alors oui j'ai plongé et le titre était tout trouvé. 

    J'ai laissé en chantier mes carnets, mes textes, mes dessins... au profit des mots des autres... Ils sont là avec moi... Ils parcourent les kilomètres, les étoiles en lumières nocturnes... 

    Mettre en lumières les mots des autres !

    Évidemment je ne peux citer l'ensemble de ma presque soixantaine d'auteurs (et donc largement plus d'une centaine de titres publiés). Cependant la Route de la Soie - Éditions a débuté avec Fan Zhang et William Lochner. Deux univers différents et pourtant si proches. D'un côté une étudiante chinoise en France qui découvre qu'il faut renverser sa pensée, la France n'est pas si romantique ou féérique et de l'autre un reporter de guerre qui dans un dialogue avec Rimbaud, cet autre lui-même nous pare du renversement de sa psyché. Le poids des guerres, les mots en hypothèse de délivrance. Entre une tentative poétique avec Pascal Ordonneau qui se jouait de ma prise de vue systématique du Panthéon. Panthéon au carré ou un drôle de livre à considérer comme une friche. Véronique Terrassier m'a laissé coller ses mots et ses oeuvres, là encore Ville & nature suspendues est un premier livre qui ouvre la voie aux artistes. 

    Rencontres avec Michel Piriou, un incontournable de la maison, il vous entraînera sur les routes maritimes, au coeur d'intrigues historiques ou non. Une plume, un voyage, une sincérité. Chacun de ses livres est une oeuvre à part entière. Mais c'est aussi la clef pour un immense puzzle sur la nature humaine. Attention, c'est aussi un poète, un rêveur, un "partageur" d'étoiles. Et c'est ce qu'il fait en donnant sa plume aux magnifiques peintures de Chantal Célibert.  

    Discrète mais néanmoins grande écrivaine de la nature humaine, Ophélie Grevet  arrive dans la maison avec un premier roman, mais surtout ses pièces de théâtre et surtout son dernier Un chien dans la ville (qui a obtenu le prix du roman). Elle m'a aussi rappelé que la philosophie est ma maison, me faisant publier Pierre Michel Klein. Cette philosophie qui se veut réflexive, lente, progressive, exigeante. Bref celle qui désobéit au marketing. Voilà ça c'est de la philosophie. C'est dur, c'est complexe, cela fait appel à cette longue tradition de la mise en abimes des savoirs. Dans quelques temps, la réponse sera publiée de Pierre Jakob, là encore, ce n'est pas un livre qui se prend et s'oublie. Il faut justement la contrainte de s'extraire de la rapidité fuyante de notre époque. 

    Dans le cheminement, de la rencontre avec l'Autre et cette figure qui n'est pas tout à fait la nôtre mais un peu quand même, il y a Claude Mesmin sans laquelle la maison n'aurait pas fait des bons de géants. Confrontation des idées, discussions sur le sens du monde et écoute. Claude sait me pousser dans mes retranchements pour trouver d'autres portes, d'autres auteures, prolonger la réflexion. Comme avec Francine Rosenbaum, quelle claque quand j'ai découvert ses travaux et l'audace de ses recherches notamment avec Le chemin du Fa. 

    Au milieu, de toute cette pensée en mots, en perplexité de concepts, il y a Patrick Bonjour qui se joue des mots, comme des traits des caricatures. Ses livres sont drôles, sont d'une finesse à l'égard de notre époque mais aussi de l'histoire de l'art.  C'est un magicien, un joueur des couleurs. 

    Et comme tout magicien, il fait se rencontrer les arts. Sébastien Quagebeur arrive comme pour saluer un autre monde, comme pour nous dire "regardez tout est possible, il suffit juste d'ajuster quelques couleurs". Entre peintures, collages, montages en musique. Sébastien Quagebeur est un festival poétique. 

    Et que dire de la poésie de Roland Giraud ? Un mot, une clarté. Une résonance magnétique. les mots claquent, vibrent, esquivent, dévissent, le souffle s'arrête, puis repart. 

    Évidemment, la poésie coule dans mes veines, même si jamais je n'ai osé, en écrire. Dernière strate de langage, proche de l'absolu, selon moi, elle est comme le lieu de tous les lieux où s'origine le langage. Un magnifique acheminement à la parole. Alors oui, il fallait publier l'amour des mots, des cultures de Tahoura Tabatabaï-Vergnet

    De la poésie à l'exil, et inversement, il y a les témoignages celui de Marcela Paz-Obregon, et ceux magnifiques portés par Isabelle Verneuil. Là encore je retrouve ce que je défends : l'accueil, notre humanité. 

    Partage, humanité, accueil, c'est aussi cela que l'on retrouve chez Jennifer Bondon. Une force de la nature. Une générosité, ses livres viennent du coeur. Portes ouvertes sur la bonté, elle me fait espérer et renouer avec mon idéalisme. 

    Tout récit, est récit de quelque part où de quelque chose de notre monde. De ma rencontre avec Barthélémy Courmont est née l'idée de la collection sur la géopolitique "Mondes Actuels". Deux livres, deux visions sur deux régions du monde bien différentes : l'Australie et la Slovénie. Deux enjeux de puissance et de volonté d'existence. 

    Mais au-delà de la vision des enjeux de territoires, il y a le combat pour l'essentiel : la démocratie. Et c'est ce que nous rappellent d'une part Dominique Motte avec son ouvrage intitulé De la démocratie Suisse et, d'autre part, Reza Guemmar et Lachémi Belhocine avec leur ouvrage sur la constitution de l'Algérie. 

    Comprendre la société dans laquelle nous vivons c'est en observer les comportements et pourquoi pas en rire avec les oeuvres de Francis Denis ? C'est aussi jouer à questionner l'amour, à le saisir à corps ouvert avec notamment Frédéric Margnani. Puis jouer avec les fenêtres du temps des confinements avec Denis Martin

    Et puis que serait la maison, sans ce questionnement permanent sur notre méta-cognition et la belle collection Méta de Choc (éponyme du podcast) dirigée par Élisabeth Feytit

    Comprendre notre cognition, c'est comprendre notre rapport au monde, c'est aussi créer du dialogue avec les civilisations. D'où la revue Dialogue Chine -France qui permet de saisir davantage ce monde obscur qu'est la Chine, son histoire, ses mutations, son présent et ses liens intrinsèques avec la France et l'Europe. C'est aussi ce que montre le récit de Laurent Cibot sur son ancêtre qui a vécu au XVIIIe siècle à la cour de l'empereur de Chine. Comprendre que le regard des autres peuvent blesser une civilisation comme avec le fabuleux ouvrage de Chao YeLa Chine en 100 notions. C'est aussi soulever avec Maxime Vivas des doutes sur les discours. Serions-nous trop habitués à des propagandes pour ne pas voir le cynisme de notre réalité ? 

    La réalité, quelle est-elle ? Au fond nous cherchons, tous, à dire notre humanité au travers des mots, nous les taillons, pour qu'ils soient le plus précis possibles. Dire, tel est l'enjeu. Dire, pour amener à la prise de conscience.

    C'est ce que fait Chloé Joos, dans son ouvrage où nous avons laissé la porte ouverte à une interprétation grammaticale pour mettre en évidence l'effacement permanent des femmes par la grammaire. Ne serait-ce pas là la première violence sociale ? 

    C'est ce que nous confirme le magnifique essai de Anne Bergheim-Nègre. Son Histoire de l'inégalité, nous entraîne dans les coulisses de la construction même de l'inégalité. Nous luttons pour l'égalité, mais comment se rendre aux racines de cette inexistence ? C'est donc bien qu'elle a été pensée, instruite, inculquée au fil des siècles. Sans doute faut-il nous méfier des mots et de leurs constructions, sans doute nous faut-il les changer pour faire émerger de nouvelles possibilités. Ou bien peut-être peuvent-ils être des tremplins même avec leur défaillance pour se rappeler qu'ils ont un passé encombrant mais qu'ils peuvent si on en saisit l'épaisseur nous servir de bases pour questionner et construire une société soucieuse du bien commun. Mon réalisme ressort à grande vitesse, mais c'est un peu, en creux, le projet de la revue Diplômées de l'AFFDU. Questionner l'actualité, ses grandes thématiques et faire connaître la voix des chercheuses de notre temps. 

    Financer les livres

    Au départ, je ne me suis pas posé la question. Emportée par mon idéalisme de donner à voir, à entendre d'autres points de vue. Puis le choc des prix des impressions, de la distribution, etc. Pour ceux qui pensent que l'éditeur gagne de l'argent en créant des livres, et bien vous apprendrez qu'il n'en est rien ! Donc à ceux qui pensent que je suis derrière mon ordinateur à me la couler douce à lire des manuscrits toute la journée, je les invite à parcourir plus de 100 kilomètres de vélo par semaine, à donner des cours dans plusieurs établissements universitaires, à corriger des textes, à subir les foudres des auteurs, des libraires, l'ironie des distributeurs (qui font semblant de livrer)... Bref, il y aurait beaucoup à dire, à raconter... Pourtant je ne baisse pas les bras, j'imagine la suite pour donner de la visibilité aux auteurs, à les encourager à poursuivre, à faire entendre leurs idées... Chaque jour le moteur de la maison se fait entendre, un peu plus "l'impossible recule face à celui qui avance"... Merci Ella Maillart.